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Une préférence pour les chercheurs qui sont capables d’enseigner chez les historiens

II.4. Les procédures au regard du genre

III.1.3. Une préférence pour les chercheurs qui sont capables d’enseigner chez les historiens

Dans les deux départements d’histoire, les performances scientifiques ne sont pas négligées par les recruteurs mais elles ne sont pas considérées comme suffisantes et les capacités à enseigner sont quasiment aussi importantes que les publications.

A Histoire-Paris, département fortement attractif, comme à Histoire-Région, les critères scientifiques interviennent bien sûr dans le choix des dossiers retenus pour l’audition. Ainsi à Histoire-Paris, on s’assure que le sujet de thèse s’inscrit dans les axes de recherche définis par le plan quadriennal de l’université, sinon le candidat ne sera pas retenu même s’il est très bon. Le fait d’avoir fait l’Ecole de Rome, l’Ecole d’Athènes, ou l’Institut Français du Caire constitue de plus un atout très important pour des postes ouverts en histoire ancienne.

Dans les deux départements d’histoire, la thèse est par ailleurs appréciée à l’aune des rapports de soutenance, et plus généralement, on évalue la valeur scientifique du candidat en fonction du nombre et de la qualité de ses publications ou communications.

« La différence entre publications et communications n’est pas vraiment significative et pour les communications, on regarde qui organise les colloques, si le candidat était dans les colloques qui ont compté sur le domaine.» (Maître de conférences, Histoire-Région).

Le travail sur les dossiers est donc très orienté vers l’évaluation des qualités scientifiques des candidats. Mais la différence avec les départements précédents tient au fait que, pour être retenus pour l’audition, les candidats doivent en outre témoigner de leurs capacités à enseigner.

En histoire, les interviewés insistent sur la réussite au concours de l’agrégation du secondaire17 pour

s’assurer que l’on recrute « les meilleurs », mais aussi des candidats susceptibles d’enseigner sur des périodes ou des sujets qui dépassent leur champ de recherche. Le fait d’être normalien peut être également un atout supplémentaire. Enfin, l’expérience d’enseignement est mise en avant, que ce soit comme ATER (Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche), AMN (Allocataire Moniteur Normalien) ou en lycée.

« Il y a deux critères : la valeur de la thèse : d’après le rapport de thèse et la mention à la soutenance. L’absence de félicitations est rédhibitoire. Et la possession de l’agrégation : c’est

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une priorité. On est sûr d’avoir les meilleurs. L’agrégation est la garantie d’un niveau intellectuel global. La vertu de l’agrégation en histoire c’est l’organisation et la réflexion sur un sujet. Ces deux qualités sont indispensables. » (Professeur, homme, Histoire-Paris)

« Le concours, et en particulier l’agrégation, est un gage de culture générale, de méthode et d’aptitude à offrir des cours variés. On a recruté une fois une personne sans agrégation mais elle était étrangère et avait le profil recherché. » (Maître de conférences, Histoire-Région)

En outre, des informations complémentaires peuvent être recherchées. Si des candidats ont déjà enseigné quelque part, on cherche à savoir s’ils sont « sympas et s’ils font leur travail ». Enfin, la situation personnelle des candidats joue un rôle plus important que dans les deux autres disciplines.

« On a tendance aussi à prendre en compte la situation du candidat : on va plutôt prendre celui qui se retrouverait à enseigner en collège au fin fond du 93 plutôt que celui qui demande une mutation ou celui qui peut prolonger son poste d’ATER. L’expérience d’enseignement est prise en compte, même en collège, voire surtout en collège, car celui qui a enseigné dans un collège de banlieue pourra maîtriser les étudiants parisiens. On a une connaissance des candidats : chez les antiquisants ou les médiévistes, il est rare qu’on ne connaisse pas les candidats, indirectement ou directement. On connaît le candidat sur le plan humain, scientifique, pédagogique, relationnel. Bien plus fréquent qu’en histoire moderne ou contemporaine. Malgré tous ces critères, pour départager les candidats, ce sont les critères académiques qui sont les plus importants (publications surtout). » (Maître de conférences, homme, Histoire-Paris)

