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2 Pour une démarche pluridisciplinaire

Dans le cadre du projet sur l’étude des arts picturaux médiévaux en Roussillon, nous proposons ici quelques pistes pour aider à mener à bien ce programme.

La restauration est un acte décisif pour le devenir d’une œuvre. Elle peut conduire à le modifier, le transformer, voire le détruire. L’acte de restaurer est une décision grave qui nécessite au préalable un travail d’étude, d’examen, de documentation qui doit faire appel à une réflexion pluridisciplinaire prenant en compte tous les éléments historiques et techniques relatifs à l’objet.

Fig. 12. — Planès, Vierge à l’Enfant, avant la restau-ration de 1950 Droits de reproduction : médiathèque du Patrimoine, mh 313180, distrib. RMN.

Fig. 13. — Planès, Vierge à l’Enfant, après la restau-ration de 1950 Droits de reproduction : médiathèque du Patrimoine, mh 099559, distrib. RMN.

« La restauration est le moment méthodologique de la reconnaissance de l’œuvre d’art dans sa consistance physique et dans sa double polarité esthétique et historique, en vue

de sa transmission au futur1. » Cette définition de l’historien d’art et théoricien de la

restauration Cesare Brandi doit nous guider dans notre approche et nos choix

d’inter-1. Brandi 2002, p. 30.

Fig. 14. — Planès, Vierge à l’Enfant, avant la restau-ration de 2011 Droits de reproduction : CG66 / CCRP / Dinh Thi Tien — Image Maker.

Fig. 15. — Planès, Vierge à l’Enfant, après la restau-ration de 2011. Droits de reproduction : CG66 / CCRP / Dinh Thi Tien — Image Maker.

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L’indispensable interdisciplinarité : quelques exemples roussillonnais

vention de restauration. S’appuyant sur ses prédécesseurs, Cesare Brandi (1906-1986) définit comme but de la restauration le rétablissement de l’unité potentielle de l’œuvre et reconnaît pour guide deux instances, l’instance esthétique — sans laquelle il n’y a pas d’œuvre — et l’instance historique. Pour lui, l’œuvre se décompose en image et matière ; seule la matière peut être restaurée. Pour notre part, le « retour à Brandi » est toujours source de remises en cause et d’interrogations dans notre démarche.

Les œuvres médiévales ont été abondamment réparées, repeintes, au cours des siècles, afin de les rendre plus présentables, utilisables. Tous ces avatars de l’usage font partie de l’histoire de l’objet et doivent le plus souvent être conservés. Ces modifications sont, bien entendu, non documentées et il faut avoir recours à des techniques d’examen souvent sophistiquées pour reconstituer l’histoire matérielle de ces objets.

De par leur nouveau statut d’objet patrimonial, un bon nombre de panneaux peints et statues médiévales a subi des restaurations, en particulier à partir des années 1950. Mais, contrairement à ce que l’on pourrait espérer, la plupart de ces interventions ne sont pas

documentées1. Tout au plus disposons nous de photos antérieures à leur restauration.

Pour comprendre les interventions réalisées, il est nécessaire, comme dans les cas énon-cés ci-dessus, d’effectuer des analyses et examens approfondis.

Lorsque l’objet est extrêmement lacunaire, toute intervention de restitution devient impossible, sauf à recourir à des reconstitutions inventives, ce que nous nous refusons.

Chaque cas est un cas particulier. Après études, les décisions prennent en compte un panel de critères en relation avec les modifications apportées au cours du temps, l’état de conservation, la faisabilité des traitements qui doivent être sans risques pour l’objet, une cohérence de la restitution de l’œuvre, une bonne lisibilité.

