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3. DES CONDITIONS DE LA CONSTRUCTION DE RELATIONS DE CONFIANCE LIÉES À L’INSTITUTION

3.2 L’encadrement spécifique aux relations d’emploi

L’encadrement des relations d’emploi varie d’une communauté à l’autre et, éventuellement, les conditions de travail. Par exemple, la plupart des relations de travail des écoles visitées dans le cadre de cette recherche ne sont pas encadrées par une convention collective, mais plutôt par des contrats d’un à trois ans avec le conseil de bande. Cette situation, pour des directions de ces écoles, engendrerait des

répercussions sur leur gestion. Elles rapportent qu’elles y verraient dans certains cas un avantage pour elles puisque leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion du personnel — mais pas en d’autres matières, telles que le budget ou l’administration de l’école — serait plus grand que dans des écoles où les relations de travail sont conventionnées.

Plusieurs ont l’impression qu’elles possèderaient un droit de regard large sur certains aspects spécifiques de leur gestion des ressources humaines, plus large que dans des milieux au sein desquels les relations seraient encadrées par une convention collective. Certaines modalités de contrats jugés plus souples conduiraient selon des directions à une plus grande flexibilité dans les relations au travail, ce qui aurait un impact sur le travail d’équipe. Il s’agirait d’une situation satisfaisante autant pour les membres du personnel que pour la direction. D11 et D13 rapportent :

Les gens qui travaillent ici à l’école, c’est par choix. Parce qu’ils m’ont déjà confié avoir des opportunités d’emploi ailleurs, avec un salaire plus alléchant, mais ici, il y a une flexibilité qu’il n’y a pas ailleurs. Le travail d’équipe ici est différent, on n’est pas en milieu syndiqué. (D11, Autochtone)

La grosse différence : le syndicat. En tout cas, nous ici on n’en a pas, c’est un tout autre contexte. On a l’opportunité de monter des projets que ce soit moi ou que ce soit la coordonnatrice de l’éducation spéciale. On n’a pas toute une organisation. (...) Nous, on peut monter des choses, on ne se fait pas imposer des activités ou un mode de fonctionnement, c’est nous qui l’imposons. On va se faire conseiller par [l’organisme régional de gestion des programmes en éducation], ils vont être là pour nous appuyer, mais jamais on va se faire imposer des choses. C’est vraiment majeur. (D13, Allochtone)

Pour D13, aussi, ces avantages se répercuteraient dans la possibilité du dépassement des heures de travail dites « normales » pour une enseignante ou un enseignant :

Au niveau autochtone, on n’a pas de syndicat, donc on a quand même le loisir de dépasser le nombre de minutes qu’on sait dans les écoles provinciales. On sait qu’il faut qu’ils respectent 3456 minutes, pis c’est vraiment quasiment à la lettre. Nous, on a l’opportunité d’avoir des gens qui dépassent leurs minutes et qui travaillent… qui ne les comptent pas. (D13, Allochtone)

Par ailleurs, D21 explique qu’elle s’accorderait la latitude d’attribuer du temps compensatoire à certains membres du personnel qu’elles considèreraient méritant, malgré une perception d’injustice d’autres membres du personnel :

Je reconnais le travail, prenez ceux qui mettent des heures de plus : quand ils viennent me voir… "Hey ! Regarde ! Vas-y ! Prends ton après- midi. Je sais que tu en as mis du temps. Je sais que tu t’es investi." Il y en a d’autres qui demandent comment ça se fait que lui il est parti? Je leur dis : « il a investi du temps, il est resté jusqu’à 9 heures le soir, l’as-tu fait toi ? Non ! Ben regarde, je suis capable de reconnaitre le travail. (D21, Autochtone)

Aussi, pour quelques directions, l’absence de syndicat et de convention collective aurait des répercussions sur la dynamique de construction de relations de confiance, car elle permettrait un rapprochement entre les membres du personnel et la diminution des conflits de travail en matière de griefs ou de revendications.

Toutefois, certaines directions rapportent des aspects de cette situation qu’elles jugent négatifs. Par exemple, elles signalent qu’une certaine part des décisions en matière de gestion des ressources humaines deviendrait discrétionnaire, ce qui conduirait des membres du personnel à douter de la justice ou de l’équité de certaines décisions qu’ils interprèteraient parfois comme étant trop subjectives.

De plus, des directions rapportent que des membres du personnel encadrés par des contrats individuels se sentiraient assujettis au pouvoir discrétionnaire de la direction en matière de renouvèlement des contrats, ce qui engendrerait parfois de la méfiance des membres du personnel envers elles. Cette situation s’expliquerait

notamment parce que les critères de décision seraient perçus arbitraires. Les propos suivants de deux directions illustrent ce côté arbitraire décrit par d’autres directions :

Elle disait : est-ce que je suis mise à la porte ? (...) Prouvez-moi à la fin de l’année que vous avez été capable d’amener ces élèves-là au même niveau que les autres groupes de 3e année, et ça va bien aller. Sinon je remets en question votre contrat. Étant donné qu’ils ne sont pas syndiqués, on renouvèle ou on ne renouvèle pas. (D12, Allochtone) Mes changements, ce n’est pas compliqué, les deux personnes que je trouvais qui étaient les plus impliquées [dans la situation conflictuelle], je ne les ai pas renouvelées. Ça fait que là c’est redevenu comme il faut cette année. (...) Des fois, tu n’as pas le choix, tu remplaces. (D2, Allochtone)

