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Positionnements par rapport aux évolutions possibles des relations entre Nation et Union Européenne

L’analyse des réponses ouvertes concernant les représentations des changements probables que l’intégration européenne entraînera sur les situations personnelles, régionales et nationales (voir 5.2.6) a mis en évidence l’existence d’une perception de menace relative aux thèmes de l’uniformisation culturelle et de la perte de pouvoir politique. Ces thèmes, quoique relativement peu évoqués ont en effet été associés à des scores moyens négatifs en valence et élevés en importance. Il s’agit donc de thèmes peu ‘saillants’ mais potentiellement importants dans la mesure où ils sont susceptibles de conditionner l’identification à l’Europe. Les résultats de ces analyses suggèrent de plus que c’est la perception de menace au niveau national d’appartenance qui détermine le plus nettement l’identification européenne (voir Tableau 19).

L’étude qui sera décrite ci-dessous a été menée dans le but d’explorer plus systématiquement les représentations de l’évolution des relations entre l’Europe et la nation dans les domaines culturel et politique. Elle vise en outre à évaluer les relations entre ces représentations de l’avenir et le degré d’identification à l’Europe. Il s’agit ici de questions fermées qui imposent aux sujets de prendre position à l’égard de prédictions relatives à ce thème particulier.

A partir des résultats de l’analyse des représentations des changements dus au processus d’intégration européenne, nous nous attendons tout d’abord à ce que les prédictions qui décrivent une perte de pouvoir de l’Etat-Nation - dans les domaines culturel ou politique - soient perçues comme étant menaçantes. Nous postulons également que les personnes qui croient que ces prédictions se réaliseront auront moins tendance à s’identifier à l’Europe. De même, celles qui les évaluent négativement auront moins tendance à s’identifier à l’Europe. Au contraire, celles qui ne se représentent pas l’évolution des relations entre nation et Europe de cette manière ou qui sont favorables à la perte d’importance de l’Etat au profit de l’UE devraient s’y identifier davantage.

6.1.1. Méthode

Nous avons soumis aux participant(e)s, lors de la passation d’un autre questionnaire (questionnaire 4) - une série de 12 propositions décrivant des évolutions potentielles de l’UE.

Ces évolutions concernent les domaines politique (souveraineté, pouvoir, relation aux citoyens), ou culturel (langue, culture, symboles, éducation). Ces prédictions décrivent soit un accroissement de l’importance de l’UE aux dépens des Etats-nations ; soit une préservation exclusive des prérogatives de L’Etat-nation. En outre, une proposition décrit la coexistence des symboles nationaux et européens.

La tâche des sujets consistait à indiquer, sur deux échelles de type Likert à 11 niveaux leur évaluation de la probabilité (1 = très peu probable ; 11 = très probable) que chaque prédiction se réalise ainsi que leur attitude (1 = très défavorable ; 11 = très favorable) envers chaque proposition.

Nous avons examiné les tendances moyennes des jugements de probabilité et d’attitude avant de calculer les corrélations entre ces mesures et les mesures d’identification nationale et européenne180.

6.1.2. Résultats

167 questionnaires ont été analysés181.

Moyennes

Le Tableau 20 montre les scores moyens de chaque item sur les deux échelles. Afin d’en faciliter la lecture, ce tableau a été divisé en quatre quadrants où sont classées les 12 prédictions en fonction de leur score moyen sur les deux échelles. Ainsi, le premier quadrant - en haut à gauche - rassemble les évolutions qui ont été jugées probables et favorables ; le second quadrant - en haut à droite - rassemble les prédictions jugées probables mais défavorables ; le troisième quadrant - en bas à gauche - comprend les évolutions jugées peu probables mais favorables ; et le quatrième quadrant - en bas à droite - rassemble les propositions jugées peu probables et défavorables182.

180 Cette étude concernant les relations entre nation et Europe, les scores d’identification régionale ne seront pas examinés.

181 Les questionnaires incomplets ou de sujets non belges francophones ont été préalablement écartés.

182 La valeur centrale de l’échelle (6) constitue la limite entre les quadrants. Des tests T sur échantillon unique ont été effectués afin d’identifier les valeurs moyennes qui se différencient significativement de cette valeur centrale.

