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Chapitre 1 : La mémoire

D. Potentialisation à long terme dans l’hippocampe

Comme nous l’avons vu dans la partie I.B, la formation et la mise en mémoire à long terme des informations reposent sur des modifications de l’efficacité de la transmission synaptique au sein des réseaux activés par l’apprentissage ainsi que sur le remodelage structural de

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l’architecture de ces réseaux. D’un point de vue cellulaire, comme nous l’avons évoqué plus haut, la plupart des modèles neurobiologiques de la mémoire reposent sur l’hypothèse proposée par Donald Hebb selon laquelle l’efficacité de la transmission synaptique entre deux neurones se renforce lorsque ceux-ci sont répétitivement et simultanément activés de façon intense (Hebb, 1949). Depuis la découverte de l’existence d’un tel mécanisme de plasticité, la PLT dans le GD chez le lapin (Bliss & Gardner-Medwin, 1973; Bliss & Lømo, 1973), il est maintenant établi qu’il s’agit d’une propriété essentielle des synapses excitatrices chez de nombreuses espèces, dont le rat, la souris, les oiseaux et même chez l’homme (Beck et al., 2000), dans diverses autres régions cérébrales telles que les aires CA1 et CA3 de l’hippocampe, l’amygdale, le striatum ainsi que de nombreuses aires corticales sensorielles, motrices ou associatives comme le cortex préfrontal (voir pour revue Bennett, 2000). Dans l’hippocampe, cette augmentation de l’efficacité de la transmission synaptique peut perdurer plusieurs jours voire des mois après l’application de la stimulation tétanique chez le rat (voir pour revue Abraham, 2003).

On connait maintenant les grandes étapes des mécanismes moléculaires qui sous-tendent les modifications durables des synapses nécessaires au processus de consolidation mnésique (figure 5 ; voir pour revue Laroche, 2010).

Figure 5 : Représentation schématique des principales étapes des mécanismes moléculaires de la plasticité synaptique

L’activation synaptique du neurone post-synaptique amorce une succession de réactions moléculaires conduisant à la modification durable de la synapse. Extrait de Laroche 2010.

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L’induction de cette forme de plasticité nécessite l’activation des récepteurs NMDA du glutamate (Collingridge et al., 1983; Errington et al., 1987; Davis et al., 1992; Bliss & Collingridge, 1993; Tsien et al., 1996; voir pour revue Abraham & Williams, 2003) qui fonctionnent comme des détecteurs de coïncidence temporelle et spatiale entre une libération importante de glutamate du neurone présynaptique et une dépolarisation intense du neurone post-synaptique. Suite à la dépolarisation post-synaptique induite par l’activation des récepteurs AMPA par le glutamate, le blocage du canal NMDA par le Mg2+ est levé entraînant une entrée massive d’ions calcium dans le neurone post-synaptique. Ce mécanisme constitue l’élément déclencheur de la plasticité ; il amorce une succession de réactions moléculaires conduisant à la modification durable de la synapse.

La première étape est l’activation par le calcium de nombreuses voies de signalisation neuronales impliquant à la fois des kinases et des phosphatases. Ceci entraîne la phosphorylation des récepteurs AMPA, augmentant ainsi leur conductance (Malinow et al., 2000), et favorise également l’insertion d’un nombre accru de nouveaux récepteurs AMPA à la membrane post-synaptique (Kullmann, 2003; Malinow, 2003), rendant la synapse plus sensible à toute activation ultérieure. De plus, ces voies de signalisation permettent de convertir des synapses dites « silencieuses » (sans récepteurs AMPA) en synapses actives grâce à la mobilisation des mécanismes de transport et d’ancrage des récepteurs (Isaac et al., 1995; Soderling & Derkach, 2000; Lisman, 2003). Au niveau présynaptique, certaines kinases vont mobiliser des cascades protéiques contrôlant la mobilisation des vésicules synaptiques à la membrane ainsi que les processus d’exocytose afin de favoriser la libération de glutamate lorsque les synapses seront à nouveau activées (Bliss & Collingridge, 1993). Par ailleurs, il existe une régulation très fine de la balance entre l’activité des kinases et celle des phosphatases permettant de contrôler finement ces mécanismes de signalisation intracellulaire (Bliss & Collingridge, 1993; Bhalla & Iyengar, 1999; Soderling & Derkach, 2000) afin de maintenir ou d’abroger la plasticité synaptique.

