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territoires de l’automobile

3. L’automobile en excès — le covoiturage doit ré duire les pressions exercées sur le système auto-

3.4.5. Le covoiturage s’organise sans les acteurs intermédiaires

La pratique du covoiturage organisé sans intermédiaire a fortement diminué depuis les années 1970 en France (chapitre 3, section 1). Pourtant, d’après plusieurs enquêtes et travaux d’exploitations des données du recensement en France et aux États-Unis (figure n° 30) ce serait la forme de covoiturage la plus pratiquée. Ces résultats doivent être con- sidérés avec précaution vu les limites que posent l’exploitation des données du recen- sement et les difficultés que soulève l’obtention de données sur cette pratique infor- melle190. Néanmoins, les résultats tendent vers une même conclusion : la grande majori- té des déplacements réalisés en covoiturage est le fait d’individus issus d’un même mé- nage, qui se passent donc des services de covoiturage.

Figure 30 — Part du covoiturage réalisé au sein et en dehors du ménage (Delaunay, 2017)

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Nous reviendrons sur cette difficulté lorsque nous traiterons des obstacles auxquels font face les autorités pu- bliques pour mettre en place des mesures en faveur du covoiturage (chapitre 6)

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De plus, les déplacements réalisés en covoiturage avec un membre extérieur au mé- nage (c’est-à-dire avec un voisin, un collègue, etc.) seraient également dans leur grande majorité organisés sans intermédiaires. Selon une étude191 de l’ADEME réalisée en 2015, la part du covoiturage entre individus de ménages différents et organisé via un intermédiaire serait marginale. Les auteurs ont enquêté des covoitureurs sur des aires de covoiturage et ils avancent que 97 % des équipages192 se sont constitués de manière informelle, sans avoir recours à un dispositif d’intermédiation.

3.5.

La remise en cause du marché du covoiturage planifié

En novembre 2014, la société COMUTO (Blablacar) abandonne le marché du covoitu- rage local, et, de fait, laisse dépérir les plateformes locales financées par des acteurs territoriaux, renvoyant les usagers vers sa plateforme nationale payante. Blablacar justi- fie cette décision en raison de l’inutilité constatée des plateformes.

« Force est de constater que ces plateformes locales marchaient mal. En Basse-Normandie, ils ont eu 1 900 inscrits en deux ans, c’est très peu. En fait, ces plateformes, c’est de la com’, c’est tout193 ».

Le constat d’échec des plateformes de covoiturage planifié se répand massivement à partir de 2014. Le plus souvent toutefois, les collectivités défendent officiellement le bilan de leurs actions. Elles invoquent que « les plateformes locales sont le support d’une politique globale de sensibilisation et de communication194 ». Certaines indiquent

posséder plusieurs milliers d’utilisateurs, par exemple celles du Grand Lyon ou de Loire-Atlantique compteraient plus de 10 000 inscrits chacune (Mercat, Succh, 2015).

Néanmoins, les bilans des collectivités ne traduisent pas l’effectivité des usages et le nombre d’inscrits ne reflète pas le niveau réel de pratique. Dans les faits, même lorsque les plateformes locales attirent un nombre élevé d’inscrit, le taux d’individus réalisant effectivement du covoiturage par ce biais est très marginal. Dans une entreprise dotée d’une plateforme, 8 % en moyenne des salariés y est inscrit, et seulement 10 % de ces inscrits pratiqueraient le covoiturage (ADEME, 2010). Une entreprise cliente d’un opé- rateur de covoiturage témoigne de l’incapacité des plateformes à stimuler la pratique.

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Portant sur les pratiques de covoiturage dans les aires de covoiturage

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Enquêtes réalisées auprès de 500 équipages de covoiturage

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Le Nouvel Observateur « BlaBlaCar avale le covoiturage local, c’est grave ? » mars 2015,.