Pour d’autres directions, cette situation conduirait des membres du personnel à douter de leur sécurité d’emploi, ce qui constituerait un obstacle vers la construction de relations de confiance de ces membres envers elles, puisqu’ils attribueraient la responsabilité de cette insécurité à la direction qui, ultimement, prend la décision, appuyée ou non par le conseil de bande, du renouvèlement des contrats. Des directions rapportent que cette insécurité chez les membres du personnel serait une des causes de récentes demandes d’accréditation syndicale dans certaines communautés. Les directions interrogées sont pour la plupart mitigées quant aux effets d’une accréditation sur les relations entre les membres de leur équipe. Par exemple, certaines signalent que l’accréditation permettrait peut-être de diminuer le taux de roulement et de stabiliser les équipes. À ce sujet, une direction qui a vécu les conséquences d’une telle demande d’accréditation explique son point de vue :

On a eu une demande d’accréditation syndicale… Ça vient comme te dire OK, attends un peu, y a-t-il quelque chose qui se passe par rapport à ça ? Mais quand on en a parlé avec les gens, c’est vraiment juste une question de sécuriser leurs emplois parce qu’au niveau du conseil, c’est des contrats renouvelables et ça devient compliqué. Il y avait comme un désir de changer ça... Si tu n’as pas d’équipe qui se tient et que tu changes tes éléments chaque année, il n’y a jamais de chimie qui se fait. Ils se sont

dit : on devrait se syndiquer pour nous protéger au niveau des relations. (D17, Allochtone)

Pour D17, aussi, une convention permettrait éventuellement de clarifier certains éléments importants, ce qui susciterait une communication plus adéquate des attentes réciproques et, éventuellement, des liens de confiance facilités.

C’est normal, ils ont des choses à faire, des rencontres et là tu expliques ça, mais les gens qui ne sont pas dans l’éducation ne comprennent pas ces choses-là. Alors là, j’ai le même guide, ça veut dire que quand j’arrive à des congés, c’est les mêmes règlements… C’est l’année scolaire qui détermine leur année de travail alors qu’en ville, au bureau administratif, c’est l’année financière. (...) Je me dis qu’une convention collective va juste faire en sorte peut-être que bon, les enseignants, on va peut-être être capable de mettre des choses pour que ce soit plus clair. Peut-être que non, mais peut-être que oui. (D17, Allochtone)

Pour D19, qui dirige une école où le personnel est syndiqué, le processus d’accréditation et son résultat aurait eu comme conséquence de diviser les membres du personnel entre ceux qui voulaient se syndiquer et ceux qui ne voulaient pas, ce qui aurait affecté les relations entre les groupes, notamment les relations de confiance. Voici comment elle explique la situation :

Il y a eu une demande d’accréditation syndicale de la part des employés de l’école primaire. C’est eux autres qui ont fait la demande. (...) Et puis, le conseil de bande a décidé que tous les postes équivalents à ceux qui avaient fait la demande d’accréditation syndicale seraient inclus dans la demande d’accréditation. Le vote a passé et tous les employés des deux écoles sont syndiqués, mais la majorité des employés de l’école secondaire sont contre. Donc, ça crée une dynamique particulière. Ça n’a pas été facile pour l’équipe. (D19, Autochtone)

Par ailleurs, toujours selon D19, direction d’origine autochtone, l’accréditation syndicale engendrerait beaucoup de changement dans sa gestion quotidienne. En plus de la limiter dans ses actions, elle se questionne également sur le fondement du processus qui exigerait qu’une instance externe vienne s’ingérer dans

leur gestion. Ce qu’elle considère un peu comme une contradiction, lorsqu’elle pense aux démarches des Autochtones qui cherchent à gagner de l’autonomie dans la gestion de leurs affaires internes. Pour elle, cette incohérence perçue ne favoriserait pas la construction d’un lien de confiance avec les représentants de l’institution et entre les membres du personnel et elle — qui représente pour eux l’institution. Elle en parle en ces termes :

Ça change beaucoup de choses parce qu’en termes de conditions de travail, il y a une vision différente. On révise certaines conditions de travail, mais quand il est question des écoles, on ne peut pas changer rien, il faut passer par le syndicat. Ils sont en train de rédiger leur convention collective qu’on va négocier pour possiblement l’automne prochain, mais ça fait en sorte que je ne peux pas appliquer des changements (...). Je trouve que dans les démarches qu’on fait actuellement pour avoir notre autonomie, d’aller chercher une instance externe pour venir gérer nos affaires, ça me… (soupir) ça me perturbe. Je ne trouve pas ça évident. (D19, Autochtone)

Bref, les types d’encadrement des relations d’emploi — avec contrat individuel ou avec convention collective — pourraient avoir le potentiel d’influencer les relations de confiance entre les membres du personnel à travers notamment les implications que ces encadrements auraient sur le pouvoir discrétionnaire des directions en matière de gestion des ressources humaines ou l’interprétation qu’en feraient des membres du personnel. Toutefois, il semble impossible de déterminer qu’un des types est plus favorable que l’autre, leurs effets apparaissant nuancés selon le contexte et les individus.