• Aucun résultat trouvé

3 Observations techniques et questionnements

À la lumière de ce qui précède, nous retenons les années 1120-1130 pour la réalisa-tion des peintures de Saint-Martin-de-Fenollar et nous prenons le parti de les considérer comme contemporaines de celles de Casesnoves, de Saint-Génis-des-Fontaines et des Cluses-Hautes. Les liens qui unissent Arles-sur-Tech à Fenollar nous autorisent à adosser cet ensemble peint aux quatre autres même si nous les pensons plus tardives, c’est-à-dire en lien avec la consécration de l’église de 1157 ou après cette dernière. Les prélèvements

1. Durliat 1961, t. IV, p. 2.

Fig. 8. — Christ en Majesté de l’évangéliaire de Saint-Michel-de-Cuxa, (f. 1). Droits de reproduc-tion : bibliothèque municipale de Perpignan.

Fig. 9. — Visage du Christ en Majesté, abside de l’église des Cluses-Hautes. Droits de reproduction : C. Bachelier, 2010.

77 Étude des peintures de Saint-Martin-de-Fenollar : remarques préalables à l’étude technique en laboratoire

et les analyses qui pourront être effectués sur ces ensembles peints permettront d’affiner les datations, d’envisager ou non d’éventuelles traditions, de commencer à avoir des données permettant des analyses comparatives des matériaux et des techniques mis en œuvre. Nous nous sommes davantage attardés sur les éléments communs à Fenollar et aux Cluses-Hautes, ces peintures étant quasi systématiquement associées.

Les mandorles encadrant le Christ en Majesté des deux édifices ont toutes deux un fond bleu, tout comme l’est celle de la Vierge en Orante de Fenollar. Nos observations

79 Étude des peintures de Saint-Martin-de-Fenollar : remarques préalables à l’étude technique en laboratoire

aux lunettes loupes des peintures de Fenol-lar, nous laissent cependant à penser que le bleu employé a été mélangé avec du blanc, peut-être le même que celui très épais figu-rant le voile de la Vierge de l’Annonciation. En revanche, le bleu de la mandorle de Sainte-Marie des Cluses-Hautes est diffé-rent. Il ne semble pas avoir été mélangé avec une autre teinte. On est plutôt face à des couches superposées. Il paraît alors important de déterminer quels sont les blancs et les bleus utilisés dans chacune des peintures.

Des incisions sont visibles sur le mur sud de l’abside de Saint-Martin-de-Fenol-lar. Outre ces dernières vraisemblable-ment effectuée dans l’enduit frais, nous pouvons aussi observer quelques tracés au cordeau sur la tenture, ainsi qu’un des-sin préparatoire appliqué au pinceau et à l’ocre rouge fluide et dilué à plusieurs endroits.

Au chapitre 8 du livre III du Liber

Diver-sarum Artium1, il est dit que la méthode pour dessiner sur mur est la même que

celle pour dessiner sur bois. On emploie une pointe de fer ou d’acier, un pinceau, un

compas, une règle, une ficelle ou un condermenia fectam de carta2. Nous pouvons

égale-ment envisager que l’auteur d’une peinture puisse tracer son modèle sur l’enduit frais d’un mur par exemple, à l’aide de son calque et de son stylet de métal. Cela éviterait notamment de laisser des traces sur le mur.

1. Leturque 2012, p. 43-47 ; Leturque 2013.

2. Les différents auteurs consultés n’ont pas trouvé le sens précis du mot condermenia. Ils suggèrent comme traduction possible le cordeau (corda minia), l’équerre et la mine de plomb (norma, linea), un crayon de cire rouge (cerula miniata), un carton (contra-moenia) ou encore un gabarit. Clark 2011, p. 218.

Fig. 12. — Tracés au cordeau de la tenture. Mur nord. Droits de reproduction : A. Leturque, 2010.

L’observation d’autres peintures que celles de Fenollar montre de la même façon que plusieurs techniques peuvent être employées sur la même œuvre, en fonction du tracé souhaité. À Arles-sur-Tech, les décors géométriques de la tour sud-ouest (en cours de datation) montrent des tracés au cordeau et des incisions faites au compas.

Il est également souvent dit que ces préparations (incisions, tracés, dessins prépa-ratoires...) sont des indices de lecture pour déterminer s’il s’agit d’une œuvre peinte à fresque ou non. Ici, nous n’avons pas de sinopia et plusieurs techniques de construction de décor différentes se côtoient. Nous n’avons pas non plus trouvé de traces de pontate

ou de giornate1. Par contre, on peut aisément distinguer deux épaisseurs d’enduits à

base de chaux et de sable. Une analyse stratigraphique sur la base de prélèvements pourrait venir confirmer ou infirmer les premières observations au sujet des différentes passes d’enduit et, surtout, nous donner une lecture des différentes couches picturales. L’utilisation des couches de fond appliquées par le peintre pourrait alors être mieux connue.

Aux Cluses-Hautes, on observe une couche de couleur rouge intense qui semble cou-vrir tout le fond. À Sant Climent de Taüll, c’est une couche noire qui précède le bleu d’aérinite dans la mandorle du Christ en majesté du cul-de-four de l’abside.

