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résoudre l’enjeu de la masse critique 5.3.1 Des services qui institutionnalisent l’autostop

5.3.4. Les services de covoiturage spontané se diversifient

L’autostop organisé et le slugging présentent des similitudes sur de très nombreux points : absence de planification, équipages inconstants, interactions avec des étrangers, sentiment de communauté, dispositif qui se noue autour d’une infrastructure physique, absence de plateforme numérique de mise en relation, absence de gains monétaires, mais bénéfice touchant davantage au gain de temps ou d’accessibilité.

Cependant, des différences notables existent. Le slugging repose sur la mise en place d’infrastructures lourdes, peu acceptables socialement et donc politiquement risquées. Par ailleurs, les voies réservées visent à réduire le niveau de congestion en incitant à un usage optimisé de l’automobile. Enfin, en étudiant le slugging, Mote et Whitestone (2011) ont mis en évidence que les sluggers sont loin d’être des individus originaux ou déviants. Ce sont plutôt de jeunes actifs qui se rendent au travail, issus de catégories socioprofessionnelles moyennes à supérieures.

À la différence du slugging, les territoires d’implantation de l’autostop organisé se caractérisent par l’absence d’offres de mobilité alternative à l’automobile et par l’absence de congestion. Les objectifs poursuivis à travers ces deux concepts sont diffé- rents : la mise en place de voies réservées vise à réduire le niveau de congestion tandis que l’autostop organisé vise à désenclaver un territoire. En outre, les publics visés sont également très distincts.

L’autostop organisé constitue une nouvelle offre de déplacement dans des territoires où les services de transport collectifs se font rares. Dans les territoires à l’urbanisation diffuse, la majeure partie des habitants sont motorisés. De ce fait, les usagers des trans- ports collectifs sont généralement catégorisés comme des publics en situation de capti- vité et de précarité (Motte-Baumvol, 2007 ; Le Breton, 2008 ; Orfeuil, et al., 2014). Les services d’autostop organisés se différencient ainsi du slugging du fait qu’ils s’adressent aux publics « insulaires » (Le Breton, 2008), c’est-à-dire aux individus n’ayant pas de permis et/ou pas de voiture et vivant dans un territoire à l’accessibilité faible.

« Les gens qui font de l’autostop n’ont pas de voiture, ceux qui en ont ne viendraient pas, ce n’est pas du tout le même profil de personne. L’essentiel des gens qui s’inscrivent sont jeunes ou en situation de précarité. C’est pour eux que l’on développe ces services ». (Opérateur d’autostop organisé, 2015)

Si les porteurs de projets d’autostop organisé affirment vouloir réduire le nombre de véhicules à circuler, ils estiment surtout offrir une solution de mobilité pour les indivi-

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dus non motorisés226, là où le slugging attire des publics moins marginalisés sociale- ment et économiquement.

Toutefois, les services de covoiturage spontanés ne restent pas cantonnés à cette cible de marché. En 2015, la startup ECOV » se positionne sur un segment de marché plus large en proposant une forme originale de service de covoiturage spontané censée s’adresser à tous les types de publics. L’offre d’ECOV se distingue du slugging et de l’autostop organisé par le dispositif d’intermédiation proposé, qui est à la fois infrastruc- turelle mais aussi numérique. Cette startup ambitionne de déployer des stations de co- voiturage sur le bord de la voirie. Ces dernières comprennent une « borne », équipée d’un écran tactile sur lequel les usagers peuvent renseigner la destination qu’ils cher- chent à atteindre. La destination s’affiche ensuite sur des Panneaux à Messages Va- riables (PMV), implantés en bord de voirie, pour informer l’ensemble du flux d’automobilistes passant par-là (figure n° 38). Les conducteurs peuvent ainsi prendre connaissance de la demande de covoiturage des passagers plusieurs dizaines de mètres avant le point d’arrêt et prendre leur décision plus confortablement que dans le cas de l’autostop organisé227. Une fois monté à bord, le passager transmet au conducteur un titre de transport, imprimé par la borne, sur lequel figure un code permettant au conduc- teur de récupérer une compensation monétaire pour le service rendu, basé sur le partage des frais de déplacement (de l’ordre 10 ct€/km parcourus).

