• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Substance de référence tératogène ou non ?

1. Prédictivité des tests utilisant des organismes modèles mammifères d’effets tératogènes

Les tests de tératogénicité pour la protection de la santé humaine sont classiquement réalisés sur des rongeurs (rats, souris, hamsters), sur des lagomorphes (lapins) et, dans le cas de certains médicaments, sur des primates non humains (macaques crabier, macaques rhésus, ouistiti commun). Ce sont tous des mammifères placentaires (euthériens) comme l’Homme. Ces organismes modèles ont un développement embryonnaire interne. Ils sont alors complètement dépendants de leur mère. Le placenta, avec le liquide amniotique et le cordon ombilical assurent des fonctions nutritive, respiratoire, excrétrice, endocrine et immunitaire. Toutes les espèces précitées, utilisées pour les tests de tératogénicité, possèdent un placenta hémochorial : c’est-à-dire que les villosités placentaires fœtales pénètrent jusque dans les vaisseaux sanguins maternels. C’est la barrière hémato-placentaire, qui sépare le sang maternel du sang fœtal. Elle protège le fœtus de la grande majorité des agressions extérieures (virus, bactéries, médicaments, substances chimiques, …). Cependant, certaines substances chimiques peuvent traverser cette barrière et entrainer des malformations. Ces organismes

modèles semblent donc pertinents pour apprécier la capacité d’un agent tératogène à traverser la barrière hémato-placentaire.

Malgré cette particularité commune, les tests utilisant les rongeurs, les lagomorphes et les primates non humains ne prédisent pas parfaitement les effets tératogènes chez l’Homme. Dès 1983, Brown et Fabro ont analysé la concordance entre les données de tératogénicité humaines et celles sur animaux de laboratoire de l’US FDA et du Council on Environmental Quality (Tableau 48) (Brown & Fabro 1983). Cette étude est basée sur 38 substances tératogènes chez l’Homme et sur 165 substances pour lesquelles aucun effet malformatif n’a été rapporté chez l’Homme. Sur cette liste de substances de référence, les tests utilisant la souris obtiennent une sensibilité satisfaisante de 85 % pour une spécificité faible de 35 %, ceux utilisant le rat obtiennent une sensibilité de 80 % pour une spécificité modérée de 50 %, ceux utilisant le lapin obtiennent une sensibilité de 60 % pour une spécificité de 70 % et enfin ceux utilisant le singe obtiennent une sensibilité faible de 30 % pour une spécificité de 80 %. Les résultats obtenus montrent que la souris est l’organisme modèle le plus sensible aux malformations tout en identifiant une forte proportion de Faux Positifs. A l’inverse, le singe est peu sensible aux agents tératogènes chez l’Homme mais il est plus spécifique avec 80 % de prédiction correcte des références négatives. Séparément, les tests utilisant ces organismes modèles sont peu prédictifs et spécifiques d’effets tératogènes chez l’homme. En associant deux tests utilisant des espèces différentes ou plus, la sensibilité est augmentée mais la spécificité reste moyenne avec 50 %. Ceci signifie qu’une substance sans effet tératogène chez l’Homme est identifiée comme tératogène chez au moins un organisme modèle.

Tableau 48 : Concordance entre les données de tératogénicité humaines et celles sur animaux de laboratoire

En 2005, Bailey et al. ont fait une étude similaire de comparaison des prédictivités des tests utilisant des organismes modèles mammifères. Ils ont analysé les données de 11 groupes de substances tératogènes chez l’Homme issues de tests de tératogénicité réalisées sur les 5 espèces précitées en ajoutant 7 autres espèces modèles (chiens, chats, cochons, furets, cobayes, moutons et vaches) (Bailey et al. 2005). Ils obtiennent des résultats similaires soit une sensibilité moyenne des espèces de 61 %.

L’objectif des tests in vivo utilisant des organismes modèles mammifères est d’évaluer le risque qu’une substance soit tératogène chez l’Homme. Ils doivent participer à prouver l’innocuité d’une substance pour qu’elle puisse être mise sur le marché. Ceci implique de détecter tous les agents tératogènes c’est-à-dire d’obtenir une sensibilité de 100 %, quitte à éliminer à tort des substances sans effet tératogène. Dans ces conditions, une spécificité moyenne est acceptable. Les tests réalisés sur les rats semblent présenter les meilleures performances. En effet, ils ont la sensibilité la plus élevée comparée à celles des autres tests utilisant des organismes modèles mammifères, tout en conservant une spécificité à 50 % (une substance sans effet sur deux est à tort détectée comme tératogène). Même en combinant les tests réalisés sur chacune des 5 espèces, le 100 % de sensibilité n’est pas atteint (97 %). Cette absence de 100 % de sensibilité signifie que tous les agents tératogènes ne sont pas détectés par ces organismes modèles.

