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Chapitre 2 : La neurogenèse adulte hippocampique

A. Histoire de la découverte de la neurogenèse

Depuis la fin du XIXème siècle, la notion de plasticité cérébrale du cerveau des mammifères adultes a considérablement évoluée. Alors qu’il a longtemps été admis que la structure du cerveau adulte demeurait fixe, il a été montré que les éléments du système nerveux présentent des modifications au niveau de la synapse : la synaptogenèse (Ramon y Cajal, 1894) et le remodelage synaptique. Néanmoins, du fait de l’architecture particulièrement élaborée du cerveau adulte, l’ajout de nouveaux neurones au sein de cette structure n’était pas envisageable et la production de nouveaux neurones était restreinte aux périodes de développement embryonnaire et post-natal. En effet, les techniques à disposition ne permettaient pas alors d’observer des cellules en division dans le cerveau des mammifères adultes (voir pour revue Gross, 2000; Rakic, 2002; Ming & Song, 2005; Aimone et al., 2014). Cependant, dès la première moitié du XXème siècle, quelques études ont commencé à suggérer l’existence d’une neurogenèse post-natale dans le cerveau de certains mammifères au niveau de la paroi des ventricules latéraux et dans la zone sous-ventriculaire (SVZ) (Hamilton, 1901; Allen, 1912; Bryans, 1959; voir pour revue Gross, 2000; Ming & Song, 2005; Aimone et al., 2014). Malgré leur publication, ces premières données, faute de preuve qu’il s’agissait de cellules neuronales, sont restées ignorées par la communauté scientifique. A la fin des années 1950, l’apparition d’une nouvelle méthode de détection de la prolifération cellulaire – l’autoradiographie de la thymidine tritiée – a permis une avancée considérable dans la mise en évidence et l’analyse de la neurogenèse. La thymidine tritiée est un analogue radio-marqué de la thymidine qui s’incorpore à l’ADN lors de la réplication dans les cellules en division, permettant ainsi de dater l’âge des cellules marquées (Figure 6). Grâce à cette technique, Altman et coll. ont publié une série d’études réalisées chez le rat et le chat montrant la présence de nouvelles cellules nerveuses dans différentes zones du cerveau adulte dont le néocortex, le GD de l’hippocampe et le bulbe olfactif (BO) (Figure 6 ; Altman, 1962, 1963, 1969; Altman & Das, 1965, 1966).

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Figure 6 : Marquage de cellules nouvellement formées grâce à la technique de la radiographie de la thymidine tritiée dans le GD de l’hippocampe de rat adulte

A. Exemple de cellules âgées de 10 jours. Extrait de Altman et Das, 1965. B. Exemple d’une cellule âgée de 30 jours en microscopie électronique. La présence d’une extension dendritique (flèches) indique que cette cellule est un neurone. Barre d’échelle : 2 µm. Extrait de Kaplan et Hinds, 1977.

Néanmoins, l’ensemble de ces travaux, malgré le fait qu’ils aient été publiés dans des revues prestigieuses, n’ont eu que très peu d’impact et ont également été ignorés car les techniques disponibles à l’époque ne permettaient pas non plus de déterminer sans ambiguïté l’identité de ces cellules. L’avis prévalent étant que seules les cellules gliales étaient capables de se diviser, une réticence persistait sur la division possible des neurones.

Dans les années 70, l’apparition des techniques de microscopie électronique a permis de confirmer le statut neuronal de cellules en division dans le cerveau adulte (Figure 6). En effet, grâce à cette technique, les caractéristiques morphologiques des cellules sont clairement identifiables et distinctes entres les neurones et les différents types de cellules gliales. Kaplan et coll. publient alors une série d’études montrant que les cellules radiomarquées à la thymidine tritiée dans le GD de l’hippocampe, le BO, et le cortex visuel de rats adultes possèdent des caractéristiques ultrastructurales de neurones, comme des prolongements neuritiques et des contacts synaptiques (Kaplan & Hinds, 1977; Kaplan, 1981, 1985; Kaplan & Bell, 1984).

Ces derniers travaux, bien que confirmant ceux d’Altman, n’ont pas pour autant ébranlé le dogme de l’absence d’une neurogenèse adulte car dans le même temps, l’équipe de Rakic publie en 1985 une étude chez le primate adulte qui s’oppose fermement à l’existence d’une neurogenèse adulte (Rakic, 1985a, 1985b). Cette étude a pris le dessus au niveau de la communauté scientifique par rapport aux études réalisées par Kaplan et coll car l’idée de l’ajout de nouveaux neurones dans le cerveau adulte était en opposition avec la conception théorique de la nécessité d’une stabilité structurale des réseaux neuronaux pour le maintien à long terme de la mémoire (Rakic, 1985a; Eckenhoff & Rakic, 1988). Néanmoins, Rakic est prêt à admettre la présence de neurogenèse adulte chez certains mammifères moins évolués que le primate, notamment les rongeurs, sans toutefois lui accorder de l’importance (Kaplan, 2001) – « Identification of neurogenesis in rats was phylogenetically specific to lower

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mammalian forms ; the rates of neurogenesis in rats were too small to have any significance »

Rakic (1984).

Différents facteurs ont contribué à l’abolition du dogme au début des années 1990 : une série d’expériences réalisées chez l’oiseau montrant une neurogenèse adulte abondante (voir pour revue Nottebohm, 2002) ; la mise en évidence in vitro de cellules souches adultes neuronales à partir de la SVZ du cerveau adulte de souris (Reynolds & Weiss, 1992) ; et enfin l’arrivée de nouvelles techniques de marquages permettant de distinguer les neurones des cellules gliales, grâce notamment à l’utilisation d’un nouvel analogue de la thymidine, la 5-bromo-2’-deoxyuridine (BrdU) qui est incorporée spécifiquement dans l’ADN des cellules en division, au moment de la phase S du cycle cellulaire (Figure 7 ; Gratzner, 1982; Miller & Nowakowski, 1988; Nowakowski et al., 1989; voir pour revue Taupin, 2007). De plus, ce marqueur présente l’avantage d’être plus facilement détectable par des techniques d’immunohistochimie (Figure 7) et permet, lorsqu’il est couplé à la détection d’autres marqueurs spécifiques d’autres types cellulaires, d’identifier sans ambiguïté l’identité des cellules formées en microscopie confocale (Figure 7).

Aujourd’hui l’existence de la neurogenèse dans le cerveau adulte est admise chez plusieurs espèces animales dont les mammifères (voir pour revue Cayre et al., 2002).

Figure 7 : Marquage de cellules nouvellement formées grâce à l’utilisation de la BrdU dans le GD de l’hippocampe de rongeur

A. L’approche nucléotidique repose sur l’incorporation d’un analogue de la thymidine (BrdU) au cours de la phase S du cycle cellulaire et conduit à un marquage nucléaire des cellules néoformées. Modifié d’après Ming & Song 2005. B et C. Exemple de doubles marquages en immunohistochimie à fluorescence de cellules BrdU+ exprimant soit le marqueur d’immaturité neuronale DCX (B), soit le marqueur de maturité neuronale NeuN (C). D. Marquage en immunohistochimie à la DAB de cellules du GD ayant incorporé la BrdU dans leur ADN. Extrait de Veyrac et al. 2013.

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