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1.1.2 Historique

1.1.2.1 Les prémices de la datation par comptage de cratères

Alors même que l’origine des cratères lunaires n’était toujours pas résolue et lorsque certains avançaient l’hypothèse d’une origine volcanique, Young étudie en 1940 la distribution en taille et la fréquence de 1300 cratères sur la Lune (Young, 1940). En 1961, Fielder examine cette distribution (Fielder, 1961) et, tout comme Young, conclut à une corrélation entre la taille et la fréquence des cratères selon une loi de puissance. Cette corrélation sera dès lors employée très largement dans la littérature et appelée “crater size-frequency distribution” ou CSFD. Les auteurs réfutent ainsi l’origine volcanique des cratères d’impact, incompatible avec leurs obser-vations et privilégient le bombardement météoritique sur les surfaces planétaires pour expliquer la formation des cratères lunaires. Shoemaker and Hackman (1962), Shoemaker et al. (1962) puis Baldwin (1963) reconnaissent et assoient cette théorie qui fait aujourd’hui l’unanimité. Ils utilisent la CSFD pour dater de manière relative certaines régions lunaires en se basant sur la densité de cratérisation que présentent ces terrains. En effet, plus une surface est ancienne et plus elle a été exposée au bombardement météoritique. Elle sera donc plus cratérisée qu’une surface récente (voir figure 1.2).

Âge

Récent Ancien

50km 20km

150km

FIGURE1.2 – Augmentation de la densité de cratères avec l’âge de la surface sur la Lune. Plus une surface est ancienne et plus elle a été exposée au bombardement météoritique.

William Hartmann présente dans sa toute première étude (Hartmann, 1964) , une correspon-dance évidente entre la SFD des astéroïdes et celle des cratères. Il confirme ainsi de manière définitive l’origine collisionnelle des cratères d’impact. Avant 1964, toutes les études portant sur la CSFD ne se basaient que sur une portion de la gamme de diamètre de cratères existants sur la Lune. En effet, en l’absence de sonde en orbite lunaire, les observations se faisaient depuis la Terre et seuls les cratères de plus de 4 km de diamètre étaient étudiés.

Lors du crash contrôlé de la sonde américaine Ranger 7 en 1964, les photos prises permirent aux études sur la CSFD qui suivirent d’augmenter la gamme de diamètre étudiée et de préciser la pente de la CSFD en deçà de 4 km. Ainsi, si la pente de la branche 12 - 20 km établie par Shoe-maker et al.(1962) et précisée par Hartmann (1964) est relativement importante. La pente de la branche de la CSFD où le diamètre est inférieur à 2 km est nettement plus raide (Shoemaker, 1965, 1968) comme le montre la figure 1.4 représentant la première estimation de la fonction de production de cratères lunaires (Hartmann, 1965b). Cette observation est interprétée comme étant le résultat d’une part de la production de débris par collision entre astéroïdes générant une multitude de petits impacts et d’autre part de la cratérisation secondaire (Shoemaker, 1968) (voir section 1.1.3.3). Dès le premier survol de Mars par la sonde américaine Mariner 4 en 1964, Öpik étudie la CSFD martienne pour des cratères d’une dizaine de kilomètres de dia-mètre (Opik, 1964, 1965). Il note une pente bien inférieure à celle de la Lune pour cette gamme de diamètres et conclut à un effet d’oblitération des cratères à la surface de Mars par des

rem-plissages de dépôts éoliens. Par ces travaux, Öpik est le premier à utiliser la CSFD dans le but de comprendre les processus de surface des corps planétaires. Sharp (1968) reprendra ces tra-vaux quelques années plus tard et comparera la CSFD lunaire et martienne. Il confirme ainsi les conclusions d’Öpik sur la modification et l’oblitération des petits cratères d’impact martiens (D < 10 km) par les processus de surface (voir figure 1.3).