Les scores de certaines propositions ont été inversés afin que les scores expriment tous une tendance dans la même direction. En l’occurrence, des valeurs élevées signifient que la croissance de l’influence de l’Europe est jugée probable ou favorable. Ces propositions apparaissent en caractères italiques dans le Tableau 20. La proposition décrivant une coexistence entre les symboles nationaux et européens échappe bien sûr à cette règle.

Comme le montre ce tableau, cette proposition, qui prédit qu’un hymne européen sera joué en plus de l’hymne national lors d’événements diplomatiques ou sportifs internationaux, est celle qui est perçue comme la plus probable et la plus désirable.

Tableau 20 : Estimations de probabilité et attitudes envers des évolutions possibles de l’UE

Attitude

Probabilité Favorable Défavorable

Probable

Un hymne européen sera joué en plus de l’hymne national lors d’événements diplomatiques ou sportifs internationaux (7.71***; 7.88***)

Les programmes scolaires des différents Etats membres vont s’aligner sur un modèle commun défini par l’UE (6.63**; 6.54*)

Les Etats nationaux vont perdre leur pouvoir au profit d’un « super-Etat » européen

(6.26; 5.11***)

L’unification européenne va mener à un plus

grand respect des cultures locales des différentes régions européennes (6.01; 3.12***)

Peu probable

Tous les enfants de l’UE vont suivre le même cours d’Histoire (5.17***; 6.97***)

Les programmes scolaires continueront à être

définis par chacun des Etats membres (4.63***. 4.84***)

Seul l’hymne national de chaque pays

continuera à être joué lors d’événements diplomatiques ou sportifs internationaux (4.59***; 5.14***)

L’UE va adopter un hymne européen et supprimer l’usage d’hymnes nationaux lors d’événements diplomatiques ou sportifs internationaux (4.20***; 4.61***)

L’UE va encourager l’usage d’une seule langue par tous les Etats membres (4.73***; 4.82***)

L’unification européenne va mener à l’uniformisation des cultures des pays membres de l’UE (4.78***; 3.31***)

Les Etats nationaux resteront souverains sur

leur territoire (4.42***; 4.42***)

Les citoyens continueront à s’adresser aux

institutions nationales pour exprimer leurs revendications (3.80***; 4.34***)

!"164 ≤ N ≤ 167

!"(moyenne sur l’échelle de probabilité; moyenne sur l’échelle d’attitude)

!"Les scores des propositions en caractères italiques ont été inversés.

!"Tests T sur échantillon unique : comparaison avec la valeur centrale de l’échelle (6)

!" * < .05 ; ** < ;01 ; *** < .001

L’unification des programmes scolaires sur un modèle commun défini par l’UE est également considérée comme une évolution probable et désirable. Paradoxalement, la proposition contraire - selon laquelle les programmes scolaires continueront à être définis par

chacun des Etats membres - est également jugée en moyenne comme probable et désirable183. De plus, la prédiction selon laquelle tous les enfants de l’UE vont suivre le même cours d’Histoire - qui semble une conséquence logique de l’unification des programmes scolaires - est quant à elle jugée peu probable mais désirable. Il semble exister une certaine incohérence dans les réponses relatives à l’éducation.

Les propositions qui décrivent une perte de souveraineté politique, la disparition de symboles nationaux, la disparition d’un lien direct entre l’Etat et les citoyens, ou la perte de spécificités culturelles ou linguistiques nationales sont en moyenne jugées peu probables et défavorables.

Dans l’ensemble, les perspectives d’avenir sont de nouveau considérées de manière optimiste : les évolutions positives sont jugées probables et les évolutions négatives sont jugées peu probables184. Ainsi, les participant(e)s de cette enquête croient que les symboles de leur nation seront toujours utilisés à l’avenir, que l’Etat belge maintiendra sa souveraineté sur le territoire et que les langages et les cultures ne seront pas uniformisés. Et elles/ils se disent favorables à cette évolution.

Cependant, deux prédictions sont jugées relativement probables - proches de la valeur centrale de l’échelle de probabilité - et jugées de manière défavorable. Il s’agit d’une part de la perspective de perte de pouvoir de l’Etat national au profit d’un ‘super-Etat’ européen et du non-respect des cultures locales.

Ces derniers résultats tendent ainsi à confirmer notre hypothèse selon laquelle la perte de souveraineté ou de spécificité culturelle serait perçue comme une menace (en tant qu’évolution négative et probable). Cependant, la prise en considération de l’ensemble des résultats pondère cette tendance, puisque la plupart des prédictions défavorables sont jugées improbables et inversement.

