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Selon Frayret (2009), le problème associé à la planification collaborative dans les chaînes d’approvisionnement provient de la nature distribuée de celles-ci. Plus particulièrement, les pouvoirs de décision qui sont localisés chez les différentes organisations indépendantes les unes des autres complexifient la prise de décision puisque chacune d’entre elles ont leurs propres défis correspondant à leurs processus et à leurs stratégies d’affaires. L’identification de solutions et de scénarios qui conviennent à tous les partenaires devient alors plutôt complexe. Pour pallier à ces problèmes, les organisations ont développé avec le temps des mécanismes et des processus de planification collaborative qui permettent de mieux travailler ensemble et ainsi permettre les bénéfices de leur collaboration (Lehoux et al., 2012). Le Vendor Management Inventory (VMI) et le Collaborative planning, forecasting and replenishment (CPFR) sont des exemples de mécanisme formel.

La problématique de coordination dans les chaînes d’approvisionnement a été largement traitée dans la littérature scientifique en utilisant notamment des modèles mathématiques qui quantifient les bénéfices de la planification collaborative (voir par exemple Audy et al. 2012 ; Beaudoin et al., 2010 ; Frayret et al. 2007 ; Lehoux et al., 2011 et 2014). Plusieurs études se sont également penchées sur les défis organisationnels de la planification collaborative (Barratt et Oliveira, 2001 ; Barratt, 2004b ; Danese, 2011). Toutefois, relativement peu d’études se sont intéressées aux aspects organisationnels et sociologiques dans des environnements distribués comme celui à l’étude

(Günter, 2007)2. Les difficultés de collaboration qui découlent de la tension entre le désir de contrôle

des usines de transformation du bois sur leur approvisionnement et la nécessité de coordonner leur approvisionnement avec les autres usines imposée par le contexte biophysique et la réglementation en vigueur s’inscrivent dans ces questionnements. En effet, les usines de transformation du bois recherchent un certain niveau de contrôle afin de permettre la mise en œuvre des décisions stratégiques propres à leur organisation. Par exemple, les planificateurs responsables de l’approvisionnement doivent d’une part gérer les coûts associés à la récolte et au transport ainsi que veiller à maintenir un niveau suffisant d’inventaire dans les cours à bois tout en respectant les budgets et les échéanciers convenus par l’organisation. D’autre part, ces gestionnaires doivent aussi concilier la planification de leur approvisionnement avec les autres usines qui partagent un même territoire afin de coordonner les flux de matière. Ces autres usines sont aux prises avec ces mêmes considérations. Comme mentionné dans la problématique, les défis de planification collaborative s’avèrent de taille dans ces conditions. À notre connaissance, la littérature en planification collaborative offre peu d’information concernant les moyens de concilier cette tension entre autonomie organisationnelle et gestion des interdépendances selon une perspective organisationnelle et sociologique. Audy et al. (2012) soulignent d’ailleurs que la collaboration dans les chaînes d’approvisionnement est un phénomène complexe qui mérite d’être étudié de manière multidisciplinaire.

La centralisation d’information constitue un sujet d’étude en planification collaborative qui est en mesure de répondre en partie à notre problématique. Frayret et al. (2004) font notamment remarquer que l’utilisation d’une tierce partie pour la coordination répond entre autres à un besoin de centralisation d’information dans les environnements décentralisés. Considérant les difficultés de partage et de conciliation d’information dans l’environnement décrit dans la problématique, la présence d’une tierce partie semble une piste de solution pertinente afin de permettre une planification collaborative plus performante.

2 Nous utilisons l’expression « aspects organisationnels et sociologiques » afin de préciser la nuance entre les

structures organisationnelles et les rapports sociaux qui les forment. En effet, en théories des organisations, certains groupes de chercheurs emploient le terme « organisationnel » en faisant référence uniquement aux structures organisationnelles, c’est-à-dire l’organisation des organisations et leurs fonctions, sans faire référence à l’amalgame des rapports sociaux qui composent celles-ci (Rouleau, 2007). Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéressons donc d’une part, aux structures organisationnelles de la planification collaborative dans un environnement distribué ainsi que, d’autre part, aux rapports entre les individus impliqués à la planification collaborative dans le contexte social des chaînes d’approvisionnement forestier.

