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L’élaboration des rapports : de l’absence de formalisation à la standardisation

standardisation

Comme pour l’attribution des dossiers, la production de rapports écrits ne se traduit pas partout de la même manière. Dans certaines commissions, le travail sur les dossiers est assez standardisé tandis que dans d’autres, il est laissé à l’initiative des rapporteurs. Il en va de même pour la rédaction des rapports eux-mêmes. Sur ce point, les textes officiels se contentent d’indiquer que les rapports doivent être écrits, datés et signés. Chaque commission interprète cela à sa manière.

II.3.1. La plus ou moins importante standardisation du travail sur les dossiers

La biologie apparaît comme la discipline pour laquelle le travail des rapporteurs est le plus formalisé.

Les deux commissions étudiées fonctionnent avec des fiches « standardisées ». A Biologie-Région,

chaque rapporteur doit renseigner une fiche identique pour tous les candidats et tous les postes, sur laquelle figurent des éléments jugés essentiels qui s’avèrent très normés dans cette discipline : parcours avant la thèse, sujet et lieu de la thèse, articles originaux issus de la thèse (avec le rang d’auteur par rapport au nombre d’auteurs), existence d’un post doc (mobilité géographique ou thématique), articles originaux issus du post doc, enseignement.

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A Biologie-Paris, c’est le bureau qui établit la fiche standardisée de chaque candidat. C’est elle qui servira de bases aux discussions générales. Elle comprend les informations suivantes :

Numéro de concours Nom, prénom, âge

Thèse : université, année, titre, directeur et date

Post-doc : lieux (1, 2..) sujet(s)

Enseignement : statut (ATER, moniteur, vacations), volume horaire, type d’enseignement (TP, TD, cours, conférences)

Publications : nombre dans des revues avec comité de lecture

Nombre en premier auteur (pour les maîtres de conférences).

Dans ces deux cas, la formalisation est accompagnée d’un effort de quantification, de construction d’indicateurs chiffrés (rang d’auteur, facteur d’impact de la revue etc.).

Cela constitue la principale différence avec les deux commissions de gestion : elles aussi recourent à des grilles de dépouillement relativement standardisées et identiques d’un candidat à l’autre, mais elles comportent moins d’éléments quantifiés.

« Globalement, ce que l’on regarde, c’est le profil du candidat, âge, situation familiale, etc. Ensuite la date de soutenance. On note la situation maritale car c’est demandé dans le CV lors de la demande. » (Maître de conférences, homme, Gestion-Région)

« On a une grille. C’est la même pour toutes les universités en gestion. Il y a une partie ‘état civil’ avec le nom, l’âge, l’adresse… C’est important l’adresse car on peut avoir ensuite de grosses déconvenues dans l’investissement des recrutés. (…) Après il y a une partie ‘formation’ : diplômes obtenus, cursus… Cela reproduit les formulaires du CNU. (…) Puis on classe la thèse : titre, année, directeur, jury et les mentions. Puis les publications et là on distingue celles dans des revues avec comité de lecture. On regarde les communications à des congrès et si elles ont ou non été publiées. Et puis il y a une partie pédagogie : quels enseignements ? Puis on indique si les personnes se sont impliquées dans les charges administratives. Alain Burlaud, quand il était président du CNU a imposé la prise en charge des responsabilités administratives ». (Maître de conférences, femme, Gestion-Paris)

En histoire en revanche, le travail sur dossier est moins codifié, moins standardisé et pas du tout quantifié. Les membres de la commission n’ont pas sous les yeux de documents synthétiques faisant ressortir les principales caractéristiques des candidats en présence et permettant de les comparer sur des dimensions précises. Chaque dossier constitue un tout sur lequel est porté un jugement

d’ensemble, éventuellement déclinable en grandes dimensions (recherche versus enseignement par

exemple) mais pas décomposé en petites unités ou en indicateurs chiffrés.

Le travail de dépouillement prend ainsi des formes différentes d’une commission à l’autre et surtout d’une discipline à l’autre selon un continuum qui comprend à un bout la biologie et un traitement assez formalisé, analytique et quantifié des dossiers et à l’autre bout l’histoire et un traitement plus global, plus synthétique des candidatures.

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II.3.2. Des rapports dont la forme varie au gré des disciplines, mais aussi de l’inspiration de leurs auteurs

Un constat assez similaire vaut pour la rédaction des rapports. Nous n’avons pu avoir accès aux rapports eux-mêmes mais leur élaboration donne lieu à des pratiques également diversifiées.