Dans les trois disciplines, les critères qui prévalent pour évaluer les dossiers des candidats varient par conséquent selon le profil recherché (plus ou moins centré uniquement sur la recherche) et sont par ailleurs plus ou moins normés et standardisés. La plus ou moins grande attention portée aux activités scientifiques et la plus ou moins forte normalisation semblent varier en fonction de deux facteurs : d’une part la discipline (on retrouve ici l’écart entre l’histoire et la biologie) et d’autre part la stratégie ou le positionnement du département. Plus il est soumis à de fortes demandes en enseignement et à une forte concurrence réputationnelle exercée par des établissements géographiquement proches, moins il peut s’inscrire dans une logique uniquement scientifique (comme on peut le constater à Gestion-Paris, par rapport à Gestion-Région).

1.3 Les critères qui font tension

Dans une très large mesure, les critères pris en compte par les membres d’une même commission, et plus largement au sein d’une même discipline, sont assez convergents. Cependant, on retrouve, d’un entretien à l’autre des éléments qui sont moins partagés, voire qui peuvent créer des tensions.

Certains sont très liés à une discipline. On a déjà signalé plus haut qu’à Gestion-Région, certains évaluateurs ajoutaient aux critères scientifiques habituels, le fait d’avoir eu, ou non, une expérience ou des activités en entreprise. A Gestion-Paris, un interviewé a déploré une dérive tendant, au sein de la gestion de manière générale, à déconsidérer les « professionnels ». On retrouve ici une tension très présente actuellement dans cette discipline (Becquet et Musselin 2004) entre ceux qui défendent des

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profils très « académiques » et des objets et méthodes de recherche très théoriques, souvent très formalisés, et ceux qui estiment qu’un gestionnaire doit connaître les entreprises et que la recherche doit comporter une dimension de conseil ou du moins une orientation « pratique ». Dans nos deux départements de gestion, cela ne va pas jusqu’à créer des conflits dans la commission, mais on observe des sensibilités plus ou moins grandes à l’un ou l’autre profil d’un interviewé à un autre.

Une autre source de tension est liée au sort à réserver aux candidats locaux. Dans la plupart des départements étudiés, on ne s’interdit pas de recruter d’anciens doctorants ou ATER, mais cette pratique n’est pas systématique. Dans les deux départements de biologie, la réticence exprimée vis-à-vis des « locaux » est un peu plus forte qu’ailleurs, mais cela ne fait pas de différences très marquées sur les « résultats », c’est-à-dire sur le pourcentage de locaux recrutés au cours des dernières années. Le seul département qui fasse exception est celui d’Histoire-Région. Non seulement le recours aux candidats y est plus fréquent mais de plus, cela est l’objet de tension en interne entre les membres de la commission (minoritaires) qui s’opposent à ces pratiques et ceux auxquels elles ne posent aucun problème, même quand le candidat local est manifestement moins « bon ».

« Il y avait cette année un poste plutôt ouvert. On voulait quelqu’un du XIXème siècle. Il y a eu un lobby sur l’histoire économique et sociale. La personne qui partait avait ce profil et voulait qu’on le remplace. Il y a eu trois candidats : un PRAG (Professeur agrégé du secondaire) d’une université voisine (considérée comme locale), deux extérieurs dont une fille première à l’agrégation. Les femmes de la commission n’ont pas senti la fille un peu échevelée, son thème de recherche était à la marge des attentes. Elle n’a pas été recrutée. Mon collègue prof n’a pas digéré ce recrutement quasi local…mais il n’était pas là, alors …. » (Professeur, Histoire-Région)

« Nous avons recruté cette année un ATER interne. C’est une personne discrète. On savait qu’il ferait le boulot. On l’a pris même si on savait qu’il y avait des gens meilleurs que lui en recherche. Il y a une crispation sur l’enseignement actuellement » (Professeur, Histoire-Région).

Par ailleurs, c’est une question sur laquelle les départements peuvent évoluer dans le temps, ce qui montre qu’elle est toujours susceptible d’être un sujet de discussion et un point de clivage. A Gestion-Région, les recrutements de maîtres de conférences au cours des dernières années ont été assez partagés entre locaux et extérieurs, mais il semble que cela n’ait pas toujours été le cas par le passé.

