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Chapitre 3 : Neurogenèse adulte et mémoire

III. Influence de l’apprentissage sur la neurogenèse adulte hippocampique

L’ensemble des études sur les corrélations positives entre neurogenèse adulte et performances mnésiques ainsi que celles sur le blocage de la neurogenèse suggèrent que les nouveaux neurones participent aux processus mnésiques. Nous avons également vu dans le chapitre 2 que la production des nouveaux neurones peut être influencée par les neuromédiateurs et notamment par le glutamate dont la libération reflète en grande partie l’activité des réseaux neuronaux. Il est donc plausible que l’activation des réseaux neuronaux de l’hippocampe puisse influencer directement ou indirectement la production et/ou la survie des nouveaux neurones chez l’adulte. Plusieurs études montrent que certaines tâches mnésiques qui requièrent l’hippocampe modulent également la production de nouveaux neurones au sein du GD (voir pour revue Gould et al., 1999c; Leuner et al., 2006a; Epp et al., 2013). Néanmoins, comme pour le blocage de la neurogenèse adulte, les résultats obtenus, synthétisés dans le Tableau 4 ci-après, restent contrastés.

Pour résumer, l’ensemble de ces données montre que différents apprentissages influencent positivement ou négativement la survie des nouveaux neurones. Au regard des différents paradigmes expérimentaux testés, on peut conclure qu’un nombre important de facteurs sous-tendent l’effet de l’apprentissage sur la neurogenèse adulte : l’espèce et le sexe, le type de tâche, sa durée et sa difficulté, et surtout l’âge des nouveaux neurones au moment de l’apprentissage (voir pour revue Epp et al., 2013). Néanmoins, on notera que l’effet de l’apprentissage qu’il soit positif ou négatif sur la neurogenèse adulte est bien spécifique des tâches de mémoire dépendantes de l’hippocampe (Gould et al., 1999a; Ambrogini et al., 2004b; Hairston et al., 2005; Van der Borght et al., 2005; Leuner et al., 2006b; Dupret et al., 2007). Plusieurs questions se sont posées au travers de ces études : Comment le type, la force et les phases de l’apprentissage influencent-ils la survie des nouveaux neurones ? Existe-t-il une sélection des nouveaux neurones en fonction de leur âge pour participer aux processus mnésiques ?

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Tout d’abord, nous avons vu que plusieurs formes de mémoires dépendantes de l’hippocampe induisent des modifications de la neurogenèse adulte hippocampique mais la durée d’un apprentissage peut induire des effets opposés sur la survie des nouveaux neurones (Tableau 4). En effet, les différentes phases d’un apprentissage sur plusieurs

jours (acquisition puis stabilisation), notamment lors de l’apprentissage d’une tâche spatiale en piscine de Morris peuvent avoir des effets complexes sur la neurogenèse (Döbrössy et al., 2003; Dupret et al., 2007). Brièvement, selon certains auteurs la prolifération des cellules progénitrices ne serait influencée qu’en fin d’apprentissage, une fois la tâche maîtrisée, indiquant que ces nouveaux neurones produits durant cette phase ne participent pas à cet apprentissage. De plus la survie d’une partie de ces neurones néoformés est favorisée à long terme (30 jours) pour potentiellement favoriser un apprentissage ultérieur. Au contraire, la phase d’acquisition favorise la survie de cellules âgées d’au moins 1 semaine tout en diminuant par apoptose la survie des cellules produites pendant cette phase d’autant plus rapidement que les animaux ont appris à localiser rapidement et précisément la plate-forme, suggérant que l’apprentissage est aussi optimisé par une perte neuronale de neurones néoformés trop immatures. Dans ce sens, le blocage de la mort des nouveaux neurones recrutés par l’apprentissage aboutit à un déficit de mémoire spatiale en piscine de Morris (Dupret et al., 2007; Tronel et al., 2010, 2012). Ces données indiquent donc que chaque phase d’un apprentissage spatial (acquisition, stabilisation), quand il est pratiqué sur plusieurs jours, influence différemment la prolifération des cellules progénitrices et la survie de nouveaux neurones de différents âges, suggérant que la sélection de certains nouveaux neurones pour survivre au profit de certains autres qui meurent, ou le « turnover » des nouveaux neurones, est un mécanisme essentiel au fonctionnement optimal de la mémoire (Figure 21).

Deuxièmement, le niveau de difficulté de la tâche semble être un facteur important de l’effet pro-survie de l’apprentissage. Par exemple, dans le cas d’un conditionnement de peur au contexte, l’acquisition de l’association entre la représentation du contexte et le stimulus inconditionnel se fait en un seul essai, ce qui est insuffisant pour influencer la survie des cellules nées 10 jours auparavant (Pham et al., 2005; Lopez-Fernandez et al., 2007). Par contre, un protocole distribué dans une tâche de conditionnement palpébral induit une augmentation de la survie des nouveaux neurones associée à de bonnes performances mnésiques, contrairement à un protocole massé (Sisti et al., 2007). De même, Waddell et coll. montrent qu’un certain nombre d’essais de conditionnement du clignement palpébral est nécessaire pour obtenir l’effet pro-survie de l’apprentissage (Waddell et al., 2011), suggérant que la force de l’acquisition d’une tâche est un paramètre important pour influencer la neurogenèse hippocampique. Enfin, l’apprentissage d’une tâche de mémoire spatiale de travail diminue la survie des nouveaux neurones contrairement à celui d’une tâche de mémoire spatiale de référence qui induit une augmentation (Xu et al., 2011). L’ensemble de

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ces résultats montre que la difficulté de la tâche d’apprentissage, son type et sa qualité peuvent influencer plus fortement la neurogenèse adulte, suggérant un lien entre neurogenèse et gestion des interférences mnésiques.

