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3 Imitations et incrustation de cabochons

La Sedes de l’église Saint-Jean se dis-tingue des autres Sedes mosanes contem-poraines d’une part, par l’abondance de cabochons colorés et, d’autre part, par la technique d’insertion de véritables cabo-chons en cristal de roche.

En ce qui concerne la technique, dif-férents moyens ont été adoptés par les artistes mosans pour imiter les précieuses gemmes. Le moyen le plus simple est la représentation peinte. Ainsi, le Saint

Évêque en majesté des musées royaux d’Art

et d’Histoire (MRAH) de Bruxelles, daté vers 1200, présentait, dès l’origine, un

pal-1. Mercier, Sanyova 2012, p. 131

Fig. 4 : Saint Évêque en majesté des musées royaux d’Art et d’Histoire (MRAH) de Bruxelles, art mosan, vers 1200. Imitation de pierreries peintes en noir sur la chasuble d’aspect doré. Droits de reproduction : E. Mercier.

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lium d’aspect doré1 décoré de motifs noirs. De même, le premier repeint, qui reprend la polychromie originale, montre sur le

pallium un losange quadrilobé alternant

avec un cercle.

Les bordures de la chasuble sont ornées

d’une rangée de cercles noirs2. La mitre

rouge présente également un motif de losanges noir. Les représentations peintes de cabochons sont courantes dans les sculp-tures des années  1230 en Norvège mais elles se limitent aux couronnes et auréoles. Le contour noir est alors rehaussé de glacis coloré rouge et vert.

Les pierreries et cabochons ont égale-ment été imités en relief grâce à la

tech-nique dite a pastiglia3 en déposant, à main

levée, sur la surface des gouttes de

pré-paration4 chaude et encore liquide. En

1. Il s’agit de feuilles d’argent recouvertes d’un glacis jaune. Cette polychromie, apparente, corres-pond au premier repeint supposé du xiiie siècle qui semble reproduire assez fidèlement la polychromie d’origine.

2. Aucune trace de glacis coloré n’a été observée sur l’ensemble des motifs noirs de la sculpture.

3. Dans la littérature, le terme pastiglia est souvent utilisé pour définir tout type de décor en relief réa-lisés avec de la préparation qu’ils soient fait à main levée ou à partir d’une matrice. C’est également le cas en anglais avec la désignation « free-hand relief » (voir Naldony 2003, p. 174.) En français, il nous semble que le terme « décors en relief réalisés à main levée  » permet de désigner la technique sans trop d’ambiguïté.

4. Mélange de craie et de colle de peau de lapin.

Fig. 5 : Vierge d’Appuna (Statens Historiska Museet de Stockholm, inv. n° 7890), Suède, vers 1200. Imitations de pierreries en relief réa-lisées à main levée avec de la préparation (pastiglia), dorées et rehaussées de glacis rouges et verts. Droits de reproduction : National Historical Museum Stockholm.

Europe du Nord, cette technique est utili-sée sur une série de sculptures datées entre

1170 et 1200 : la croix du Christ de Hemse1,

les encolures des manteaux des vierges de

Viklau2, d’Appuna au Statens Historiska

Museet de Stockholm et de Dyste en

Nor-vège3, ou encore en Allemagne, sur la

cha-suble d’un Saint Nicolas du musée de Bonn. Ces imitations de pierreries sont ensuite recouvertes de glacis colorés rouges et verts. Dans la sculpture mosane, la tech-nique de décors en relief réalisés à main levée se répand dans la seconde moitié du

xiiie siècle. La Vierge de Marche-les-Dames

au musée des Arts anciens du Namurois à Namur, datée vers 1260-1270, en consti-tue le premier exemple conservé.

D’autres sculptures mosanes, comme le

Christ en majesté dit de Rausa, comportent

une base ornée d’une rangée de cuvettes circulaires creusées dans le bois qui rap-pelle un procédé technique utilisé par les

orfèvres mosans des xiie et xiiie  siècles.

Sur la base du Saint Évêque des MRAH, cité plus haut, ces alvéoles rondes sont recouvertes d’une préparation épaisse et de feuilles d’argent. Le contour des cabo-chons est souligné d’un trait noir peint sur le fond rouge de la base. Le champ vert de la croix du Christ de l’église Saint-Denis, à

1. Tangeberg 1984, p.  24-34, republié avec quelques compléments dans Medieval Painting in Northern

Europe : techniques, analysis, art history, 2006, p. 1-10.

2. Kunz 2007.

3. University Collection of Antiquities, Oslo.

Fig. 6 : Saint Nicolas du Rheinisches Landesmuseum de Bonn, art rhénan, vers 1200. Imitations de pierreries en relief a pastiglia rehaussées de glacis rouges et verts sur or. Droits de repro-duction : LVR-LandesMuseum Bonn.

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Forest (fin du xiie siècle), est encadré par un large bord rouge sur lequel se détachent

les alvéoles creusées dans le bois1. Les alvéoles sont recouvertes de feuilles métalliques

noircies qui ont gardé les traces d’un glacis jaune. Elles sont également cerclées de noir.

Ces alvéoles se rencontrent aussi dans plusieurs devants d’autel catalans2.