ECOV veut « faire de la voiture un transport collectif ». À l’instar des services d’autostop organisés, la startup cherche à désenclaver les territoires ruraux, mais aussi les espaces périurbains et même les centres urbains. ECOV entend faire du covoiturage spontané une solution de mobilité à part entière, non seulement pour des publics pré- caires, mais également pour l’ensemble des publics et pour tous les besoins de déplace- ments. ECOV poursuit ainsi l’ambition d’aller un cran plus loin dans l’institutionnalisation du covoiturage spontané en proposant un dispositif de standing et d’une qualité de service susceptible d’attirer des publics variés, y compris des actifs motorisés et satisfaits de leur choix modal.

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On estime à environ 8% dans les territoires de faible densité la part des individus sans permis et sans voiture (Or- feuil, et al. 2014). Les déplacements des individus qui pratiquent ce covoiturage sont généralement non contraints, ou alors se révèlent être la seule solution de déplacement qu’ils ont à disposition.

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Libre ensuite à ces automobilistes de s’arrêter et de faire monter à leur bord le passager qui attend à la station quelques dizaines de mètres plus loin.

187 Figure 38 — Illustration du mode de fonctionnement du service de covoiturage de la startup ECOV

(source : ECOV, 2016)

Ce dispositif technique est sensiblement plus onéreux que tous les autres. Les inves- tissements nécessaires en génie civil et en mobiliers urbains sont conséquents, là où le covoiturage est supposé ne rien coûter. ECOV défend l’idée que le covoiturage ne peut se développer qu’au prix d’investissements importants et d’une ambition élevée de la part de la puissance publique, afin de changer les représentations du covoiturage, et no- tamment de le « faire passer d’un référentiel covoiturage à un référentiel des transports collectifs » (entretien ECOV, 2016).

Le covoiturage spontané apparaît alors que les services de covoiturage dynamique se multiplient. Ces deux dispositifs façonnent deux conceptions du covoiturage qui entrent en tension sur plusieurs aspects :

- D’un côté, le covoiturage dynamique ouvre potentiellement la voie au dévelop- pement d’une offre de mobilité partagée dans les espaces métropolitains, en tant qu’offre complémentaire ou concurrente à l’offre de transports publics, qui ne repose pas sur des investissements publics et est portée par des acteurs qui tour- nent parfois le dos aux institutions qu’ils cherchent à bousculer (cf. chapitre 1 et 8).

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- De l’autre côté, l’autostop organisé légitime l’idée d’un service public de covoi- turage, porté et déployé par des acteurs publics, mais cantonné aux espaces ru- raux et conçu pour les publics en situation de précarité de mobilité. Avec l’autostop organisé, le covoiturage peut et ne doit toujours rien coûter ou presque à la puissance publique.

Le processus d’intégration du covoiturage dans le champ de l’action publique de transport peut donc s’opérer selon des modalités sensiblement différentes en fonction de la nature du service, des acteurs impliqués, des territoires concernés et des probléma- tiques locales. En outre, selon le type de service de covoiturage, les transformations induites peuvent également être très contrastées, par exemple du point de vue :

- De l’évolution de l’offre et des pratiques de mobilité ;

- Du renouvellement de la gouvernance (intégration d’acteurs privés dans la sphère publique, ou au contraire, mouvement de libéralisation et de retrait de la puissance publique) ;

- Des modalités de financements de services (uniquement privé, financement pu- blic directement versé aux conducteurs, subventionnements publics liés à la mise en place d’infrastructures, incitations temporelles, etc.).

Le processus d’appropriation du covoiturage par les acteurs du système de mobilité et son intégration dans le champ de l’action publique de transport est donc encore lar- gement inachevé. Les transformations que cette dynamique peut engendrer sur le sys- tème de mobilité en dépendent et le champ des possibles est encore grand ouvert.

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Conclusion : L’essoufflement du système des trans-