Toute intervention de restauration prend en compte le double risque du faux artistique et du faux historique. D’une part, le rétablissement d’un élément ou d’une lacune ne doit pas se faire passer pour authentique et, d’autre part, on ne doit pas revenir sur des alté-rations si elles sont porteuses de sens. La restauration est toujours un équilibre, difficile à concilier, entre respect de l’histoire de l’œuvre et présentation esthétique. D’où la néces-sité d’évaluer le poids de chaque instance — historique et esthétique — et d’adopter une démarche conciliatrice et documentée, en faisant appel à la culture du restaurateur et à l’interdisciplinarité dans les démarches de restauration. Car, comme le dit Brandi :

1. Il faudra attendre les années 1990 pour disposer de dossiers de restauration dignes de ce nom, dans le domaine des Monuments historiques, au moins pour ce qui concerne les Vierges médiévales.

La restauration doit viser à rétablir l’unité potentielle de l’œuvre d’art, à condition que cela soit possible sans commettre un faux artistique, ou un faux historique, et sans effacer aucune trace du passage de cette œuvre d’art dans le temps1.

Pour toute restauration, il convient d’établir des protocoles précis. Ceux-ci reposent sur huit grands principes : l’examen préalable, la stabilité, la compatibilité, la réversibilité, la lisibilité, la documentation, la pluridisciplinarité et, enfin, l’intervention minimum.

Avant toute intervention, il est absolument nécessaire de procéder à un examen pré-alable et à un diagnostic de l’œuvre. On ne peut construire un projet d’intervention de conservation-restauration sur un objet sans en connaître les matériaux constitutifs, éva-luer leur degré d’altération, comprendre les causes des altérations observées et apprécier les risques encourus par l’objet en l’absence de tout traitement. Dans l’établissement d’un projet de traitement, on ne se limite pas à la seule analyse de l’état matériel, mais aussi à la spécificité culturelle de l’objet. Cela suppose la recherche des informations historiques et ethnologiques, notamment, qui peuvent en éclairer la compréhension. Ainsi, toute intervention commence par un examen diagnostique de l’objet et de sa signification culturelle. Cet examen préalable servira d’argumentaire pour justifier la nécessité d’une intervention, ou l’absence d’intervention.

Quant aux moyens techniques mis en œuvre, ils sont de deux types : non destructifs et destructifs. On aura recours, dans la mesure du possible, à des moyens non destruc-tifs, mais parfois un micro-prélèvement sera indispensable. Les techniques d’analyse non destructives sont : la photographie en lumière normale, rasante, ultra-violette et en infra-rouge, la réflectographie infrainfra-rouge, mais également les techniques d’imagerie médicale (radiographie pour les peintures, scanner pour les sculptures).

Dans de nombreux cas, nous sommes conduits à faire appel à des techniques dites des-tructives ; c’est-à-dire qu’il convient d’effectuer un micro-prélèvement de matière. Ces prélèvements sont utilisés pour effectuer des identifications de bois, des stratigraphies et des analyses physico-chimiques des couches peintes, le plus souvent complétées par un examen sous microscope électronique à balayage. On a recours depuis peu à d’autres technologies plus avancées, dont peu d’établissements sont dotés : le synchrotron, la

micro spectroscopie infrarouge ou la micro fluorescence X2.

Nous allons chercher à assurer la stabilité des matériaux originaux pour une bonne conservation ultérieure de l’œuvre. Les matériaux utilisés lors des traitements de

conser-1. Brandi 2002, p. 32. 2. Accélérateur de particules.

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vation — même à titre temporaire —, ou ceux employés lors de la restauration, doivent présenter une stabilité à long terme satisfaisante pour la conservation du bien culturel.

Les produits et matériaux placés au contact direct des matériaux originaux constitutifs de l’objet doivent être compatibles avec eux, sur les plans mécanique, chimique, phy-sique et, éventuellement, optique. Cela concerne tout autant les produits et matériaux

temporairement utilisés que pour ceux qui resteront durablement associés à l’objet1. Les

matériaux devront vieillir ensemble, sans que le comportement de ceux qui ont été rap-portés nuise aux originaux.