Comme cela a été cité précédemment, il existe plus de 1 500 agents pouvant induire des malformations congénitales chez l’animal mais seulement une quarantaine d’entre eux sont connus pour induire également des malformations chez l’Homme (Shepard 2010). Le plus souvent, un agent tératogène chez l’Homme l’est également chez au moins une espèce animale. L’inverse n’est pas vrai. Par exemple, la colchicine (médicament luttant notamment contre la fièvre méditerranéenne familiale) entraine chez le rat, la souris et le hamster des malformations de la face et du système nerveux central (Ingalls et al. 1968; Petit & Isaacson 1976; Ferm 1963). Par contre, le suivi de 179 grossesses de femmes enceintes prenant de la colchicine n’a pas indiqué de risque augmenté de malformations par rapport aux 197 grossesses témoins (Ben-Chetrit & Levy 1998). De même, l’hydroxyzine (médicament antihistaminique) entraine chez le rat des malformations du palais et du squelette (King & Howell 1966) alors qu’une étude prospective de 53 femmes ayant pris de l’hydroxyzine pendant leur grossesse n’a pas montré de risque augmenté de malformations (Einarson et al. 1997). La spécificité modérée de ces tests in vivo implique qu’une substance détectée tératogène chez l’animal n’est qu’une fois sur deux tératogène également chez l’Homme.

Cette démarche de l’évaluation du risque des substances chimiques pour montrer leur innocuité est la démarche inverse au test de criblage que nous voulons développer, qui doit être 100 % spécifique pour ne détecter que les substances réellement tératogènes.

La prédictivité partielle de ces tests in vivo peut s’expliquer par les différences génétiques ou toxicocinétiques (une des hypothèses, qui expliqueraient l’absence d’effets tératogènes de la Thalidomide chez la souris). Les différences anatomiques rendent également les comparaisons inter-espèces plus difficiles. Par exemple, les malformations de la queue, courantes chez ces espèces modèles, n’ont pas d’équivalent chez l’Homme. Elles peuvent tout de même indiquer des malformations générales du squelette.

La voie d’exposition de la substance lors d’un test sur l’organisme modèle peut elle aussi être différente de celle chez l’Homme. En effet, pour être certain de la dose d’exposition, la substance est parfois administrée par injection intrapéritonéale, en intraveineuse ou par sonde gastrique. Par exemple, l’acide acétohydroxamique (traitement des calculs rénaux) entraine par voie intrapéritonéale chez le rat des défauts de fermeture du tube neural, des fentes labiales, des malformations des pattes et de la queue. Cependant ce médicament est prescrit chez l’Homme par voie orale à des concentrations 50 fois inférieures à celles du test chez le rat (Chaube & Murphy 1966). De plus, aucune donnée n’indique que ce médicament, couramment utilisé, soit également tératogène chez l’Homme. La pertinence de l’étude peut être questionnée tant sur la voie d’administration que sur la concentration testée.

La concentration testée est en effet déterminante dans l’apparition d’un effet tératogène. Or, dans la plupart des tests de tératogénicité, la dose testée la plus élevée doit provoquer des effets de toxicité chez les mères ou chez la progéniture. Ceci n’est pas toujours applicable à l’usage chez l’Homme (Shanks et al. 2009).

Les tests utilisant les organismes modèles mammifères, séparément ou en combinaison, permettent une prédiction partielle des effets tératogènes chez l’Homme. Les tests utilisant ces organismes ont une sensibilité entre 30 % et 85 % pour une spécificité modérée entre 35 % et 80 %. Ces performances ne permettent pas de conclure directement sur une substance testée. Les méthodes d’expérimentation (voie d’administration, concentration, …) peuvent parfois ne pas être pertinentes par rapport à l’usage de la substance testée chez l’Homme. La pertinence des données de tératogénicité peut alors être remise en cause.

Pour valider une méthode alternative à l’expérimentation animale, il faudrait donc idéalement se baser sur des données humaines issues d’études épidémiologiques, d’études de

cas, etc… et non sur des données issues de ces organismes modèles mammifères. Bien évidemment, ces données humaines sont rarement disponibles.

2. Catégorisation des substances composant la liste de références