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2.2. Effets de la diversité par service

2.2.1. Services intrants de l’agriculture

2.2.1.5. Pollinisation

. Importance de la pollinisation entomophile

La relation entre plantes et insectes pollinisateurs est un mutualisme, i.e. une relation bénéfique entre organismes avec des insectes qui transportent le pollen entre fleurs et assure la reproduction sexuée en échange de récompenses produites par la plante comme le nectar (Ricklefs, 2005). Cette relation a été payante puisque qu’elle a conduit à l’explosion évolutive de la diversité des angiospermes au cours du Crétacé (Pesson & Louveaux, 1984). Les principaux pollinisateurs sont les apoïdes (abeille domestique, abeilles sauvages - dont il existe 1000 espèces en France ; Rasmont et al., 1995) - et bourdons) et les diptères Syrphidés (Proctor & Yeo, 1996), notamment les nombreuses espèces de grande taille à pilosité développée (Holloway, 1976).

Dans les agroécosystèmes, la pollinisation par les insectes est à la fois un service écosystémique (Myers, 1996; Balvanera et al., 2001; Kremen et al., 2007; Zhang et al., 2007) et un service intrant dans le processus de production des agriculteurs (Free, 1993; Delaplane & Mayer, 2000; Velthuis &

van Doorn, 2006). Les insectes pollinisateurs sauvages participent à la pollinisation de nombreuses cultures (Kremen et al., 2002; Morandin & Winston, 2005; Greenleaf & Kremen, 2006a; Klein et al., 2007; Winfree et al., 2007) et de nombreux agriculteurs louent des colonies d’abeilles domestiques (Apis mellifera) ou achètent des colonies de bourdons (Bombus terrestris) pour assurer la pollinisation de certaines cultures (perso.wanadoo.fr/cl.ivert/grapp.htm; Carreck et al., 1997; Velthuis & van Doorn, 2006).

Dans les écosystèmes naturels, la pollinisation influe directement sur la biodiversité des communautés végétales et la production primaire : en moyenne, plus de 70% des espèces d’angiospermes sur un total recensé de 250 000 espèces environ sont pollinisées par des animaux (Axelrod, 1960; Buchmann &

Nabhan, 1996). Dans les agroécosystèmes, la production de 84% des espèces cultivées en Europe (Williams, 1994; Buchmann & Nabhan, 1996; Allen-Wardell et al., 1998) et de 65% des espèces cultivées pour l’alimentation humaine à l’échelle du monde (Klein et al., 2007), dépendent de la pollinisation par les insectes. Ces espèces cultivées représentent 34% du tonnage de la production agricole mondiale utilisée pour l’alimentation humaine, les autres cultures étant principalement des céréales comme le blé, le maïs et le riz. En Europe, la pollinisation des cultures dépend essentiellement des abeilles et bourdons (hyménoptères, Apoidea) et des syrphes (diptères, Syrphidae), qui présentent des caractéristiques morphologiques et comportementales en faisant des vecteurs de pollen efficaces. Bien que la disparition des abeilles ne signifierait pas la fin de l’alimentation humaine, la diversité alimentaire en serait profondément altérée et certains secteurs agricoles seraient particulièrement touchés. Différentes études ont évalué monétairement la contribution des abeilles et autres insectes pollinisateurs à la production agricole (Costanza et al., 1997; Ricketts et al., 2004). Les pertes économiques potentielles seraient estimées à 15 milliards de dollars aux Etats-Unis (Morse &

Calderone, 2000), 202 millions de livres Sterling au Royaume-Uni, à 200 milliards de dollars à l’échelle du monde (Pimentel et al., 1997).

Quelques exemples historiques illustrent les conséquences potentielles du déclin des pollinisateurs sur les cultures destinées à l’alimentation humaine. Dans les années 1980, dans la région de l’Hindu Kush sur les contreforts de l’Himalaya, la production de pommes chuta de 50% malgré l’irrigation et les apports d’engrais. La raison principale en était la disparition d’abeilles et la solution mise en œuvre fut la mobilisation massive de la population pour polliniser manuellement les vergers l’année suivante (Barbault, 2006). Un autre exemple est celui en 2006 des agriculteurs de Californie qui manquaient d’abeilles pour polliniser leurs vergers d’amandiers, suite à des disparitions de colonies d’abeilles domestiques pouvant atteindre 90% du cheptel. Ils ont alors dû importer des milliers de colonies d’abeilles d’Australie (Stokstad, 2007). Au vu de cette menace, il apparaît essentiel de ne pas miser sur une seule espèce de pollinisateurs et une attention toute particulière doit être portée aux relations plantes-pollinisateurs. En dehors de quelques exemples concrets, les conséquences écologiques de la diminution des pollinisateurs sont difficiles à évaluer (Chapin et al., 2000).

. Effets de la diversité des communautés de pollinisateurs sur la structure des communautés végétales et les rendements des cultures

En Europe, les communautés de pollinisateurs sont donc principalement constituées des abeilles et bourdons et des syrphes, même si pour certaines espèces de plantes, les coléoptères et les lépidoptères sont des pollinisateurs importants (Buchmann & Nabhan, 1996; Chittka & Thompson, 2001). Ces insectes peuvent être très différents d’un point de vue taxinomique mais partager des attributs morphologiques similaires. Cet ensemble correspond à un groupe fonctionnel souvent appelé guilde de pollinisateurs (Michener, 2000). La guilde de pollinisateurs d’une espèce végétale donnée n’est pas exactement la liste des insectes visitant cette espèce et le cortège d’insectes floricoles très varié qui visite une espèce végétale ne doit pas cacher le fait que la pollinisation est souvent le fait de seulement quelques espèces d’insectes qui sont le plus souvent des abeilles et ce chez des familles aussi variées que les ombellifères (Apiaceae : Lindsey, 1984; et les légumineuses : Galloni et al., 2008). Par exemple, Perdita kiowi, une abeille du nord de l’Amérique, collecte le pollen de Mentzelia decapetela mais rentre rarement en contact avec le pistil. D’autres espèces endommagent les fleurs ou dérobent le nectar. Certaines espèces de Bombus et de Xylocopa coupent une partie des fleurs et extraient le nectar sans rentrer en contact avec le stigmate (Corbet, 1997; Michener, 2000).

