• Aucun résultat trouvé

Bien que les mêmes règles régissent a priori la procédure d’analyse des dossiers de candidature, les

commissions de spécialistes étudiées ne fonctionnent pas toutes de la même manière.

Une fois les dossiers reçus, ils sont partout affectés à deux rapporteurs. Dans la plupart des cas, c’est un maître de conférences et un professeur qui sont chargés de rédiger les rapports. Cette pratique a parfois été introduite pour éviter que les professeurs ne favorisent un de leurs anciens thésards. Nous

45 

ne disposons pas d’informations suffisamment fines sur les rôles respectifs des membres titulaires et

des membres suppléants9, ou encore sur la place accordée aux membres extérieurs lors de cette

répartition dans les commissions étudiées, et dans les textes, il n’est pas fait mention de cette distinction pour l’attribution des dossiers.

Le choix des rapporteurs est déterminant pour les candidats dans la mesure où les rapports produits constituent le premier élément clé de la procédure : selon l’avis émis par les rapporteurs, les candidats seront ou non auditionnés en commission plénière. En outre, les rapports peuvent être consultés par les candidats, en particulier par ceux qui auront été rejetés. Il est donc essentiel de pouvoir produire des rapports qui ne risquent pas de faire l’objet de contestation, voire de recours.

« La répartition des dossiers entre rapporteurs, c’est un pouvoir énorme. Vous connaissez les gens, vous savez que si vous donnez ce dossier à Untel, il va l’aligner, alors que le deuxième Untel va la trouver meilleur » (Maître de conférences, homme, Gestion-Région).

Dans les différentes commissions on essaie, autant que faire se peut, d’attribuer les dossiers aux rapporteurs en fonction de leur spécialité, donc de confier la rédaction des rapports aux membres de la commission les plus compétents pour les évaluer. Toutefois, on constate que, d’une commission à l’autre, cette attribution est réalisée de manière plus ou moins collective, les critères sont plus ou moins explicites et les possibilités de ré-allocation, ou de retour sur les décisions prises, sont plus ou moins envisageables.

II.2.1. Des procédures collectives et plutôt transparentes dans trois sites

Dans la moitié des cas (Biologie-Paris, Biologie-Région, et Gestion-Paris), c’est le bureau de la commission ou une sous-commission qui attribue les dossiers. Autrement dit, la décision est collective et suppose un accord entre plusieurs personnes.

Ainsi, à Biologie-Paris, c’est le bureau qui répartit tous les dossiers en fonction des compétences du rapporteur. Il est composé de 4 personnes, élues par la commission dans le souci de respecter l’équilibre des disciplines et des compétences.

Mais dans certains cas, on observe des procédures plus formalisées ou plus spécifiques. Un exemple de plus grande formalisation est offert par Biologie-Région où des règles supplémentaires ont été édictées afin de lutter contre le mandarinat et le favoritisme local : le choix des rapporteurs fait l’objet d’une grande vigilance de la part du bureau qui fait largement appel à des « membres extérieurs » de la commission pour expertiser des dossiers. Il est d’usage de confier les dossiers à un membre « intérieur » et à un membre extérieur. Le vice-président de la commission tient une comptabilité

9

A Histoire-Paris, titulaires et suppléants semblent concernés de la même manière, par souci de répartir la charge de travail occasionnée entre le plus grand nombre de membres. A Biologie-Paris, on affirme impliquer le plus possible les suppléants et les inciter à participer régulièrement, mais surtout à être rapporteurs afin de multiplier les avis.

46 

précise du nombre de candidats locaux rapporté à celui des « faux extérieurs » et des « extérieurs complets ». Si aucun candidat n’est « local » (c'est-à-dire s’il n’a pas fait sa thèse ni un « post doc » dans le laboratoire d’accueil du futur recruté ou dans un laboratoire proche), le directeur du laboratoire d’accueil est invité par le bureau à rapporter sur quelques dossiers, le second rapporteur étant choisi selon la procédure habituelle. Quant à l’opinion du directeur de laboratoire sur les candidats, elle est prise en compte avec beaucoup de précautions :

« Autre chose, la veille de la distribution des dossiers le directeur de laboratoire peut regarder tous les dossiers s’il le souhaite et on lui demande de sortir environ 20 % des candidats sur lesquels il a une préférence. Si c’est un poste pour lequel il n’y a aucun local, on lui demande de faire les rapports pour tous les dossiers qu’il a sortis. S’il y a le moindre biais, il ne fait aucun rapport. » (Maître de conférences, homme, biologie région).