C’est à nouveau en biologie que nous avons rencontré le plus de « standards ». Ainsi à Biologie-Paris, le rapporteur, une personne différente de celle qui, au sein du bureau, a saisi les données du tableau, établit un court rapport écrit (1/2 page à 1 page pour les maîtres de conférences, plus d’une page pour les professeurs) et oral (3 minutes) qui doit permettre de faire ressortir les 5 à 10 candidats à auditionner. Chaque rapporteur doit étudier entre 3 et 7 dossiers de maîtres de conférences. Il y a deux rapporteurs par dossier. Le premier lit son rapport en entier. L’autre complète s’il souhaite renforcer, nuancer ou contredire ce premier jugement.

« Les rapporteurs doivent préparer un rapport court, d’une demi page permettant de répondre à la question ‘le candidat doit-il être retenu pour l’audition ? Et on rappelle que pour chaque poste on auditionnera au maximum 10 candidats. Et on demande dans le rapport de ne pas reprendre les informations données dans la fiche, insister sur ce… Puisqu’on sait son âge, on sait là où il a fait sa thèse puisque la fiche est distribuée à tout le monde, mais on demande de mettre en avant les critères qui lui semblent importants, pour ou contre. » (Professeur, femme, Biologie-Paris)

Dans les autres disciplines, les rapports ne font pas l’objet de conditions particulières, si ce n’est

parfois des usages sur leur longueur (faire « deux pages » par exemple à Histoire-Paris). Mais le

contenu de ces deux pages, c’est-à-dire les éléments à prendre en compte dans les dossiers ou leur éventuel chiffrage) ainsi que leur densité sont ensuite laissées à l’entière appréciation de leurs auteurs.

Dans certains cas, les rapports sont extrêmement laconiques. C’est la pratique qui prédomine à Gestion-Paris. Arguant que les candidats ont été auparavant qualifiés par le CNU, et qu’on ne peut donc remettre en question dans un rapport leur qualité scientifique ou pédagogique, on se rabat sur le profil du poste pour justifier la décision prise.

« Les dossiers de ces gens sont déjà passés au CNU. On ne peut donc le dédire dans les rapports. Ceux qui se présentent ont obtenu la qualification. On ne peut pas dire qu’on ne les prend pas parce qu’ils ne sont pas bons. On indique qu’il y inadéquation au poste. » (Gestion-Paris, maître de conférences, femme, extérieure)

A Histoire-Région, le rapport ne devant être produit qu’en cas de demande explicite faite par le candidat ou en cas de recours, certains rapporteurs se contentent de prendre des notes personnelles et font un rapport oral en commission. Ils ne le transformeront en rapport écrit que si cela est nécessaire.

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Si l’on croise maintenant les trois facteurs retenus, la transparence des procédures d’affectation des dossiers, la forme plus ou moins analytique et standardisée du dépouillement et la plus ou moins grande formalisation de la rédaction des rapports, on obtient les variations suivantes.

Tableau 9. : Degré de formalisation et de standardisation pour le travail sur les rapports

DISCIPLINE PARIS REGION

Biologie Affectation transparente, dépouillement analytique et

rapport formalisé

Affectation transparente, dépouillement analytique et

rapport formalisé Gestion Affectation transparente,

dépouillement assez analytique et rapport assez formalisé

Affectation peu transparente, dépouillement assez analytique

et rapport peu formalisé Histoire Affectation non transparente

(sauf pour les spécialistes), dépouillement synthétique et

rapport non formalisé

Affectation non transparente dépouillement synthétique et

rapport non formalisé

Les pratiques sont donc très différenciées et attachées aux usages de chaque commission mais aussi à des traditions plus disciplinaires. Nous reviendrons plus loin sur les effets que cette plus ou moins forte formalisation et le caractère plus ou moins analytique du dépouillement peuvent avoir. Pour l’heure, contentons nous de remarquer que quelle que soit la forme que prennent les rapports, ils ont tous un point commun : pouvant devenir publics, et consultables par les candidats en particulier, ils ne comportent pas les opinions véritables de leurs auteurs. Comme nous l’a dit l’un des recruteurs : dans un rapport, ce dont on ne parle pas est plus important que ce que l’on a écrit. En effet, le travail des rapporteurs consiste avant toute chose à réduire le nombre des candidats.