183 Les scores en ont été inversés, ce qui la situe dans le quadrant des évolutions peu probables et défavorables.

184 Les scores de probabilité et d’attitude sont d’ailleurs positivement corrélés pour chacun de ces 12 items.

Relations entre prédictions et identification nationale et européenne

Rappelons l’hypothèse selon laquelle il existerait une relation négative entre d’une part, la perception d’une perte de pouvoir ainsi que d’une perte de spécificité culturelle de la nation due à l’intégration européenne et d’autre part, la tendance à s’identifier à l’Europe. Afin de tester cette hypothèse, les corrélations entre les jugements de probabilité et d’attitude à l’égard de ces douze prédictions et les mesures d’identification nationale et européenne ont été calculées185.

La plupart de ces jugements ne sont pas significativement corrélés avec les mesures d’identification. Toutefois, cinq de ces prédictions sont significativement corrélées - en ce qui concerne leur probabilité perçue et/ou leur valence - avec l’identification européenne et/ou nationale.

Tableau 21 : Corrélations entre l’Identification à l’Europe et à la nation et les jugements de probabilité et de valence envers les prédictions

ID Europe ID nation

Probabilité Attitude Probabilité Attitude Un hymne européen sera joué en plus de l’hymne

national lors d’événements diplomatiques ou sportifs internationaux

.250** .353** .053 .110

Tous les enfants de l’UE vont suivre le même cours d’Histoire

.124 .238* .249** .156

L’unification européenne va mener à l’uniformisation des cultures des pays membres de l’UE

.100 .197* .144 -.089

Les Etats nationaux resteront souverains sur leur territoire

-.322** -.342** -.076 -.271**

Les programmes scolaires continueront à être définis par chacun des Etats membres

-.214* -.160 .093 .026

!"N = 106

!"Les scores des propositions en caractères italiques ont été inversés.

!"*p ≤ .05

!"**p ≤ .01

Comme le montre le Tableau 21, l’identification à l’Europe est liée à :

!"Une tendance à anticiper et à approuver une relation complémentaire entre la nation et l’Europe qui s’exprime ici sur le thème de l’hymne national ;

185 Notons que le délai entre les mesures d’identification et les jugements de ces prédictions était particulièrement important (trois mois).

!"Une tendance à anticiper et à approuver le maintien de la souveraineté nationale ;

!"Une attitude moins négative envers l’uniformisation culturelle et éducationnelle (quoi qu’il y ait de nouveau une contradiction entre l’item concernant le cours d’Histoire et l’item concernant les programmes scolaires).

Quant à l’identification nationale, elle n’est liée qu’à une tendance à anticiper une uniformisation des cours d’Histoire dans l’UE ainsi qu’à une attitude négative envers la perspective d’une perte de souveraineté nationale.

Ces résultats indiquent une nouvelle fois que l’identification à l’Europe est liée à une représentation en termes de complémentarité des relations futures entre nation et Europe. Les sujets qui ont exprimé une forte identification lors du premier questionnaire tendent à anticiper des relations de ce type. Ces sujets prévoient le maintien de la souveraineté nationale ainsi que des prérogatives de l’Etat concernant la définition des programmes scolaires et considèrent que cette évolution est favorable. Ils portent cependant un jugement moins défavorable envers la perspective de l’uniformisation culturelle.

Inversement, les sujets ayant exprimé une identification faible envers l’Europe anticipent une diminution des prérogatives de l’Etat et l’abandon de sa souveraineté ; évolutions qu’ils jugent défavorables. Ils se montrent en outre les plus défavorables envers l’uniformisation culturelle.

De nouveau, ces résultats n’indiquent pas d’opposition entre l’identification européenne et l’identification nationale. Les relations entre cette dernière variable et les jugements de série de prédictions vont dans le même sens que ce qui a été observé au sujet de l’identification européenne.