« Je peux vous dire combien de fois on n’a pas recruté le candidat favori du laboratoire et ça je suis pratiquement le seul à pouvoir le faire, puisque je sais quels dossiers avaient la préférence du directeur du laboratoire. Sur les 23 maîtres de conférences recrutés en six ans, il y avait 12 fois un candidat local favori et on en a recruté environ 1 sur 2. En tout cas j’ai 5 exemples en tête où on a recruté le candidat local parce qu’il était le meilleur. » (Maître de conférences, homme, Biologie-Région)

A Gestion-Paris, on observe aussi une procédure collective mais assez atypique. En effet, un petit groupe constitué du président et de l’assesseur de la commission auxquels s’ajoutent les personnes les plus directement concernées par le recrutement en cours est chargé d’un travail de présélection des dossiers reçus. Il s’agit d’éliminer dès le départ les dossiers qui ne correspondent pas au profil demandé. Les critères sont clairs et connus : domaine de recherche incompatible, manque de publications, absence d’expérience d’enseignement, essentiellement. A l’issue de ce travail de présélection, il reste entre 20 et 30 dossiers à étudier en détail. Cette opération de présélection est ensuite expliquée et « donnée à voir » aux membres de la commission qui ne participent pas au groupe préparatoire. Cela permet de revenir sur les choix effectués. Plus qu’une contestation des décisions prises ou qu’une réparation d’injustices commises, l’éventuelle intervention des membres de la commission est présentée par ces derniers comme un conseil, ou bien comme une manière d’alerter sur le risque qu’il y a à écarter un candidat dont la compétence pourrait finalement être bénéfique au département. A ce stade, ajouter ou retirer un nom de la liste ne pose pas de problème. Les dossiers restants peuvent alors être attribués à des rapporteurs, selon des critères qui semblent moins connus que ceux de la présélection car les informations recueillies sur ce point varient d’une personne à l’autre, tant à propos de la répartition entre maîtres de conférences et professeurs qu’en ce qui concerne la prise en compte des spécialités des rapporteurs.

Dans ces commissions, la transparence est le plus souvent garantie par le caractère collectif du processus et la présence de plusieurs personnes lors de l’attribution des dossiers, mais aussi par une certaine formalisation des règles ou des façons de procéder.

47 

II.2.2. Des procédures plus opaques dans les trois autres sites

Le bureau des commissions ne prend cependant pas toujours en charge la répartition des dossiers. Dans certains cas, c’est le Président de la commission, parfois assisté d’un autre membre du bureau, qui attribue les dossiers sur la base des spécialités des rapporteurs potentiels. C’est le cas à Gestion-Région. Les autres membres de la commission ne savent pas sur quelle base se fait l’attribution.

« Je ne saurais vous dire. Je ne sais pas qui le fait. Je sais simplement qu’on en a plus ou moins. Il y en a qui en ont beaucoup, les plus anciens, ceux qui ont de l’expérience, qui sont à la Fac ou à l’IAE. » (Maître de conférences, femme, Gestion-Région)

Pour le président de la commission, cette maîtrise de l’attribution des rapporteurs est importante pour « verrouiller » (sic) la commission : il s’agit non pas de choisir à la place de la commission, mais d’éviter que ne surviennent des problèmes au cours du processus de décision ou après celui-ci. Dans des cas particulièrement délicats, le « verrouillage » peut être plus intrusif. Ainsi, à Gestion-Région, pour éviter de mauvaises surprises, certains dossiers peuvent être « réservés ».

