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1 Une polychromie somptueuse

En 2007, la Sedes de Saint-Jean fut momentanément libérée de la vitrine dans laquelle elle est demeurée enfermée depuis sa restauration pour un contrôle et un léger dépous-siérage. Ce traitement nous a donné l’occasion de l’observer plusieurs jours d’affilé et de demander une analyse dendrochronologique.

La sculpture qui mesure 138 cm de haut est taillée dans du bois de chêne. Non

seu-1. Mercier, La polychromie de la sculpture mosane en bois du xiiie  siècle, thèse de doctorat défendue en

décembre 2008 à l’université de Liège. Table des matières et résumé consultable sur la bibliothèque en ligne de l’université : http://bictel.ulg.ac.be/ETD-db/collection/available/ULgetd-12042008-151316/. 2. La Sedes de Saint-Jean et la Sedes du Catherijneconvent Museum à Utrecht.

lement les résultats fournis par Pascale Fraiture sont compatibles avec la datation proposée vers  1230 mais ils démontrent une origine locale du bois et probablement liégeoise1.

La Vierge, trônante, est coiffée d’une couronne ornée de cabochons colorés. Elle porte un manteau doré à larges manches évasées doublé d’une imitation d’un somp-tueux tissu à motifs rouge et or. Le man-teau, qui sert de voile, est ouvert sur le buste et laisse apparaître une robe dorée, cintrée d’une ceinture ornée d’une rangée de cabochons colorés. La position de la main droite de la Vierge suggère qu’elle exhibait à l’origine la pomme de la

nou-velle Eve2. La Vierge porte sur le genou

gauche l’Enfant qui bénit de la main droite. Il est vêtu d’une tunique dorée dont l’enco-lure est agrémentée de motifs poinçonnés et de cabochons colorés.

La robe de la Vierge et la tunique de l’Enfant sont doublées de bleu. La Vierge foule au pied un dragon dont le corps rose est rayé de rouge foncé et les ailes vertes de vert foncé. La Vierge est assise sur un coussin gris clair décoré de motifs rouges. Le siège est entièrement doré et richement décoré d’une grande rose encadrée d’une rangée de palmettes, elles-mêmes

entou-1. Rapports de P.  Fraiture, Sedes no P353 (2008). Le cerne le plus récent se place en  1202. D’après l’estimation du nombre minimal de cernes que devait contenir l’aubier, la date de l’abattage du bois ne se situe pas avant 1212.

2. Au sujet de la pomme rouge exhibée par les Sedes mosanes, voir Mercier 2012, p. 12.

Fig. 2 : La Sedes Sapientiæ de l’église Saint-Jean. Détail de l’Enfant vêtu d’une tunique dont l’encolure est agrémentée de motifs poin-çonnés et de cabochons colorés. Droits de reproduction : M. Lefftz.

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rées d’un registre de cabochons

accompa-gnés de motifs poinçonnés1.

La carnation originale est recouverte d’un repeint mais les yeux bleus de la Vierge et de l’Enfant, dont les pupilles sont faites de perles de verre serties dans la préparation, sont d’origine. Les sour-cils de la Sedes étaient tracés plus haut que les sourcils actuels, ce qui renforçait l’expression un peu extatique du regard, qui semblait interpeller le spectateur de

manière autoritaire. Au xiiie siècle, les yeux

des sculptures représentant des personnages en majesté sont le plus souvent bleu, gris-bleu ou gris-vert, plus rarement bruns et les pupilles sont peintes en noir. L’insertion de billes de verre à l’emplacement de la pupille n’a été rencontrée que sur le Christ dit de

Rausa. M. Serck-Dewaide a attiré l’attention

sur le fait que l’une des pupilles en verre de la Sedes de Saint-Jean est noir et l’autre bleu

foncé, de même chez l’Enfant2. Elle suppose

que l’artiste a pu se tromper au moment du sertissage des billes de verre. Nous nous rangeons plutôt à l’avis de Robert Didier qui indique que «  […] les yeux asymétriques

confèrent au visage une vie mystérieuse3 ».

En effet, l’impression de vie ne serait-elle pas justement insufflée par la légère asy-métrie des regards, selon un procédé qui se

1. Les motifs de la rose et de la palmette sont traditionnels et utilisés aussi bien dans l’orfèvrerie que dans l’enluminure mosane.

2. Serck-Dewaide 2006, p. 161. 3. Didier 1972, notice L1, p. 327.

Fig. 3 : La Sedes Sapientiæ de l’église Saint-Jean. Le siège doré est richement décoré d’une grande rose encadrée d’une rangée de pal-mettes, elles-mêmes entourées d’un registre de cabochons accompagnés de motifs poin-çonnés. Droits de reproduction : E. Mercier.

répète aussi subtilement que systématiquement dans l’agencement des décors de poinçon-nages et de cabochons ? On observe en effet une interruption très nette de la rythmique dans la forme, la taille et le positionnement des poinçons et des cabochons dans la partie médiane de la base du trône, juste en dessous du dragon dont les rayures introduisent un autre élément perturbateur. Ce « désordre » discret induit une sorte de vibration subtile dans l’équilibre solennel de la composition.

Par l’omniprésence de la dorure, l’imitation d’étoffe précieuse et les innombrables cabochons colorés, la Sedes de Saint-Jean s’apparente à une statue-reliquaire qui se passe de la présence de la relique. Par la richesse et la profusion des moyens utilisés, la Sedes entretient avec l’orfèvrerie et les reliquaires des liens tout aussi subtils qu’ambigus. Ces liens se placent bien en dehors de la simple imitation comme le montre la représentation du samit de la doublure de son manteau.

Les sculptures mosanes contemporaines étudiées offrent un type de polychromie com-parable mais beaucoup plus simplifié avec des vêtements entièrement dorés doublés de

rouge unis1. Ces sculptures comportent peu d’éléments décoratifs, lesquels se limitent

souvent à un cabochon incrusté sur la poitrine ou un médaillon sculpté dans le bois. Ce type de polychromie, que nous avons défini « type à dominante or », vraisemblablement plus répandu, coexiste avec un type de polychromie qui associe des semés de motifs décoratifs dorés sur champ coloré. La coexistence de ces deux typologies, qui apparaît

déjà dans la seconde moitié du xiie siècle2, rejoint les observations de Peter Tångeberg à

propos de la sculpture polychromée en Suède3.

En dehors du territoire mosan, le « type à dominante or » est observé dans la Vierge en

majesté attribuée à l’Île-de-France du musée de Boston, datée vers 1210-12254, la Vierge

dite d’Aix-la-Chapelle5 en Allemagne, la Vierge de Stora Malm6 en Suède et les Vierge de

Hove au musée historique de Bergen et de Hedalen dans les collection de l’université

d’Oslo7 en Norvège.

1. Mercier 2012, p. 14-16 ; Mercier 10-11 mai 2013. 2. Mercier 2004-2005, p. 39-54.

3. Tangeberg 1989, p. 90.

4. Gothic sculpture in America, 1989, p. 8-11.

5. Polychromie cachée par des repeints. Bergmann 1989, cat. 15, p. 157-164. 6. Tangeberg 2006, p. 59-75, p. 61.

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