« Et c’est vrai qu’il y a toujours le privilège du local par rapport à des candidatures extérieures. Ce n’est pas le cas partout mais en gestion, cela reste assez prégnant (…).

Question : Encore à l’heure actuelle ?

C’est moins vrai. Je ne suis que maître de conférences, donc je ne peux pas dire, mais je suis quand même surprise quelquefois que des gens qui ont été… Ca fait peut-être partie du parcours du combattant de dire que ces jeunes aillent voir un petit peu ailleurs avant de revenir. » (Maître de conférences, femme, Gestion-Région)

Un troisième et dernier point de clivage entre nos interviewés concerne le recours aux contacts personnels, qu’il s’agisse de ceux que certains candidats peuvent prendre pour obtenir des informations supplémentaires, chercher à rencontrer certains membres du département ou se faire mieux connaître, ou de ceux que les membres de la commission peuvent avoir auprès de collègues d’autres établissements pour savoir ce qu’ils pensent du candidat qui se présente chez eux. Les avis sont divisés sur l’une et l’autre éventualité.

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Pour les candidats, les membres des commissions admettent tous qu’ils appellent le bureau du personnel ou éventuellement le président de la commission pour savoir si le poste est plus profilé que ne le laisse penser l’annonce officielle. En revanche, le candidat plus « accrocheur » sera plus ou moins bien vu. Dans certains sites, Biologie-Paris et Biologie-Gestion par exemple, les contacts entre les unités qui recrutent et les candidats retenus pour l’audition sont souhaités. Sur d’autres sites, les membres de la commission seront au contraire irrités par ce comportement.

« Les directeurs de laboratoire qui demandent un poste pour leur labo sont censés recevoir tous les candidats sélectionnés pour l’audition qui le demandent et leur donner les mêmes indications » (Professeur, femme, Biologie-Paris)

« Je n’aime pas trop que certains me téléphonent. Je vais leur donner des informations que d’autres n’auront pas. Je n’aime pas ça, ce n’est pas juste vis-à-vis des autres. J’aime bien l’égalité des chances entre les gens. Je n’aime pas qu’on me téléphone. Par contre, je sais que c’est dans la pratique courante donc j’évolue avec cette idée là en me disant : ‘après tout, ceux qui ne me téléphonent pas, c’est peut-être parce qu’ils ne sont pas intéressés ?’ » (Professeur, femme, Gestion-Région)

Le même clivage est observable entre d’un côté des membres de commission qui se renseignent auprès de collègues qui connaissent les candidats et ceux qui au contraire ne veulent pas engager des démarches qu’ils n’estiment pas fiables.

« On peut le faire, mais il faut voir comment les gens donnent des renseignements. (…) J’ai téléphoné à celui qui avait encadré sa thèse et il m’a dit ‘il n’est pas mal, etc.’. En réalité, il ne tenait pas la route. » (Professeur, homme, Gestion-Région)

« Il existe des visites avant [les auditions]. Je suis content de les rencontrer, à leur demande. Je les prépare à l’audition…..On a vu les plus intéressants avant l’audition. » (Professeur, homme, Histoire-Paris)

Sans tirer de conclusions trop hâtives (nous n’avons travaillé que sur deux sites par discipline), notre échantillon fait quand même ressortir des différences quant aux profils recherchés. La recherche et l’enseignement sont pris en compte de façon plus équilibrée en histoire même dans un site réputé comme Histoire-Paris, alors que la recherche est la dimension clef pour les deux sites de Biologie. De leur côté, les gestionnaires privilégient la recherche, mais à condition qu’elle soit accompagnée d’autres formes de compétences.

Par ailleurs, le caractère plutôt consensuel du travail en commissions n’exclut pas des divergences sur certains points, même si ces désaccords n’entraînent de tensions que dans le cas d’Histoire-Région, où la prime aux « locaux » est dénoncée par une partie de la commission (pour l’heure minoritaire).

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