A l’issue de cette première étape, les modifications synaptiques peuvent être stabilisées sur le long terme. Les mécanismes de maintien et d’expression à long terme de la PLT pour stabiliser et consolider les modifications synaptiques reposent en grande partie sur l’activation de gènes et la synthèse de protéines (voir pour revue Abraham & Williams, 2003). En effet, la PLT peut être dissociée selon deux composantes, la PLT précoce, dont les mécanismes sont décrits précédemment, et la PLT durable dépendante de la transcription génique et de la synthèse de protéines (Nguyen et al., 1994; Frey & Morris, 1997). L’initiation des régulations transcriptionnelles permettant de modifier l’expression génique implique là aussi des cascades d’activation de kinases qui, en plus de leur action locale sur les protéines-substrats des synapses, vont envoyer un signal vers le noyau. Une des voies de signalisation essentielle est celle des MAPK. En effet, l’induction d’une PLT conduit à la phosphorylation rapide des MAPK et cette étape conditionne le maintien à long terme de la PLT (Davis et al., 2000; Bozon et al.,

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2003b; Sweatt, 2004; voir pour revue Davis & Laroche, 2006). Une fois phosphorylées, les MAPK entrent dans le noyau des neurones où elles activent, de façon directe ou indirecte, des facteurs de transcriptions tels que CREB (cAMP Response Element-binding protein) et Elk-1 (Davis et al., 2000) qui se fixent sur des sites spécifiques sur l’ADN situés au niveau des promoteurs de gènes immédiats précoces pour réguler leur expression. Certains comme BDNF, Homer ou Arc codent des protéines qui agissent directement au niveau de la synapse, alors que d’autres comme Zif268 ou c-Fos codent des facteurs de transcription inductibles qui vont à leur tour activer de nombreux gènes cibles dits « effecteurs tardifs » (voir partie 2 sur le gène immédiat précoce Zif268, page 151). C’est donc un mécanisme en deux étapes, composé d’une première vague rapide d’expression de gènes précoces qui agissent comme des « commutateurs moléculaires » induisant une seconde vague d’expression génique complexe constituée par des changements d’expression de nombreux gènes effecteurs dont les protéines vont permettre de remodeler durablement les réseaux neuronaux (voir pour revue Laroche, 2010). In fine, ces mécanismes vont conduire à des changements profonds du fonctionnement et de la structure même des réseaux neuronaux, en modifiant durablement l’efficacité des synapses, mais également en permettant la formation de nouvelles connexions fonctionnelles (modifications de la forme et du nombre d’épines dendritiques et de synapses, augmentation du nombre de boutons multi-synaptiques, alignement de récepteurs en face des sites de libération, croissance de nouvelles épines dendritiques et de nouvelles connections synaptiques) (Geinisman et al., 1991, 1992, 1996; Moser et al., 1994; Edwards, 1995; Isaac et

al., 1995; Engert & Bonhoeffer, 1999; Maletic-Savatic et al., 1999; Toni et al., 1999, 2001).

En parallèle et de façon complémentaire à la PLT, il existe également un autre type de plasticité synaptique, la dépression à long terme (DLT), aboutissant à un affaiblissement durable de l’efficacité synaptique (voir pour revue Bruel-Jungerman et al., 2007a). Découverte initialement dans le cervelet, ses mécanismes restent encore peu connus par rapport à ceux de la PLT. Contrairement à celle-ci, la DLT dans l’hippocampe ou dans différentes aires corticales peut être déclenchée par des stimulations synpatiques à basse fréquence qui aboutissent in fine à un affaiblissement des connexions synaptiques. L’induction de cette forme de plasticité est également permise par l’activation des récepteurs NMDA et l’entrée d’ions calcium mais l’amplitude ainsi que la cinétique d’entrée différentes du calcium permet d’aboutir à une DLT via la déphosphorylation des récepteurs AMPA par les phosphatases et à leurs internalisations (Collingridge et al., 2004). La DLT pourrait représentée un mécanisme d’oubli de l’information mais également servir à renforcer l’émergence de schémas de connexions en affaiblissant les connexions inutilisées afin de rendre plus « saillantes » les connexions renforcées. Il a d’ailleurs été montré dans le GD que l’induction d’une PLT dans certaines synapses est toujours associée à une DLT dans d’autres synapses de la même population neuronale (Doyère et al., 1997). Certaines données récentes suggèrent que des diminutions d’efficacité synaptique de type de DLT surviennent dans l’hippocampe lors de

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l’exploration d’objets ou de l’acquisition de tâches spatiales (Goh & Manahan-Vaughan, 2013), suggérant que des mécansimes de DLT, comme ceux de la PLT, jouent un rôle important dans la consolidation mnésique (Voir pour revue Kemp & Manahan-Vaughan, 2007; Kemp et al., 2013). Toutefois, le rôle exact de la DLT dans les processus mnésiques reste encore très peu connu.