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Des modes de recrutement caractérisés par la rareté de candidats

Tous les départements, au-delà de la pluralité de leurs rattachements institutionnels et disciplinaires, signalent le manque de candidatures comme la caractéristique majeure des recrutements aux postes de professeur. En effet, le nombre de candidatures par poste publié varie de 0 à 4. Biologie-Paris fait exception dans une certaine mesure, avec un nombre de candidats compris entre 2 et 8 selon les postes. Cette rareté est construite par le mode de fonctionnement du marché du travail des professeurs. Nous allons l’appréhender selon deux points de vue :

- du côté de l’offre, en analysant les facteurs qui réduisent le vivier potentiel de candidats, ainsi

que le nombre de candidatures effectives ;

- du côté de la demande, en examinant les éléments de la procédure de recrutement qui

construisent cette rareté ainsi que les moyens éventuellement mis en œuvre par le département ou par la commission de spécialistes pour y remédier.

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IV.2.1. Un vivier réduit. Mais comment peut-on être prof ?

a) L’habilitation à Diriger des Recherches : une « formalité » ou une « œuvre » ?

En biologie et en histoire, le vivier de candidats dépend, en amont, des exigences requises pour la qualification par le CNU, la première d’entre elles étant l’obtention de l’Habilitation à Diriger des Recherches (dite HDR).

La préparation de l’Habilitation à Diriger des Recherches demande un effort plus ou moins concentré dans le temps. En histoire, elle s’apparente à une seconde thèse : 200 à 300 pages nouvelles par rapport à la thèse, une note de synthèse d’une centaine de pages, la démonstration de l’aptitude à diriger des recherches… La lourdeur de cet investissement plusieurs années après le recrutement, dissuade de nombreux candidats. Une évolution semble toutefois apparaître : la génération des maîtres de conférences les plus récemment recrutés présente plus systématiquement et plus

rapidement une HDR. De ce fait, « maintenant tout maître de conférences recruté est potentiellement

un prof » (Histoire-Région, maître de conférences). En biologie en revanche, le mémoire se présente comme un résumé du parcours professionnel et sa rédaction n’est pas présentée comme une épreuve de longue haleine. Les candidats dont le dossier de recherches est suffisamment étoffé lui consacrent en général trois mois de travail.

« Ca ne demande pas un gros investissement. Comme pour tout le reste en biologie il y a des critères en termes de publications, En gros il faut avoir publié régulièrement les 5 dernières années, en gros une publication par an. En général elle se passe 5 ou 6 ans après le recrutement. » (Maître de conférences, Biologie-Région).

Le moins lourd investissement requis par l’HDR en biologie ne protège cependant pas cette discipline d’une pénurie de candidats. D’autres facteurs interviennent en effet.

b) Professeur, un statut inégalement valorisé

L’attractivité matérielle et symbolique du statut de professeur est aussi évoquée pour expliquer le faible nombre de candidatures. Cette fonction apporte avec elle des charges scientifiques, pédagogiques et administratives particulièrement lourdes, pour lesquelles les contreparties sont souvent faibles.

Le niveau des compensations matérielles et symboliques attachées au professorat dépend en effet des traditions disciplinaires et des pratiques institutionnelles propres à chaque département, ainsi que de la manière dont elles se conjuguent. A Histoire-Paris et Biologie-Paris, la ligne de partage entre les maîtres de conférences et les professeurs est marquée, les relations entre les deux groupes hiérarchisées et les tâches de chacun bien distinctes. De ce fait, les prérogatives des professeurs,

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notamment pédagogiques, présentent une réelle incitation à obtenir ce statut : les cours magistraux, ainsi que l’encadrement officiel des étudiants de Master, leur sont réservés.

