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Piaget (1967, cité dans Le Moigne, 1999) définit l’épistémologie « en première approximation comme l’étude de la constitution des connaissances valables ». Pour Le Moigne (1999), cette définition pose trois questions à savoir : (1) ce qu’est la connaissance ; (2) comment elle est constituée ; et (3) quelle est sa valeur ou sa validité. Ainsi, elle peut porter sur plusieurs aspects de la connaissance. Pour Cohen (1996), il s’agit de la philosophie ou de la théorie de la connaissance qui correspondent à un retour critique de la connaissance sur elle-même, son objet et ses conditions de formation et de légitimité. Aussi, Giordano et Jolibert (2012) relèvent des difficultés associées à la définition du terme épistémologie qui désignerait, d’une part, la nature de la relation entre l’observatrice-chercheuse ou l’observateur- chercheur (le sujet) et l’objet de recherche et, d’autre part, la nature de l’objet de recherche (ontologie) et la relation sujet-objet.

Plusieurs paradigmes épistémologiques sont définis dans le monde scientifique contemporain, mais principalement deux sont considérés comme majeurs. Par paradigme, je considère la définition d’Avenier et Gavard-Perret (2012) selon laquelle il s’agit « d’un système de croyances relatives à ce qu’est une science, à ce qu’elle étudie et à la manière dont elle l’étudie » (p.13) et par paradigme épistémologique, je retiens aux fins de cette thèse ce que ces mêmes autrices écrivent, c’est-à-dire que ce système (plus haut) est construit d’hypothèses qui se rapportent à « ce qui est considéré comme connaissable, ce qu’est la connaissance, et comment se constitue la connaissance » (p.20). Dans les paragraphes qui suivent sont présentés brièvement les deux paradigmes majeurs qui sont retenus aux fins de cette recherche ; il s’agit du positivisme (et éventuellement du postpositivisme) et du constructivisme.

Le positivisme, dont Auguste Comte est le fondateur, présente le monde comme une vérité qui est pensée à travers un point de vue objectif et qui provient de la raison pure. Certaines de ses hypothèses fondatrices proviendraient du réalisme scientifique (Avenier et Gavard-Perret, 2012). Tel que l’écrit Le Moigne (1995), le monde est alors externe à l’individu. Chez les positivistes, les lois existent selon un point de vue déterministe, c’est-à-dire même si elles n’ont pas été découvertes, ils cherchent à expliquer les causes et les relations entre ces lois. Les trois hypothèses de base du positivisme, selon Avenier et Gavard-Perret (2012), consistent en (1) l’existence d’un réel objectif, unique, connaissable et indépendant de la chercheuse ou du chercheur (2) qui est régi par des lois naturelles immuables, observables, mesurables et (3) qui est détaché de toute influence ou considération de valeurs de la chercheuse ou du chercheur. Du point de vue méthodologique, deux principes sont préconisés par les positivistes : le principe cartésien de décomposition ou de division du réel en d’autres réels connaissables et le principe de raison suffisante selon lequel tout a une cause (Avenier et Gavard-Perret, 2012). Éventuellement, le postpositivisme s’est distingué en apportant les points selon lesquels il n’est pas toujours possible de saisir pleinement et parfaitement le réel dans sa globalité ; la chercheuse ou le chercheur doit alors chercher à contrôler le plus possible le contexte dans lequel il

réalise sa recherche et il veut davantage réfuter des hypothèses que les vérifier (Avenier et Gavard-Perret, 2012). Ainsi, considérant ces derniers éléments, cette recherche n’est pas positiviste ou postpositiviste. En effet, son caractère est plus proche de la relation, voire de l’interaction, et de son interprétation, entre la chercheuse et l’objet-sujet qui sera déterminante pour la compréhension et pour la construction du sens du phénomène à l’étude. Les objectifs de cette recherche, de même que ses méthodes, ne concordent pas avec ceux du positivisme et du postpositivisme.