Dans cet ordre d’idée, Hobday et al. (2005) définissent l’intégration de systèmes comme la capacité qui permet aux différentes organisations d’une chaîne d’approvisionnement de définir et de combiner tous les intrants nécessaires pour un système donné et de s’entendre sur une voie à suivre pour les développements futurs. Une tendance a en effet été remarquée chez plusieurs grandes multinationales à développer des modèles d’organisation industrielle basés sur l’intégration de systèmes. Plutôt que de miser sur la réalisation des tâches de production au sein de leurs organisations (in-house), ces firmes développent des capacités de design et d’intégration, tout en gérant un réseau de fournisseurs de sous-systèmes et de composantes. L’intégration de systèmes se manifeste également par l’existence d’une organisation jouant le rôle d’intégrateur-système. Davies et al. (2007) définissent un intégrateur-système comme une entité qui réalise des tâches d’intégration et de coordination des activités de plusieurs fournisseurs externes. L’intégrateur- système contribue aussi à la résolution de problèmes dus à des prévisions inexactes, des faibles capacités d’utilisation, des surplus d’inventaires, un service au consommateur inadéquat ou de mauvaises exécutions des commandes.

Azouzi et al. (2011, 2012) ainsi que Lebel et al. (2019) ont proposé une théorisation de l’intégration de systèmes adaptée au secteur forestier. Ces chercheurs ont nommé le concept : « Fournisseur- Intégrateur ». Le Fournisseur-Intégrateur agit comme un intermédiaire entre le gouvernement et les usines de transformation du bois. Il réalise ainsi l’intégration des besoins d’approvisionnement pour un groupe d’usines de transformation du bois et collabore à la planification forestière avec le MFFP à travers les différents niveaux de planification. Le Fournisseur-Intégrateur est aussi en lien avec un réseau de fournisseurs de services de récolte et de transport. Il est ainsi en mesure de « fournir » du bois à ses clients. Finalement, il possède des compétences en planification forestière, mais également en logistique et en optimisation.

Le concept de Fournisseur-Intégrateur n’a toutefois pas été l’objet d’une étude formelle sur le terrain. Dans le cadre de cette thèse, nous sommes donc intéressés par l’influence d’une tierce partie jouant le rôle d’intégrateur-système sur la performance de la planification forestière. La littérature qui porte sur l’intégration de systèmes suggère des bénéfices intéressants, mais elle n’offre pas de réponses pour notre contexte distribué à l’étude. Plus particulièrement, il n’est pas clair dans la littérature quel(s) modèle(s) de gouvernance « multiorganisationnel » est (ou sont) le(s) plus adéquat(s) considérant les défis de planification collaborative dans les chaînes d’approvisionnement forestier à

l’étude. En d’autres mots, considérant la tension entre l’autonomie organisationnelle et la gestion des interdépendances dans les chaînes d’approvisionnement, quel rôle devrait jouer une tierce partie de type intégrateur-système dans la planification forestière afin de favoriser la performance de celle-ci.

Certains chercheurs actifs en sciences de l’administration s’intéressent en partie à ces questions. Ces chercheurs étudient les facteurs organisationnels et sociologiques qui favorisent la collaboration dans les chaînes d’approvisionnement. La collaboration est d’ailleurs régulièrement présentée comme un moyen permettant l’amélioration des performances des chaînes d’approvisionnement (Fawcett et al., 2012). Soosay et Hyland (2015) définissent ce concept comme une stratégie à long terme, basée sur la confiance, qui permet la mise en œuvre de capacités relationnelles uniques. La collaboration permet une planification et une prise de décision conjointe concernant à la fois les questions stratégiques et opérationnelles, le partage des ressources, des bénéfices et du risque. La compréhension mutuelle entre les organisations qui s’opère permet d’établir des objectifs conjoints et la recherche de solutions optimales. Cette définition témoigne dans un premier temps de la nature complexe mais également holistique de la collaboration. Sa mise en œuvre fait ainsi intervenir plusieurs paramètres organisationnels et sociologiques qui sont simultanément en action au sein d’une chaîne d’approvisionnement. Toutefois, relativement peu de firmes ont montré une habileté à collaborer de manière constante et soutenue sur le long terme à l’image des exemples des compagnies Honda et Toyota avec leurs propres chaînes d’approvisionnement (Fawcett et al., 2015). Il demeure des facettes du phénomène de la collaboration qui ne sont pas clairement comprises. Par exemple, en lien avec les difficultés de conciliation de l’information présentée dans la problématique, Soosay et Hyland (2015) font remarquer qu’il n’est pas toujours clair de quelle façon les organisations d’une chaîne d’approvisionnement gèrent l’échange d’information considérant les niveaux de confiance des partenaires, les dynamiques de pouvoir en place et les structures de gouvernance. Il s’agit d’une lacune de la littérature qui rejoint nos questionnements et que nous cherchons à combler.

Le domaine de recherche de la collaboration dans les chaînes d’approvisionnement constitue une piste pertinente afin de réfléchir sur le modèle de gouvernance multiorganisationnelle approprié qui permettra de concilier la dichotomie entre autonomie et interdépendance. La revue de la littérature

qui sera présentée au chapitre 2 reprendra en détail notre positionnement dans la littérature et indiquera les lacunes que nous cherchons à combler.