Mais d’autres départements ne connaissent pas de ligne de clivage aussi tranchée entre professeurs

et maîtres de conférences. Certains parmi ces derniers sont amenés à « faire pratiquement un boulot

de prof » sans avoir à assumer l’ensemble des responsabilités associées au statut. Cela est observable y compris dans des disciplines où la coupure entre les deux corps est traditionnellement claire (Histoire et Biologie), notamment dans des départements peu prestigieux et/ou de petite taille qui sont amenés à laisser aux maîtres de conférences, et notamment à ceux qui sont « habilités », davantage d’autonomie et de responsabilités administratives ou scientifiques. De ce fait, l’incitation à passer l’HDR peut être forte, mais celle à se présenter aux emplois de professeur relativement faible : on constate en effet que certains maîtres de conférences passent l’HDR mais qu’ils ne se présentent pas pour autant au concours.

En outre, l’attractivité du statut n’est jamais un facteur isolé, mais doit être associée aux logiques de recrutement déployées par les départements. Ainsi, dans l’exemple de Biologie-Région, l’incitation des maîtres de conférences à se présenter au concours est d’autant plus faible que le département privilégie les candidats extérieurs. Si les postes de professeur permettaient une promotion locale, nos interlocuteurs estiment que plusieurs maîtres de conférences habilités se présenteraient sans hésitations au concours, afin d’obtenir la reconnaissance de l’ampleur des responsabilités qu’ils prennent en charge. La contrainte de mobilité géographique qui peut accompagner le passage au professorat constitue ainsi un frein supplémentaire. Sur les six départements que nous avons étudiés, seul Histoire-Région pratique une politique de préférence systématique pour les candidats locaux : les autres ont une politique plus ouverte aux candidats extérieurs, voire une préférence marquée (Biologie-Région) ou exclusive (Histoire-Paris). Si une telle politique n’incite pas les maîtres de conférences de ces départements à passer professeurs, elle tend aussi à réduire le nombre de candidats qui se présentent quand les départements qui la pratiquent ne disposent pas d’atouts suffisants pour compenser le coût de la mobilité. Ainsi, on trouve d’un côté des départements suffisamment prestigieux pour attirer des candidats, mais desservis par l’environnement de vie qu’ils proposent : c’est le cas d’Histoire-Paris, dans lequel les coûts liés au logement dissuadent certains candidats en poste dans une autre région. De l’autre, on trouve des départements qui ne sont pas suffisamment attractifs pour que le prestige et les avantages matériels liés au statut de professeur offrent une contrepartie forte au changement de résidence (par mutation à Gestion-Paris).

IV.2.2. La rareté, à la fois contrainte et logique de recrutement.

Nous venons de montrer que plusieurs facteurs permettaient de comprendre le faible attrait des postes de professeur pour certains maîtres de conférences et donc l’existence d’une demande réduite. Si l’on se tourne du côté de l’offre, on constate que les départements entretiennent

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volontairement cette pénurie, ou bien la préfèrent à une redéfinition de leurs critères et développent alors des stratégies pour pallier le manque de candidats.

a) Entretenir la rareté ou s’en satisfaire.

La rareté des candidatures n’est pas toujours perçue comme un problème par les départements. Certains jugent ainsi que cette forme de régulation du marché du travail est ajustée à leurs objectifs de recrutement, si bien qu’ils contribuent à construire la rareté et s’en accommodent.

Ainsi, Histoire-Région préfère systématiquement les candidatures locales. Plusieurs stratégies permettent de dissuader les candidats extérieurs : la rédaction du profil en lien très étroit avec celui du candidat local pressenti, l’opacité des critères de sélection des candidats, l’absence de publicité autour de la vacance d’un poste et la circulation de l’information par le bouche à oreille… Rien n’est ainsi fait pour augmenter le nombre de candidatures.

Ce cas est toutefois assez isolé. Les autres départements déplorent plus fréquemment la pénurie de candidats. Toutefois ils ne la déplorent pas au point de modifier leurs exigences ou préférences afin d’attirer plus de postulants.

Ainsi Histoire-Paris connaît également une rareté de candidats, du fait des exigences que ce département attache au recrutement des professeurs (ouverture des postes à la mutation seulement, étroitesse des profils de recherche et d’enseignement, prestige de la fonction…). Toutefois, la taille restreinte du vivier de candidats n’inquiète pas les recruteurs puisque les postes vacants sont eux-mêmes rares. Elle constitue certes une contrainte, mais est aussi un mode satisfaisant de régulation à l’échelle du département.

