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5. La volonté d’atteindre la masse critique d’usagers ouvre la « boîte de Pandore »

5.1.1. Pourquoi le covoiturage dynamique ne prend-il pas ?

Plusieurs travaux de recherche se sont penchés sur les freins à la pratique du covoi- turage dynamique. Adele (2014), et Créno (2016), en recensent une vingtaine205. Il en ressort que le principal frein au covoiturage dynamique tient à son manque de fiabilité. Ne pas avoir de garantie que le service va fonctionner semble en effet rédhibitoire, car pour les usagers, la fiabilité est l’élément le plus important de la qualité de service (Stradling, Anable & Carreno, 2007). De plus, des travaux en psychosociologie mon- trent que le sentiment de contrôle et de maîtrise est essentiel pour susciter l’usage (Briebois, 2010 ; Rocci, 2007). Or, le covoiturage dynamique paraît trop incertain et il crée une trop forte dépendance au service.

Pour qu’un dispositif de covoiturage dynamique soit considéré comme fiable, il est nécessaire qu’une quantité importante de conducteurs soient inscrits au service, qu’ils prennent la peine de renseigner leur trajet, qu’ils circulent au moment où les passagers expriment leur besoin de déplacement, et que les trajets que réalisent et renseignent les conducteurs correspondent aux besoins des passagers.

De nombreuses conditions doivent être réunies pour atteindre cette situation idéale. Le plus difficile est d’obtenir simultanément une quantité suffisante de passagers et de

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Ecovoiturage (2010) – Vercors ; Acody (2012) – Pays Tolosan ;Province de Wallonie – Belgique (2012) ; SR520 (2011) – Seattle; Hirondo (2012) – Gironde ; Carlos (2005) – Mitteland Suisse; Ride Now (2006) – Californie ; Easy Rider (2004) – Aéroport d’Amsterdam ; Predit (2010) Île-de-France ; Californie - Berkeley (2010); Californie – Baie de San Francisco (2010) ; Grande Bretagne – Nottingham (2010) ; Australie – Queensland (2011) ; Washington (1999) ; Australie – Queensland (2010) ; Pooll – Pays-Bas (2009) ; Indiana et Chicago (2009) ; Virginia Tech (2010)

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conducteurs (Heinrich, 2010 ; Murray & Chase et al., 2012 ; Ray, 2014). Dans le jargon du covoiturage et de l’économie de la plateforme, le terme de « masse critique » désigne cet idéal. La masse critique obsède les acteurs du covoiturage dynamique et explique d’ailleurs la concentration des offres de covoiturage dans les territoires métropoli- tains206. Elle repose sur le principe d’un marché « biface ». Il est nécessaire de susciter l’intérêt pour le service tant pour la demande (les passagers), que pour l’offre (les con- ducteurs). Il faut créer une masse critique d’utilisateurs sur les deux faces, et parvenir à coordonner l’arrivée des utilisateurs sur chacune des faces (Penard, 2014).

Les plateformes s’appuient sur des effets de réseau : leur utilité dépend de la quanti- té d’utilisateurs207. Ce sont les externalités positives des réseaux qui permettent des ren- dements croissants à mesure que les réseaux croissent. Dans un marché biface, la qualité du service pour chaque face est liée au nombre de contributeurs actifs sur l’autre face : on parle ici d’« effets de réseaux croisés ». Les offreurs de covoiturage ont intérêt à tou- cher une large audience, les demandeurs ont intérêt à trouver une offre diversifiée qui convient le plus finement à leurs besoins. L’effet de réseaux croisé est nécessaire pour que s’enclenchent des rendements d’échelles.

Dans les transports, l’effet Mohring (1972) illustre les rendements d’échelles liés à l’augmentation du nombre d’usagers. Mohring part du postulat que sur un trajet donné, on augmente les moyens de transport en quantité en fonction de l’évolution de la de- mande. Selon cette logique, plus le nombre d’usagers augmente, plus la fréquentation augmente et plus la fréquence du moyen de transport doit augmenter. Mécaniquement, plus la fréquence de l’offre de service augmente et plus le temps d’attente entre deux véhicules diminue. Donc plus il y a d’usagers et plus la qualité de l’offre de service est élevée. L’exemple du service Uber illustre bien ce processus, car « plus il y a de de-

mandes et plus il y a de chauffeurs pour y répondre d’où un premier cercle vertueux. Et comme les chauffeurs ont plus de clients, ils parcourent moins de trajets à vide, on peut alors baisser le prix de la course pour une même recette, ce qui suscite plus de de- mandes. C’est le second cercle vertueux. » (Schultz, 2017). La logique est assez simi-

laire dans le cas du covoiturage dynamique.

Jusqu’à présent, aucun service ne permet de proposer un service fiable assurant au passager de « trouver quelqu’un dans les 10 minutes qui suivent l’heure à laquelle il

206 « On est sur l’Ile-de-France uniquement. Parce qu’on a, comme tous les acteurs qui font du covoitu-

rage urbain, un problème de masse critique. Il faut qu’il y ait des conducteurs et des passagers au même moment et même endroit si vous voulez que ça fonctionne, donc il faut recruter très vite sinon vous créer de la déception et c’est rédhibitoire les gens ne reviennent plus chez vous et n’ont plus confiance. Et bien on va continuer à faire de l’acquisition, c’est notre grand cheval de bataille c’est de devenir la plus grande première communauté de covoiturage en Île-de-France. Notre stratégie c’est l’acquisition client.

» (Entretien Startup n°7, 2016)

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Être seul à utiliser une technique en réseau apporte peu d’intérêt (tel que le téléphone). L’intérêt va croissant en fonction du nombre d’utilisateurs.

171 cherche à partir. […]. De la même manière, le trajet retour n’est pas garanti. Ainsi en tentant de contourner une limite (la planification du déplacement), on crée une con- trainte très importante » — (l’incertitude, difficilement supportable pour des trajets con-

traints) (Adele, 2014). Les opérateurs se trouvent en effet confrontés à un problème d’équilibre entre l’offre et la demande. Ils n’ont pas de lien direct avec les usagers et ils ne peuvent pas leur « imposer » d’être présents sur la plateforme à tel ou tel moment pour répondre à l’éventuelle demande.

Or, le nombre d’inscrits au lancement du service sur ces plateformes est trop faible pour qu’un individu cherchant à se déplacer trouve au bon moment et au bon endroit un automobiliste ayant lancé l’application et renseigné son trajet. Il est donc primordial pour les opérateurs de recruter dans un premier temps des conducteurs, pour qu’une fois qu’un passager envisage d’utiliser le service, il trouve potentiellement une offre de dé- placement qui lui corresponde. L’enjeu consiste par conséquent à recruter des conduc- teurs, qu’ils renseignent leurs trajets à chaque déplacement, et ce même si au bout de plusieurs tentatives ils ne sont toujours pas sollicités par des passagers.

5.1.2.

Résoudre l’enjeu de la masse critique : l’indemnisation des