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territoires de l’automobile

3. L’automobile en excès — le covoiturage doit ré duire les pressions exercées sur le système auto-

3.3.1. Les effets pervers du modèle d’affaires Business-to-Business

Le modèle d’affaires des opérateurs de covoiturage ne repose pas sur le prélèvement de commission sur chaque trajet réalisé par des covoitureurs, mais sur la vente d’un service auprès d’un client à destination de ses salariés. L’augmentation de la pratique du covoiturage n’est pas garantie par l’opérateur. Ainsi l’enjeu pour les opérateurs n’est pas qu’un grand nombre d’usagers covoiturent, mais d’obtenir le plus possible d’établissements clients. Ainsi « l’intérêt des opérateurs privés de covoiturage reste un intérêt financier à voir se développer des projets de covoiturage » (Vincent, 2008). La citation suivante, issue d’un rapport de stage réalisé par un-e étudiant-e chez un opéra- teur de covoiturage, illustre bien cette volonté.

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« [L’opérateur], fort de son expérience avec [une collectivité cliente], doit chercher à devenir une référence sur les partenariats avec les collectivités locales. Ces projets de mise en place du covoiturage sont très rentables et permettent d’accroître la visibilité du sous-traitant. »

Plus un opérateur vend de plateformes, plus il est rentable (cf. encadré n° 2), et plus il capte de marchés, plus il élargit son périmètre spatial et gagne en visibilité. Les plate- formes de mise en relation se multiplient de ce fait à la fin des années 2000, de 78 en 2007 à plus de 200 en 2010, et pour 80 % des cas, dans le cadre de PDE ou PDA (Ademe 2010).

Ceci crée plusieurs effets pervers. Sur un même périmètre géographique, il n’est pas rare de voir une plateforme financée par une collectivité (Conseil départemental le plus souvent183), d’autres financées par des entreprises, en plus des plateformes nationales qui opèrent sans restriction territoriale. Cette multiplication des plateformes crée une dilution des offres de covoiturage et une diminution de la lisibilité des services propo- sés. Le morcellement de l’offre a un effet néfaste sur l’adoption de cette pratique (ADRETS, 2009). L’absence de cohérence entre les différentes initiatives locales com- plique la possibilité d’atteindre une masse critique d’usagers, nécessaire à la constitu- tion d’équipages (Faessel, 2014). En 2010, Bu, et al., soulignent déjà les apories de ce modèle :

« Sans doute parce qu’il s’agit de l’une des initiatives « durables » les plus faciles à mettre en œuvre, de multiples structures intercommunales — villes ou départements — parfois inspirées à grands frais par de convaincants commerciaux, ont conçu des sites de covoiturage destinés à leurs administrés. […] La démarche, destinée à combattre l’« autosolisme », bute toutefois sur la réalité. Les sites ne rassemblent tout au plus que quelques centaines, parfois quelques mil- liers d’inscrits, sur les centaines de milliers d’automobilistes que compte un département ou une agglomération. […] En outre, ces sites se vouent parfois une concurrence inutile : le dépar- tement de Seine-Maritime et l’agglomération de Rouen ont ainsi lancé chacun leur propre site de covoiturage, divisant mathématiquement les probabilités de coordination, alors qu’ils visent la même population ».

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Encadré n° 2 : La violente structuration du marché du covoiturage

Jusqu’au milieu des années 2000, les opérateurs de covoiturage se heurtent à un pro- blème de « montée en échelle ». En raison de contraintes techniques, ces acteurs sont poussés à créer une plateforme d’intermédiation spécifique pour chacun de leurs clients. Les coûts de développement sont donc conséquents, et les dispositifs de covoiturage onéreux pour les clients184.