Diminution de la densité des petits

cratères par des processus de

resurfaçage

FIGURE 1.3 – Nombre de cratères supérieurs à D diamètre par unité de surface en fonction du diamètre des cratères. Sharp (1968) démontre par cette figure la dégradation des cratères d’impact martiens plus petits que 20 km de diamètre. La distribution des cratères des continents lunaires est comparée à celle existant sur Mars. On observe une diminution significative du nombre de petits cratères sur la planète rouge traduisant ainsi des processus de resurfaçage intenses sur Mars.

Jusqu’au début des années 70, l’âge des surfaces planétaires, et en particulier des mers lunaires avaient pu être estimé à partir de la fréquence de formation des très grands cratères terrestres. La plupart furent datée par des méthodes isotopiques et un flux d’impact des bolides pluri-kilométriques a pu en être déduit. Ainsi, Hartmann (1965a) estime à 3,6 milliards d’années l’âge des bassins lunaires. À partir de l’étude de la CSFD lunaire, deux fonctions de production empiriques de cratères d’impact ont été établies : la fonction de production d’Hartmann et la fonction de production de Neukum.

— La fonction de production d’Hartmann. À partir des âges des roches lunaires et des mesures de densité sur les mers lunaires, Hartmann (1972) présente sa fonction de pro-duction reliant la densité des cratères sur une surface lunaire (n) à leur diamètre (D). Les régions sur lesquelles les mesures de densité ont été réalisées ont été sélectionnées de manière à réduire d’éventuels biais de mesure : ces régions sont pratiquement dépour-vues de reliefs, les unités géologiques sont relativement bien définies et elles présentent une large gamme de diamètre de cratères (Werner, 2005). Cette fonction se décompose en trois branches dont chacune dépend de la densité de cratérisation pour une gamme de diamètre de cratères donnée (voir figure 1.4). Il s’agit donc d’une loi incrémentale où chaque partie de la courbe est associée à une loi de puissance. La première branche dite “raide” s’applique aux cratères dont le diamètre est inférieur à 1,41 km. Cette par-tie de la fonction de production, dont la pente est égale à -3,82, fut interprétée comme étant le résultat de la cratérisation secondaire (Shoemaker, 1965) (voir section 1.1.3.3). Cependant, Hartmann (1969) et Neukum and Ivanov (1994) observent cette caractéris-tique de la CSFD sur des petits corps de la ceinture principale dont la gravité ne permet pas de retenir suffisamment de débris après un impact pour former des cratères secon-daires. L’équation 1.1 décrit la branche raide de la fonction de production (Hartmann and Gaskell, 1997) où n représente la densité de cratères sur une surface (voir Annexe 6.5) :

log(n) =−2,312 − 3,82x log(D) pour D < 1,41km (1.1)

La partie dite “douce” de la fonction de production correspond aux diamètres de cratères compris entre 1,41 km et 64 km et est décrite par l’équation 1.2 :

log(n) =−2,92 − 1,8x log(D) pour 1,41km < D < 64km (1.2)

Enfin, la branche “tournée vers le bas” est décrite par l’équation 1.3 :

Cette fonction de production fut définie pour des cratères dont le diamètre est au mini-mum de 11 m.

FIGURE 1.4 – Première estimation de la fonction de production de cratères lunaires d’après Hartmann(1965b). Densité de cratères en fonction de la gamme de diamètre.

— La fonction de production de Neukum. La fonction de production de Neukum est cu-mulative, c’est-à-dire qu’elle décrit le nombre cumulé de cratères dont le diamètre est supérieur à D par unité de surface (nb / km²). Celle-ci est représentée par un polynôme du 11e degré et fut établie, tout comme celle d’Hartmann, par des mesures de densité de cratères sur les mers lunaires et les sites d’atterrissage des missions Apollo et Luna. Cette fonction de production est utilisable pour des gammes de diamètre allant de 10 m à 300 km et est décrite par l’équation 1.4 :

log(n≥ D) =

11

j=0

a jx [log(D)]j (1.4)

L’étude du flux d’impact et de la datation des surfaces planétaires pris un tournant au début des années 70 grâce au programme Apollo et ses nombreux retours d’échantillons lunaires. L’apport des ces missions dans la méthode de datation et de l’étude de la CSFD sera détaillée dans la prochaine section.