Plutôt, elle se veut constructiviste. Le constructivisme conçoit le monde comme un construit social, comme le produit des intuitions et des sentiments ou des appréhensions des individus, comme l’écrit Le Moigne (1995). Cet auteur par ailleurs définit la recherche constructiviste à travers l’action et les interventions des actrices et des acteurs par le biais de leurs processus cognitifs. C’est ainsi, écrit-il, que le sujet connaissant a le rôle décisif dans la construction de la connaissance, qui sera évaluée par son expérience. Patton (2002, cité dans Avenier, 2011, p.23) écrit à ce sujet que c’est « la réflexivité qui permet de comprendre comment nos propres expériences affectent ce que nous comprenons et comment nous agissons ». Ce paradigme ne décrit pas de critères efficaces de vérité scientifique et ne met pas l’emphase sur la prédiction — ou la généralisation — de phénomènes, mais plutôt sur leur compréhension.

Toutefois, malgré ces grandes lignes, le constructivisme demeure un paradigme controversé (Giordano et Jolibert, 2012 ; Avenier, 2011 ; Avenier et Gavard-Perret, 2012) dont certaines fondations sont discutées. En effet, l’appellation constructivisme regroupe différentes théories qui ne rejoignent pas toutes nécessairement la posture principale qui oriente cette recherche. Giordano et Jolibert (2009) signalent l’existence d’une variété des constructivismes ou encore, en empruntant le terme de Philippe Corcuff (1995, cité p.32), de « galaxie » des constructivismes lourde de conséquences pour la production de la connaissance.

Pour les besoins de cette recherche, j’explique les deux principales tangentes qu’a pris le constructivisme, à savoir le paradigme épistémologique constructiviste de Guba et Lincoln (1989), par ailleurs issu du champ des sciences de l’éducation, et le paradigme épistémologique constructiviste radical ou pragmatique, tel que le discutaient Von Glasersfeld (1988, 2001) et plus tard Le Moigne (1995, 2001). Je retiens certains de ses éléments caractéristiques dans ma démarche. Je situerai par la suite ma recherche au regard de ces paradigmes majeurs. Il ne faut pas confondre la posture de cette thèse avec les théories constructivistes ou socioconstructivistes de Berger et Luckmann (1966) ou de Piaget (1967), bien que le constructivisme radical ou pragmatique se situe dans le prolongement de ses travaux. Enfin, il faut noter que le constructivisme dont se réclament Guba et Lincoln (1989) relève du postmodernisme, « ce qui conteste la possibilité de généraliser des savoirs dans ce paradigme épistémologique » (Albert et Avenier, 2011, p.26).

Pour la présentation des deux paradigmes, je m’appuie entre autres sur le texte d’Avenier et Gavard-Perret (2012) qui proposent un tableau comparatif, avec comme point de départ différents niveaux de questionnement dont ontologique, épistémologique et méthodologique. En annexe, je présente un tableau qui reprend ces éléments et les enrichit d’autres éléments théoriques avec comme but de déterminer lesquels de ces éléments sont retenus par rapport aux spécificités, comme aux objectifs, de cette recherche (voir Annexe E). Ce tableau présente des points de convergence ainsi que les points de divergence qui sont explicités ci-après. À noter qu’une colonne sur l’interprétativisme a été ajoutée de façon à soulever les points comparables entre ce paradigme et les deux autres.

Il est à noter que ces paradigmes partagent certaines caractéristiques. Il s’agit, écrivent Albert et Avenier (2011) : (1) de la non-séparabilité entre la chercheuse ou le chercheur et le phénomène à l’étude dans le processus de connaissance ; (2) de l’inadéquation de la notion de vérité absolue ; et (3) de « la façon de voir l’élaboration de connaissances comme un acte de construction de représentations forgées par des

humains pour donner sens aux situations dans lesquelles ils interviennent » (p.26). Ces points confirment par ailleurs l’orientation constructiviste de cette recherche qui voit son objet soit la construction de la confiance comme un phénomène dont son appréhension est à construire entre la chercheuse et les participantes et les participants à la lumière de leurs représentations de ce phénomène dans leur contexte.

En ce qui a trait au paradigme épistémologique constructiviste de Guba et Lincoln (1989), la réalité est créée et elle n’existe pas en dehors de la personne qui la crée. Ainsi, plusieurs réalités existent qui ne sont pas gouvernées par aucune loi naturelle ou causale. Contrairement au constructivisme pragmatique, il est associé aux paradigmes naturaliste, herméneutique et interprétativiste et il y a nécessairement coconstruction des connaissances entre la chercheuse ou le chercheur et les participantes ou les participants. C’est la méthode herméneutique qui prime par un processus constant d’itérations, d’analyses et de critiques vers l’émergence de représentations qui seront coconstruites à partir des interprétations de la chercheuse ou du chercheur et des participantes ou des participants.