Dans d’autres départements, ce sont d’autres critères qui favorisent le manque chronique de candidatures aux emplois de professeur : refus de recruter des maîtres de conférences locaux et utilisation des postes de professeur vacants pour promouvoir une politique offensive de recherche (Biologie-Paris et Biologie-Région) ou encore pour développer de nouvelles spécialités d’enseignement… De tels choix conduisent à définir des profils étroits, qui initient ou renforcent des compétences absentes ou peu développées localement et donnent la priorité à des jeunes brillants. Une telle politique restreint inévitablement le vivier de candidats potentiels (ce que critiquent certains membres de la commission de spécialistes, qui y voient un « excès de jeunisme »), la direction du département, parfois soutenue par la Présidence de l’université, n’est pas prête à y renoncer.

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b) Comment ouvrir le jeu ? À la recherche de candidats.

Tous les départements qui recrutent leurs professeurs à l’extérieur s’engagent dès lors dans une prospection des candidats potentiels aux emplois de professeurs, en France ou à l’étranger.

Les acteurs qui se trouvent au cœur de ces démarches ne sont pas les mêmes selon l’organisation traditionnelle de la discipline. Dans certaines d’entre elles, la recherche est invariablement structurée autour de laboratoires et le recrutement d’un professeur se définit en premier lieu comme son intégration au sein d’une unité de recherche (en biologie notamment). Dans cette configuration, ce sont les directeurs d’unité qui sollicitent auprès du département l’affectation d’un poste de professeur à leur laboratoire et qui conduisent les démarches de définition du profil du poste et de démarchage des candidats. En revanche, quand les enseignants chercheurs ne sont pas systématiquement rattachés à des laboratoires de recherche, ce sont alors les membres de la commission de spécialistes, ou d’autres personnes du département, qui jouent un rôle clef pour solliciter les candidatures extérieures (histoire, biologie).

Les phénomènes de réseaux et d’interconnaissance jouent un rôle d’autant plus essentiel pour trouver des candidats que le milieu scientifique concerné par la spécialité recherchée est étroit. A Histoire-Paris par exemple, les professeurs sollicitent des personnes de leur entourage ; le président de la commission rencontre les candidats avant la réunion plénière et il leur conseille d’aller voir le chef de la spécialité.

« Dernier recrutement de cette année : on perdait un prof du haut moyen âge. On s’efforce de conserver les équilibres. On a sollicité quelqu’un sur le marché, la personne a accepté. Il y a eu réunion de la section du moyen âge et il y a eu accord sur un nom. C’était une mutation ; les hauts médiévistes sont peu nombreux sur le marché. » (Professeur, homme, Histoire-Paris).

Certains départements diffusent également très largement leurs offres d’emploi, notamment lorsque l’ouverture internationale de la discipline les porte à convoiter également des candidats étrangers (Biologie-Région) :

« Pendant trois ans ils ont mis des annonces partout dans Nature, Science… Et personne ne venait ! Le poste a été mis deux fois au concours il me semble » (Maître de conférences, femme, Biologie-Région).

La publicité des postes ne les prive pas pour autant des démarches d’activation des réseaux, ces dernières s’avérant souvent plus efficaces en pratique. Elles constituent de plus souvent une meilleure garantie contre les risques de défection ou d’échec des candidats, au recrutement extérieur comme à la mutation :

« La mutation des professeurs est un marché particulier. On suscite des candidatures. Les gens ne se présentent que si ils sont certains de ne pas prendre de claques ». (Professeur, homme, Gestion-Paris).

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Le risque de ne pas trouver de candidat, ou de voir celui que l’on avait retenu ne pas venir finalement, n’est cependant jamais complètement écarté et certaines années, les postes ne sont pas pourvus (Gestion-Paris et Biologie-Région).

Faible attractivité des postes de professeurs d’un côté (les coûts associés au professorat étant souvent jugés trop élevés par rapport aux gains attendus) et construction de la rareté du côté des départements se conjuguent par conséquent pour constituer un marché des professeurs étroit, et par conséquent très différent de celui des maîtres de conférences. Cela n’est pas sans incidence sur le travail des commissions.