Un des critères fondamentaux en restauration est la réversibilité. Cela signifie que tout ce qui a été apporté au cours d’un traitement doit pouvoir être enlevé par des moyens inoffensifs et sans dommage pour l’objet. La réversibilité n’est pas toujours possible ; ainsi, le nettoyage est une intervention irréversible. Une intervention irréversible doit être dûment justifiée.

Une restauration doit être lisible. Même si l’objectif est de mettre en valeur l’objet, rendre sa lecture compréhensible ou en révéler les qualités esthétiques, les interventions ne doivent pas en falsifier la réalité, en gommant toute trace de son histoire matérielle. On va donc choisir un degré de discrétion plus ou moins élevé pour les « reprises ». Plu-sieurs niveaux de réintégration seront choisis en fonction de l’importance des lacunes. En général, pour les œuvres médiévales la réintégration sera minimale.

Toute intervention doit être documentée. Le dossier doit accompagner l’œuvre. Il est indispensable pour entreprendre toute nouvelle intervention. Il garantit la réversibilité. Il comprend l’ensemble des informations recueillies sur l’objet, son histoire, le diagnostic, les examens et analyses, les objectifs et choix de traitements, argumentés, les interven-tions et produits utilisés, l’indication des mesures de conservation, de surveillance et d’entretien recommandées. Il se compose d’images et de textes.

Derrière l’image, un peu simpliste, du restaurateur muni de son coton-tige imbibé de solvant se cache une réalité plus complexe. Le restaurateur, même s’il est l’acteur de l’intervention — celui qui touche l’objet et va sans doute le modifier —, doit être accom-pagné, dans ses décisions, dans son action, d’autres intervenants qui vont l’éclairer, le conseiller, lui donner un avis. Cet échange va permettre qu’émergent des choix, des décisions qui dans un long processus vont pouvoir se traduire en réalité.

Un traitement de restauration est un traumatisme pour une œuvre. C’est la raison pour laquelle on fera toujours preuve de prudence, en n’effectuant que des interventions

dûment justifiées et en ayant recours à des techniques et produits éprouvés, d’autant que nous disposons d’un retour d’expérience relativement limité quant à ces derniers.

Une fois restaurée, l’œuvre va retrouver son lieu de conservation d’origine, son église, des conditions environnementales pas toujours très appropriées à une bonne conserva-tion, renouer dans certains cas avec un usage dévotionnel, être parfois manipulée. Elle va sans doute être davantage valorisée, son statut d’œuvre d’art mis en avant. Tout cela n’est pas sans risques. Notre rôle est aussi d’assurer une sorte de « service après-vente », ce qu’en des termes moins prosaïques nous appelons conservation préventive. Ainsi, l’objet sera sécurisé pour éviter le vol ou le vandalisme, il sera réinstallé dans un envi-ronnement sain et traité contre les insectes xylophages. Les personnes en charge de son entretien ou de ses manipulations seront formées à ces actions, afin de limiter les risques. Un contrôle régulier de son état de conservation sera effectué par un restaurateur.

La coopération, le partenariat, l’échange réciproque entre historiens, scientifiques, restaurateurs, conservateurs, historiens d’art permet d’approfondir la connaissance des œuvres et d’aider dans le choix des traitements de restauration. De ce point de vue, il nous semble utile de mentionner comme méthodologie de référence l’étude de 22 Vierges médiévales à laquelle ont participé de façon collective les spécialistes

ci-dessus mentionnés1.

Mettre en relation, en situation d’échange, de comparaison, les études réalisées par les historiens d’art et les restaurateurs se révèle fructueux pour les deux parties et l’évolution de l’histoire de l’art. L’approche technique des restaurateurs, l’ausculta-tion et l’examen approfondi des œuvres, avec des moyens scientifiques évolués sont confrontés à la culture visuelle et documentaire des historiens d’art. Le résultat de cette démarche, outre une meilleure connaissance des objets, permet de reconsidérer des datations, des attributions et ouvrir de nouvelles pistes de recherches.