Pour les tenants du paradigme constructiviste pragmatique, la « production de connaissances est vue comme un processus intentionnel de construction de représentations éprouvées par l’expérience » (Albert et Avenier, 2011, p.27). Ainsi, la connaissance devient un ensemble d’hypothèses plausibles produites selon l’expérience des sujets du phénomène. Dans cette perspective, le réel n’existe pas en lui-même à tout le moins n’est pas perçu comme tel, puisque personne ne peut affirmer connaitre le réel sans l’avoir expérimenté. Ce n’est ainsi que par l’apparence phénoménale que le réel peut être connu. « La connaissance s’exprime par des constructions symboliques appelées représentations, élaborées à partir de l’expérience d’humains, sans la possibilité de connaitre leur degré de similarité avec le réel qui a induit cette expérience » (Avenier et Gavard-Perret, 2012, p.25). En matière de méthodes, elles sont toutes permises et il n’y a pas obligatoirement de coconstruction

de sens entre les actrices et les acteurs. On cherche dans ce paradigme à construire le sens à partir des expériences.

Enfin, le paradigme interprétativiste s’inscrit dans la phénoménologie et privilégie les méthodes herméneutiques et ethnographiques et les connaissances générées y seront essentiellement descriptives (Avenier et Gavard-Perret, 2012). Les hypothèses fondatrices de l’interprétativisme sont quasi les mêmes que celles du constructivisme pragmatique à une exception. En effet, tel que l’écrivent Avenier et Gavard-Perret (2012), il prend position en récusant l’hypothèse de l’existence d’un réel objectif indépendant de l’observatrice ou de l’observateur, tandis que le constructivisme pragmatique ne postule aucune hypothèse fondatrice ni ne conteste la possibilité de l’existence d’un réel objectif indépendant de l’observatrice ou de l’observateur. Par ailleurs, cette recherche s’intéresse notamment à ce paradigme, car le but de la connaissance pour lui consiste à « comprendre les processus d’interprétation, de construction de sens, de communication et d’engagement dans les situations » (Avenier et Gavard-Perret, 2012, p.25).

Enfin, considérant ces trois paradigmes, il est possible d’inscrire cette recherche doctorale en partie dans le paradigme épistémologique interprétativiste, mais principalement dans le paradigme constructiviste de Guba et Lincoln. Les deux positions, interprétativiste et constructiviste, concernent mon objectif de compréhension du phénomène, la première cherchant à comprendre la signification que les actrices et les acteurs donnent à leurs pratiques et à leurs expériences — et je porterai alors mon regard surtout sur la construction du sens — et la deuxième (très proche de la première) cherchant à comprendre les règles de construction du social à travers notamment les interactions de coconstruction du monde.

Ainsi, la connaissance dans cette recherche sera produite via un processus intentionnel de coconstruction selon des représentations éprouvées par l’expérience des participantes et des participants qui donneront à la connaissance le statut d’une

réalité, la leur, parmi d’autres réalités possibles. Ainsi, cette recherche renvoie à ces paradigmes sur la base :

(1) (ontologique) de la nature construite de son objet en postulant l’existence d’un réel relatif socialement construit qui existe à travers d’autres réels, aucun n’étant gouverné par des lois ;

(2) (épistémologique) de la nature de la relation entre moi-même (la chercheuse) et mon objet et le terrain et les participantes et participants (sujets) en postulant la non-séparabilité de ceux-ci du phénomène étudié et leur interdépendance ;

(3) (méthodologique) de la manière dont la connaissance sera engendrée, c’est-à- dire grâce à un processus continuel d’itérations, d’analyses, de « réanalyses », de critiques ou de réitérations, conduisant à l’émergence de représentations coconstruites à partir de perceptions.

En conclusion, ce positionnement épistémologique est aligné avec l’objet de la recherche, à savoir les conditions de construction de relations de confiance, ses objectifs, à savoir l’analyse, l’interprétation et la compréhension de ces conditions, et sa méthodologie qualitative, qui est discutée dans la section suivante. À noter enfin que le constructivisme possède un caractère humanisant pour la recherche, ce qui, je trouve, convient bien à la recherche sur des questions concernant l’éducation globalement et l’éducation en contexte autochtone plus spécifiquement.