Relations entre prédictions et configurations identitaires

Remarquons cependant que l’examen des corrélations entre chacune de ces deux variables d’identification et ces jugements ne nous permet pas de prendre en compte de manière précise la nature des relations entre les deux niveaux d’identification. On peut pourtant supposer que ces représentations de l’avenir, ainsi que les positionnements par rapport aux évolutions possibles de l’UE, correspondront à des ‘configurations identitaires’ différentes (Azzi, 1998; Huici, 1997). Par exemple, une forte identification nationale prend un sens différent si elle s’accompagne d’une forte identification à l’Europe que si elle est

associée à une faible identification à l’Europe. Nous nous attendons à ce que la première configuration soit associée à une vision complémentaire de l’évolution des relations entre nation et Europe alors que la seconde devrait être associée à une vision plus antagoniste de ces relations.

L’analyse de la variance a révélé des différences significatives dans les jugements de probabilité et/ou d’attitudes en fonction des trois configurations identitaires186 pour quatre de ces prédictions (voir Tableau 22).

186 La quatrième configuration, rassemblant des sujets s’identifiant faiblement aux deux niveaux d’appartenance, n’a pas été prise en compte dans cette analyse.

Tableau 22 : Analyse de la variance (one way) des jugements de probabilité et d’attitude envers les prédictions relatives aux relations entre la nation et l’UE en fonction des

configurations identitaires N M e. t. F Sig. B-E 28 8.32 2.18 2.49 .089 B-e 36 7.11 2.64 Probabilité b-E 23 8.22 2.26 B-E 28 8.82 2.13 5.02 .009 B-e 36 7.56 2.45

Hymne Européen + hymne national

Attitude b-E 23 9.35 2.08 B-E 28 3.54 2.28 3.24 .044 B-e 36 5.00 2.65 Probabilité b-E 23 3.91 2.07 B-E 28 3.43 2.18 3.12 .049 B-e 36 4.81 2.32

Perte de souveraineté nationale

Attitude b-E 23 4.43 2.11 B-E 28 3.29 1.67 3.25 .044 B-e 36 4.42 1.90 Probabilité b-E 23 3.39 2.33 B-E 28 3.57 1.95 1.83 .167 B-e 36 4.56 1.87

Les citoyens ne s’adresseront plus aux institutions nationales Attitude b-E 23 4.48 2.81 B-E 27 3.96 2.19 3.85 .025 B-e 36 5.11 2.65 Probabilité b-E 22 3.45 1.97 B-E 27 4.15 2.41 3.30 .042 B-e 36 5.58 2.02

Les programmes scolaires ne seront plus définis par les Etats membres.

Attitude

b-E 22 4.55 2.56

B-E : Identification belge et Européenne fortes.

B-e : Identification belge forte et Identification européenne faible. b-E : Identification belge faible et Identification européenne forte.

Les participant(e)s qui s’identifient fortement aux deux niveaux d’appartenance (B-E) se montrent favorables à la coexistence des symboles nationaux et européens. Elles tendent en outre à anticiper le maintien de la souveraineté nationale - auquel elles se déclarent favorables - et de la relation entre citoyens et institutions nationales. Elles prédisent également le maintien au niveau national du pouvoir de déterminer les programmes scolaires et y sont favorables.

Les participant(e)s s’identifiant davantage au niveau européen qu’au niveau national d’appartenance (b-E) suivent les mêmes tendances. Elles sont, de plus, les plus favorables à la coexistence des symboles nationaux et européens et les moins favorables à la perte d’influence scolaire des Etats.

Par contre, le groupe des personnes qui s’identifient plus à la Belgique qu’à l’Europe est le moins favorable à la coexistence des symboles nationaux et européens187. De plus, bien que ces moyennes restent inférieures à la valeur centrale des échelles (6), ce groupe de sujets est celui qui accorde le plus de véracité à la prédiction d’une perte de la souveraineté nationale au profit de l’Europe, ainsi qu’aux prédictions selon lesquelles « les citoyens ne s’adresseront plus aux institutions nationales » et que « les programmes scolaires ne seront plus définis par les Etats membres »188.

Ainsi, il semble que, parmi les personnes qui ont exprimé un degré d’identification élevé avec au moins un des deux niveaux d’appartenance, celles qui s’identifient fortement à la nation et qui se représentent l’intégration européenne comme une menace à la souveraineté et aux prérogatives de l’Etat national sont celles qui s’identifient le moins à l’Europe.

187 Il semble de plus que ce groupe de sujets considère cette éventualité comme moins probable que les deux autres groupes, bien que cette différence ne soit que marginalement significative (p = .089).

188