Sur la Sedes de Saint-Jean, la technique d’élaboration très raffinée et complexe des cabochons en cristal de roche a été minutieusement décrite par M. Serck-Dewaide. Au fond des alvéoles, de la feuille d’argent est appliquée sur la préparation et recouverte de glacis rouge ou vert ou encore translucide selon un procédé qui rappelle la technique de

1. Nous décrivons ici le premier repeint du xiiie siècle. Sur le schéma de reconstitution hypothétique de la polychromie originale, les alvéoles paraissent dorées. Ballestrem 1971/72, p. 53-76.

2. Par exemple, le devant d’autel de Baltarga (MNAC, Barcelone).

Fig. 7 : La Sedes Sapientiæ de l’église Saint-Jean. Détail des cabochons en cristal de roche sertis dans la pré-paration sur un fond constitué d’une feuille d’argent, recouverte de glacis rouge, verte ou translucide. Droits de reproduction : E. Mercier.

la pittura translucida décrite par Théophile1. Les cabochons étaient entourés d’un trait noir. Cette stratigraphie complexe n’a été observée sur aucune autre sculp-ture mosane. Dans la Vierge de Marche-les-Dames, le fond des cabochons en cristal de Roche insérés et sertis dans un décor

a pastiglia montre le bois nu2. Ce dernier exemple est toutefois plus tardif. La Sedes de Bossière, datée dans la seconde moitié

du xiisiècle, semble constituer un exemple

d’insertion de véritables cabochons dont il ne reste plus que de grandes alvéoles ova-les disposées le long du col en « V » et en bordure des manches du bliaud.

La Vierge provenant du prieuré d’Oignies,

datée de 12283 (Metropolitan Museum of

Art de New York) était ornée de multiples cabochons dont les alvéoles sont encore visibles dans le bois, à la fois sur les cou-ronnes, le siège et le lacet de son manteau. En considérant ces deux exemples, il est possible qu’au « pays des orfèvres », le ser-tissage de véritables cabochons en cristal de roche ait été préféré à leur imitation au pinceau.

Après avoir décrit les différentes tech-niques utilisées pour représenter les cabo-chons, observons si leur abondance dans la Sedes de Saint-Jean trouve un écho dans

1. Franzel juillet-septembre 2005, p. 63-73.

2. Le sertissage à l’aide de préparation étant encore largement conservé autour de plusieurs cabochons, il est certain que ceux-ci sont d’origine.

3. Didier 2003, p. 77-78.

Fig. 8 : La Sedes Sapientiæ de l’église Notre-Dame de Bossière (musée provincial des Arts an-ciens du Namurois, Namur), 2e moitié du

xiie siècle. Exemple possible d’incrustation de cabochons en cristal de Roche dont il ne reste plus les alvéoles. Droits de reproduc-tion : KIKIRPA.

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la sculpture du Nord de l’Europe. En Norvège,

la Vierge de Dyste1 offre un exemple de

poly-chromie caractérisé par la suprématie de l’or et où les zones peintes se présentent comme de petites apostrophes colorées constituées principalement par les imitations de cabo-chons réalisées dans la préparation et

recou-vertes de glacis vert et rouge2. Ces faux

cabo-chons ornaient à la fois la couronne, le col de la robe, l’extrémité des lés du manteau et la base du siège. Leur aspect coloré et leur taille importante rappellent, dans une version plus picturale, les cabochons colorés et incrustés de la Sedes de Saint-Jean. Or, la Vierge de Dyste appartient à un groupe assez homogène de vierges scandinaves datées des années

12003. Il est tentant de voir dans le type de

polychromie rencontré dans ce groupe un reflet de l’aspect possible des polychromies des sculptures mosanes de ces mêmes années dont il faut rappeler qu’aucun témoin n’est conservé. Cette hypothèse est appuyée par

1. Martin Blindheim date la sculpture du début du second quart du xiiie siècle et Peter Tångeberg vers 1200. Blindheim 1998, cat. 32, p.  63 ; Tangeberg 2006, p. 63.

2. Voir l’hypothèse de reconstitution de la polychromie originale de la Vierge de Dyste ; Selsjord 1993, p. 114.

www.technologiaartis.org/a_3polych-madona.html

(consulté le 15 avril 2013). 3. Tangeberg 2006, p. 59-75.

Fig. 9 : La Vierge provenant du prieuré d’Oignies, (Me-tropolitan Museum of Art de New York), datée de 1228, art mosan ou nord de la France. La sculpture était ornée de multiples cabochons dont les alvéoles sont encore visibles dans le bois sur les couronnes, le siège et le lacet du manteau. Droits de reproduction : KIKIRPA.

l’exemple de la Vierge d’Oignies dont l’abondance de cabochons insérés dans la poly-chromie est comparable, bien que moins systématique, à celle de la Sedes de Saint-Jean. Notons enfin qu’à la fois dans la Sedes de Saint-Jean et d’Oignies, le siège est décoré de motifs végétaux sculptés dans le bois et associé à des cabochons. Dans la Sedes de Saint-Jean, le siège se distingue toutefois par sa largeur et la disposition des motifs en frises. L’artiste adopte cette typologie unique dans la sculpture mosane en modifiant son projet originel d’un siège plat et plus étroit ajouré de lancettes selon une formule plus sobre

et courante au xiiie siècle1. Or il est intéressant de remarquer que le siège de la Sedes

peut être rapproché d’exemples italiens datés vers 1250 et qui relèveraient

d’inspira-tion byzantine2. Un siège comparable apparaît également sur une enluminure sicilienne

représentant la Vierge à l’Enfant caractérisée par une forte influence de l’art byzantin et

datée vers 1180-1190 (Biblioteca Nacional, Madrid, Cod. 523).