« La répartition se fait ainsi, sauf si a priori on sait à peu près qui on veut et dans ce cas là, je prends le dossier parce que je sais que c’est la personne qu’il faut que je recrute. Et ce n’est pas moi qui décide que ce sera telle personne. Jamais je ne déciderais seule parce qu’on peut se tromper. Mais à plusieurs professeurs, on sait à peu près qui on veut recruter. Cela peut être des gens partis à l’extérieur et qui veulent revenir. ». (Professeur, femme, Gestion-Région)

Dans d’autres commissions, c’est au doyen de la spécialité concernée par le recrutement que revient le choix des rapporteurs. C’est le cas à Histoire-Paris.

« On a demandé au doyen des médiévistes du collège A de répartir les dossiers. Chaque dossier est examiné par un membre du collège A et par un membre du collège B, pour les rapports. On a réparti entre les médiévistes (titulaires et suppléants) et entre ceux qui sont en art et archéologie. Quand il y a des dossiers en médiéval, c’est toujours comme ça : il y a un rapporteur collège A et un rapporteur collège B. En histoire ancienne, on répartit entre collège A et B sur toute la section (y compris art et archéologie). A chaque fois, c’est le doyen de la section (soit en histoire médiévale, soit en ancienne) qui répartit. C’est une règle informelle qui fonctionne bien. Ce n’est pas toujours les mêmes qui ont les dossiers à faire. » (Maître de conférences, femme, Histoire-Paris)

Concernant Histoire-Région, il semble que l’affectation soit faite un peu au hasard en essayant de respecter là aussi, autant que faire se peut, les spécialités. On peut dire qu’en histoire sur les deux sites, la visibilité de la procédure, de l’attribution des dossiers à l’évaluation des candidatures se limite aux spécialistes : ainsi à Histoire-Paris, la sous-commission constituée des spécialistes, va décider des candidats à auditionner sur la base des rapports rédigés eux aussi par les spécialistes. Ce que certains trouvent discutable :

« L’avis de la spécialité qui recrute est très important mais l’avis de l’ensemble des collègues compte beaucoup. Beaucoup de collègues peuvent être connus dans d’autres spécialités que la leur. Le découpage de l’histoire ne doit pas marquer la vision d’ensemble de l’histoire. L’histoire est une. L’avis d’un collègue d’une autre spécialité peut avoir beaucoup d’intérêt. C’est l’ensemble de la commission, l’ensemble des collègues, au-delà de la commission de spécialistes, qui sont concernés. Je déplore ce découpage de l’histoire en deux, moderne et contemporaine puis ancienne et médiévale. » (Professeur, homme, Histoire-Paris)

48 

Au total, la façon dont les dossiers sont affectés aux rapporteurs apparaît comme très stratégique et elle n’est pas laissée au hasard. Ceux qui en assument la responsabilité savent ce qu’ils font. En revanche, les autres membres de la commission ne sont pas toujours aussi bien informés. Ils interprètent donc ces pratiques selon la visibilité qu’ils en ont. Les uns, généralement ceux qui connaissent les modes de répartition, partagent l’idée que cette étape est essentielle et politique. Les autres perçoivent les choses comme procédant du « jeu de hasard » ou du « on fait au mieux ».

Remarquons toutefois que lorsqu’il n’y a pas transparence, les membres de la commission ne se plaignent pas pour autant de pratiques irrégulières ou inacceptables. La répartition adoptée est en effet toujours visible puisque les rapporteurs devront présenter leurs rapports en plénière : des attributions impartiales pourraient alors être dénoncées. Nous n’avons cependant pas repéré ce cas de figure. Si certains sont conscients que les choses ne sont pas laissées au hasard, ils n’ont pas pour autant le sentiment que ce « verrouillage » (pour reprendre un terme utilisé par une des personnes interviewées) soit injuste ou relève du « magouillage ». Qu’ils décident collectivement ou plus individuellement, les présidents de commission rencontrés étaient tous soucieux d’éviter les problèmes, de parvenir facilement à des décisions peu contestables et on peut raisonnablement faire l’hypothèse qu’ils veillent aussi à ne pas créer de problèmes lors de l’attribution des rapporteurs.