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« Les différentes expérimentations initiées par l’entreprise donnent jusqu’à présent des résultats mitigés. Depuis 2009 nous avons testé deux opérateurs différents. Dans les deux cas, les résul- tats sont similaires. À peine 7 % des salariés se sont inscrits au service. […]. Au total, on a seulement 1,2 % des salariés qui ont pu covoiturer grâce au service de covoiturage. […] On a fait des enquêtes, les covoitureurs se sont, pour 61 % des cas, rencontrés sans passer par la plateforme de mise en relation. » (Entretien responsable PDE, 2015)

Cet exemple touchant une entreprise investie dans un plan de mobilité depuis 2009 montre que le dispositif d’intermédiation n’a pratiquement pas d’effet. Les actions me- nées par cette entreprise visent surtout à communiquer sur les actions menées en matière de Responsabilité Sociétale d’Entreprise. Plus largement, le covoiturage revêt un enjeu stratégique pour cette entreprise dont le cœur d’activité est l’automobile, car « le covoi-

turage redore le blason de l’automobile, ça donne une nouvelle image, plus moderne, plus durable. C’est pour ça qu’on s’y investit » (Entretien responsable PDE, 2015).

Peu d’acteurs avouent que l’intérêt majeur d’une plateforme d’intermédiation relève surtout de la communication institutionnelle. Toutefois, en interne, les acteurs qui por- tent ces services font parfois part de leur déception et reconnaissent l’existence d’une coquille vide.

« Je me suis trompé, je pensais que ce portail était une réussite sans précédent, un modèle à suivre pour toutes les collectivités. (Ce qu’elles ont fait, il n’y a qu’à voir l’explosion de ces portails, y compris dans des collectivités de quelques milliers d’habitants …). J’ai même pensé à un moment que les autres collectivités ne cherchaient qu’à nous voler la bonne idée. Mais ce portail n’a pas de raison d’être. L’impact n’a jamais été évalué ni mesuré par quiconque. […] 1,3 % des inscrits ont déclaré effectuer des kilomètres en covoiturage grâce au portail. […] Les retours de terrain sont assez terribles : "je n’ai trouvé personne" est une phrase qui revient sou- vent. […]. Alors on nous dit qu’on parle de nous partout, on fait le buzz ! […] Alors c’est plus sympa de brandir des chiffres même s’ils sont faux et de faire de la com’. De toute façon, per- sonne ne s’en rend compte ». (Entretien EPCI, 2016)

Preuve de la manipulation autour de ce sujet, un bureau d’études, mandaté par cette collectivité pour évaluer l’impact du dispositif de covoiturage indique que 24 % des actifs des inscrits à la plateforme covoiturent, vente les milliers d’euros économisés par les usagers et la pollution évitée grâce à la politique menée par le territoire. Nous re- viendrons ultérieurement sur les conséquences qu’implique ce flou et cette manipulation dans l’action publique en matière de covoiturage (cf. partie 3, chapitre 8). Nous notons dès à présent que les collectivités ne maîtrisent que très faiblement l’offre de service. Le plus souvent, les ressources internes autant que les compétences sur le sujet manquent. Les politiques publiques menées revêtent donc un aspect symbolique et les objectifs poursuivis sont incertains ou peu définis (chapitre 5 et 6). Les acteurs privés confisquent parfois le pouvoir aux pouvoirs publics et imposent ce qui leur convient, de manière relativement similaire à ce qu’observe Maxime Huré sur les Vélos en Libre-Services (Huré, 2017).

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Le marché des plateformes, suite aux problèmes évoqués, s’effondre partiellement autour de 2012, mais renaît avec l’émergence d’un nouveau concept de service, le co- voiturage dynamique. De nouveaux acteurs, faisant le constat de l’inefficacité du covoi- turage planifié, se saisissent d’innovations techniques pour faire évoluer les services proposés (smartphone, GPS). L’émergence de cette nouvelle génération de services de covoiturage a de nombreuses conséquences et soulève des enjeux en termes de régula- tion et de définition des objectifs poursuivis à travers le covoiturage. D’une solution visant à réduire les externalités négatives de l’automobile et s’adressant en premier lieu aux automobilistes, le covoiturage devient une solution de mobilité conçue pour s’adresser aux usagers des transports collectifs. Ce changement modifie le référentiel du covoiturage et le fait entrer dans un nouveau régime, celui de « l’automobile en res- source ».

4.

L’automobile en ressource, ou l’hybridation entre