Plusieurs opérateurs de covoiturage, créés autour de l’année 2007 (la Roue Verte, Ecolutis, Greencov, covoiturage.fr – Blablacar/COMUTO), recomposent complètement ce marché du covoiturage en réduisant drastiquement les coûts de développement avec des plateformes de covoiturage en « marque blanche » : ils partent d’un seul site (qui requière donc un seul développement technique), et l’habillent aux couleurs de leurs clients. Avec des investissements réduits, ils peuvent donc le décliner en fonction des clients qu’ils parviennent à acquérir. Dès lors, les prix des services de covoiturage dimi- nuent, entraînant la multiplication des plateformes et la faillite d’opérateurs historiques. « Les anciens vendaient super cher leur produit, et quand d’autres comme nous sommes arrivés, moins chers, les prix ont chuté pour tous. Et c’est ce qui a tué au final les anciens, « Roulez Malin », ils ont dû baisser les prix par vingt. « 1,2,3 en voiture » n’a pas mis longtemps à mou- rir. Ce fut dur pour Roulez Malin. En effet ils venaient aussi de faire une bonne levée de fonds, basée sur leur croissance des trois dernières années. Mais leur produit était coûteux, et ils n’ont pas pu suivre la baisse des prix qu’on leur a imposée. Notre architecture en marque blanche est beaucoup moins coûteuse. Aujourd’hui, on a 100 clients pour un seul site. À l’époque « Roulez Malin » avait 100 sites différents pour leurs 100 clients. » (Entretien startup n° 12, 2016).

L’institutionnalisation du marché du covoiturage et la standardisation des plate- formes, qui permet pourtant aux acteurs d’obtenir des ressources financières pour amé- liorer leur service, ne se traduisent pas par une augmentation de la pratique covoiturage. Cette dernière, reposant sur la constitution d’équipages constants, est trop contraignante au quotidien et limite fortement les perspectives de développement de ce marché.

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Le service de covoiturage mis en place pour le département du Finistère par un opérateur privé, au tout début des années 2000, qui figure parmi les premières plateformes d’intermédiation financées par un acteur tiers, coûte par exemple 35 000 € HT (réalisation du site Internet, essentiellement). À ce coût le département doit égalent ajouter 6 000 € HT pour 4 ans de frais de maintenance et de fonctionnement, ainsi que 1 200 € pour l’hébergement du site (Vincent, 2008)

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3.4.

Le covoiturage à équipage constant : un marché trop

limité ?

À la fin des années 2000, trois acteurs se partagent le marché du covoiturage, Ecolu- tis, Greencove et Comuto (Certu, 2010). Ils proposent à leurs clients des services de covoiturage planifié, similaires à ce que proposaient déjà Allostop ou Taxistop (sec- tion 2.2) pour les trajets occasionnels sur longue distance, mais appliqués à la courte distance. L’idée est de constituer des équipages constants de covoitureurs qui s’organisent sur une base quotidienne pour covoiturer ensemble, en alternant les rôles (passager-conducteur) ou non.

A priori, l’aspect régulier des déplacements pendulaires représente un potentiel inté-

ressant pour cette pratique qui nécessite d’organiser à l’avance le trajet (horaires de dé- part, de retour, lieu de rencontre, de dépose, de reprise). Mais le covoiturage courte- distance n’a jamais décollé grâce à ces plateformes et reste résiduel (figure n° 26), avec entre 2 % et 6 % seulement des déplacements pendulaires réalisés en covoiturage en France185.

Figure 26 — Synthèse des enquêtes estimant la part modale du covoiturage pour les déplacements domicile-travail

(Delaunay, 2017)

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Dans certaines entreprises, des mesures en faveur du covoiturage ont permis une augmentation sensible de la pratique du covoiturage. Sur le Parc Industriel de la Plaine de l’Ain, un Plan de Déplacements Interentreprises initié en 2008 conduit à la mise en place d’un site et d’importantes campagnes de communications. Des comptages de terrain montrent que la part modale du covoiturage est passée de 7% avant le lancement du PDIE à plus de 23% au printemps 2009. Le développement de la pratique n’est toutefois pas une conséquence des fonctionnalités apportées par le site Internet, mais résulte des campagnes de communication engagées. À partir du moment où ces campagnes se sont arrêtées, on observe une diminution sensible de la part modale du covoiturage (Mercat, Sucche, 2014).

Auteur

Déplacements pendulaires réalisés en

covoiturage

Source

Alyce Sofreco, 6T et Setec ITS

(ADEME), 2010 2,9%

600 automobilistes en Essonne

Bonnet, X. (CGDD), 2014 3,5% ENTD 2008

INDDIGO (ADEME), 2014 3,5% ENTD 2008

Randstad, 2015 2,0% 9000 salariés

enquétés (12/2014)

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