En 1998, deux restauratrices ont effectué une étude climatique à Saint-Martin-de-Fenollar et ont proposé une lecture de l’œuvre dans laquelle elles estiment qu’il n’aura

1. Un fichier des techniques médiévales est en cours d’élaboration dans le cadre du programme de recherche

factura. Vous pourrez bientôt vous y référer pour la technique de la fresque. Dans l’attente de ce document,

nous nommerons fresque toute peinture exécutée sur un enduit frais, afin que les pigments soient fixés par la carbonatation de la chaux (hydroxyde de calcium) contenue dans l’enduit. Le pigment, mêlé d’eau, est déposé au pinceau sur la surface d’un enduit à base de chaux. Lorsque celui-ci commence à sécher, l’hydroxyde de calcium, qu’il contient à l’état dissous, migre vers la surface où il réagit avec l’anhydride carbonique de l’air pour former du carbonate de calcium, tandis que l’eau s’évapore : Ca (OH)2+C02=Ca C03+H20. Au cours de cette réaction, les pigments se trouvent enrobés dans la cristallisation du carbonate superficiel, ce qui les fixe comme s’ils devenaient partie intégrante d’une plaque de calcaire. La carbona-tation, se produit de la surface vers la profondeur. Elle permet la formation, après un certain temps, d’une croûte superficielle qu’on appelle le calcin. Toutes les techniques de peintures murales se caractérisent par une succession systématique et préétablie d’opérations comme les couches successives d’enduit. Leur nombre est très variable en fonction de l’époque, des contraintes de temps ou de réalisation. Ainsi, les pein-tures murales des xiie et xiiie siècles dans les Pyrénées-Orientales, sont le plus souvent composées de deux couches d’enduit à la chaux. On va trouver plusieurs méthodes pour exécuter la peinture : la fresque, un badigeon posé sur toute la surface de l’enduit encore frais et le reste du décor exécuté à sec, des techniques mixtes où la peinture débute dans le frais et se termine à sec. Ce dernier cas est le plus fréquent.

81 Étude des peintures de Saint-Martin-de-Fenollar : remarques préalables à l’étude technique en laboratoire

fallu que neuf jours, au Maître de Fenol-lar, pour réaliser la décoration de l’abside. On ne sait cependant pas comment elles

en sont arrivées à ces conclusions1. Il

sem-blerait malgré tout que nous soyons face à une peinture essentiellement exécutée à fresque, avec des rehauts à la détrempe dont nous ne connaissons pas le liant. Les superpositions de couleurs leur donnent une intensité, les mélanges et les juxtapo-sitions de celles-ci également. Ces couches peuvent varier en fonction des couleurs appliquées. Si on se réfère aux traités médiévaux de peintures, et particulière-ment au Liber Diversarum Artium (livre III), le mélange des couleurs et la notion de

mixtura ne semblent pas s’apparenter à un

simple mélange mais à un système com-plexe de couleurs qui sont mutuellement associées dans le modelé de la peinture. Ce mélange est donc à la fois matériel et visuel dans la présence côte à côte de cou-leurs différentes. Il y a d’abord l’applica-tion de la couleur de fond (plusieurs pig-ments mélangés ou non), le modelé est ensuite posé sur celui-ci avec une ou deux

1. De décembre 1997 à décembre 1998, à la demande de Laurent Hugues (IMH), Anne Rigaud et Anne-Laure Capra (restauratrices de peintures murales) ont effectué un dossier de présentation du site et une étude climatologique, très complète et très documentée, en vue de remédier aux désordres occasionnés par l’humidité sur le bâtiment et les fresques. Voir le rapport d’A. Rigaud et A.-L. Cabra, 1990, DRAC-LR, OM 2114, Saint-Martin-de-Fenollar.

Fig. 13-14. — Abbaye Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech, décors géométriques de la tour sud-ouest montrant des tracés au cordeau (datation en cours) et des incisions faites au compas. Droits de reproduction : A. Leturque, 2007.

83 Étude des peintures de Saint-Martin-de-Fenollar : remarques préalables à l’étude technique en laboratoire

couleurs plus foncées et une plus claire. D’autres éléments sont à connaître si l’on veut être renseigné de façon précise sur l’intensité des couleurs, comme le type de broyage

des pigments et le degré de purification de ceux-ci1. Plus un pigment est purifié, plus

il est cher, et le pigment bleu le plus cher reste le bleu d’outremer naturel. Son emploi à Fenollar ou aux Cluses-Hautes serait intéressant à connaître pour la poursuite de nos investigations.

Conclusion

Nous disposons d’une documentation qui nous permet aujourd’hui de savoir quelles interventions ont subi les peintures (comptes-rendus de restauration, photographies...). Une cartographie des repeints sous lampe UV des ensembles picturaux dont nous avons parlé semble malgré tout nécessaire. Un regard accru sur la stratigraphie des peintures, la question des pigments et des liants utilisés pour peindre les murs des édifices cités dans cet article pourrait nous permettre de dresser un premier répertoire des matériaux

et des techniques employés en cette première moitié du xiie siècle dans le Roussillon

et le Vallespir. À ce titre, la comparaison entre les peintures de Saint-Martin-de-Fenol-lar et des Cluses-Hautes est essentielle. Si nous étendons ces recherches sur l’ensemble du département, nous pourrons entreprendre une étude comparative. Si l’on considère comme plausibles les liens picturaux qui unissent ces petits édifices aux plus grands, comme Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech ou Saint-Michel-de-Cuxa, l’analyse des fragments de décors encore présents dans l’ébrasement des baies de la nef et du chœur de la grande abbatiale bénédictine du Conflent ne semble pas superflue.

L’analyse technique au service