Figure 21 : Influence de l’apprentissage sur la neurogenèse adulte hippocampique

Les nouveaux neurones participent à la mise en mémoire (partie verte) et l’apprentissage module la maturation des nouveaux neurones (partie bleue). La phase précoce de l’apprentissage dépendant de l’hippocampe, caractérisée par une amélioration rapide des performances, augmente la survie à long terme des nouveaux neurones âgés de 1 à 3 semaines au moment de la tâche. La phase tardive de l’apprentissage, caractérisée par une stabilisation des performances, induit la mort des nouveaux neurones plus jeunes que ceux sélectionnés précédemment car trop immatures. Cette vague d’apoptose est suivie par une prolifération cellulaire accrue en vue d’un nouvel apprentissage. Extrait de Dupret & Abrous, 2010.

Indépendamment du nombre de nouveaux neurones, l’apprentissage d’une tâche de mémoire spatiale en piscine de Morris induit une accélération de la maturation des nouveaux neurones immatures (augmentation de l’expression de NeuN, mise en place précoce des synapses GABAergiques, accélération de la croissance axonale, augmentation de la complexité de l’arborisation et du nombre d’épines dendritiques) (Epp et al., 2007; Ambrogini et al., 2010; Tronel et al., 2010; Lemaire et al., 2012), et ce de façon dépendante de la demande cognitive de la tâche (Tronel et al., 2010). De plus, malgré une diminution de la survie des nouveaux neurones lors de la phase d’acquisition d’une mémoire spatiale en piscine de Morris, la maturation de l’arborisation dendritique des neurones restants est améliorée (Tronel et al., 2010). Cette accélération de la maturation des nouveaux neurones lors de l’apprentissage

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pourrait être à l’origine de l’amélioration de la survie des neurones immatures en augmentant la période critique durant laquelle ils peuvent être intégrés au sein des réseaux neuronaux et ainsi participer à la mise en mémoire (Ambrogini et al., 2010).

En résumé, l’ensemble de ces données suggère que la formation de mémoires dépendantes de l’hippocampe peut avoir un double effet sur la survie des nouveaux neurones du GD de l’hippocampe en favorisant leur survie lorsqu’ils sont très immatures et leur élimination s’ils ont atteint un niveau critique de maturation au moment de l’acquisition. Ces résultats suggèrent que lors de l’apprentissage, une sélection des nouveaux neurones se fait en fonction de leur âge afin d’obtenir la proportion idéale de nouveaux neurones participant à la mise en mémoire d’une information.

Néanmoins, ces données ne permettent pas de déterminer si la régulation de la neurogenèse est directement ou indirectement influencée par l’apprentissage. Certains auteurs fournissent des éléments de réponse à cette question en montrant des corrélations entre le niveau de neurogenèse adulte hippocampique et les performances mnésiques dans différentes tâches de mémoire dépendantes de l’hippocampe. Plusieurs auteurs montrent une corrélation positive entre le niveau de neurogenèse des animaux et leurs performances dans une tâche de mémoire spatiale ou de conditionnement de peur au contexte (Ambrogini et al., 2000; Kempermann & Gage, 2002b; Wojtowicz et al., 2008; Epp et al., 2011a). Leuner et coll montrent également une corrélation positive entre le taux de survie des nouvelles cellules âgés de 8 jours et les performances au début de l’acquisition dans un conditionnement de trace du clignement palpébral (Leuner et al., 2004). De même, la survie des nouveaux neurones âgés de 1 à 4 jours ou âgés de 1 semaine est d’autant plus importante que les animaux présentent de bonnes performances dans l’acquisition d’une mémoire spatiale en piscine de Morris (Lemaire et al., 2000; Sisti et al., 2007). De plus, ces auteurs montrent une corrélation positive entre les performances lors du test de rétention 2 semaines après l’acquisition et le niveau de neurogenèse (Sisti et al., 2007), suggérant une implication à long terme des nouveaux neurones dans la consolidation de la mémoire. A contrario, la prolifération des cellules progénitrices est inversement corrélée aux performances mnésiques dans une tâche de conditionnement de peur au contexte (Pham et al., 2005; Akers et al., 2014). Par ailleurs, le niveau de nouvelles cellules générées durant la phase tardive d’un apprentissage spatial en piscine de Morris est inversement corrélé aux performances dans cette tâche (Döbrössy et al., 2003; Epp et al., 2007), suggérant que la sélection des nouvelles cellules est essentielle pour la mise en mémoire d’une information.

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IV. Recrutement des nouveaux neurones hippocampiques par les