La pollinisation est parfois présentée comme obligatoire, mettant en relation une espèce de pollinisateur avec une espèce de plante (Corbet, 1997). C’est le cas pour certaines interactions spécialisées avec les orchidées et certaines espèces de Ficus, de Yucca et de Trollius ou bien pour Andrena florea qui ne visite que les fleurs de Bryonia dioica en Europe (Michener, 2000; Richklefs &

Miller, 2005). Cette idée de spécialisation tire son fondement des travaux de Darwin (1862) et a été souvent reprise comme facteur de radiation évolutive. Ainsi, la majorité des études des relations plantes-pollinisateurs se sont focalisées sur les relations spécialistes qui sont le reflet d’une coévolution étroite. Mais des analyses récentes sur les réseaux de pollinisation montrent que la majorité des pollinisateurs visitent beaucoup d’espèces de plantes, et réciproquement la majorité des espèces de plantes sont visitées par beaucoup d’espèces d’insectes (Ollerton, 1996; Waser et al., 1996;

Memmott, 1999; Memmott et al., 2004). L’analyse de plusieurs réseaux de pollinisation montrent que ces réseaux ont donc une structure emboîtée (Bascompte et al., 2003), avec des espèces généralistes qui interagissent préférentiellement avec des espèces spécialistes. Cette structure confère potentiellement beaucoup de résilience aux réseaux de pollinisation, notamment en ce qui concerne l’extinction d’espèces dans ces réseaux.

Ainsi, des pollinisateurs généralistes pourraient remplacer des pollinisateurs spécialistes qui se seraient éteints. Des travaux théoriques montrent en effet que l’extinction de pollinisateurs très spécialisés n’affecte que peu le fonctionnement des réseaux de pollinisation, donc le fonctionnement des communautés végétales (Memmott et al., 2004). Plus précisément, un autre travail théorique mais basé sur l’analyse de réseaux de pollinisation indique que seulement 15% des espèces sont structurellement importantes pour le bon fonctionnement du réseau (Olesen et al., 2007). Mais les auteurs de ces travaux soulignent que les espèces clefs de pollinisateurs seraient justement des espèces très généralistes, relativement communes, et souvent touchées de plein fouet par la crise actuelle de la biodiversité (Biesmeijer et al., 2006). Il faut donc rester prudent en ce qui concerne la résilience des réseaux de pollinisation à l’extinction des pollinisateurs, d’autant plus que peu de travaux expérimentaux existent sur ce sujet. De plus, la majorité de ces approches analysent l’impact de variations de la diversité des pollinisateurs sur la pérennité des populations d’une seule espèce végétale ou de quelques espèces seulement. Par exemple, Steffan-Dewenter et Tscharntke (1999) ont montré expérimentalement que la fragmentation et la destruction des habitats naturels par l’agriculture intensive ont des effets très forts sur l’abondance et la diversité des Hyménoptères pollinisateurs : ceci se traduit par une chute du succès reproducteur des deux espèces de plantes étudiées, chute d’autant plus forte que ces plantes étudiées sont éloignées des habitats propices aux pollinisateurs. La même conclusion s’applique en ce qui concerne le succès reproducteur de trois espèces de plantes rares adventices des cultures : il dépend du maintien des populations de leurs pollinisateurs les plus efficaces qui sont un bourdon et un syrphe, dont les populations dépendent elles-mêmes de la diversité spécifique des communautés végétales qui entourent ces espèces de plantes rares (Gibson et al., 2006).

A notre connaissance, une seule étude expérimentale analyse l’impact de la diversité elle-même (au travers de variations de celle-ci) des pollinisateurs sur le fonctionnement des réseaux de pollinisation et sur la stabilité des communautés végétales non cultivées (Fontaine et al., 2006). Ce travail montre que la diversité fonctionnelle des communautés de pollinisateurs (présence ou non de bourdons et/ou de syrphes) a un impact très fort sur la diversité et la pérennité des communautés végétales : c’est seulement en présence des deux types de pollinisateurs que les taux de reproduction et de recrutement les plus élevés ont été obtenus et que la communauté végétale ne s’est pas appauvrie. De plus, ce sont les communautés végétales les plus diversifiées qui sont les plus affectées par une diminution de la diversité des pollinisateurs. Ultimement, on conçoit bien que tous les niveaux trophiques sont affectés par l’extinction d’espèces végétales, consécutives à l’appauvrissement de la faune pollinisatrice et à la simplification des réseaux de pollinisation. Il semble urgent d’avoir d’autres approches expérimentales de ce type, réalisées au niveau des communautés de plantes mais aussi au niveau des espèces cultivées individuellement.

A notre connaissance, une seule étude a effectivement porté sur la manipulation de la diversité de communautés de pollinisateurs en culture agricole (Frank & Volkmar, 2006). Cette étude a démontré, à l'aide de cages contenant soit des syrphes (Episyrphus balteatus), soit des abeilles sauvages (Osmia rufa), soit les deux espèces, soit encore aucune des deux pour le témoin, que les insectes participent activement à la pollinisation de cette plante autogame mais surtout que la meilleure pollinisation est obtenue par l'action combinée des deux espèces puisque les abeilles permettent un plus grand nombre de graines de colza par silique alors que les syrphes permettent l'obtention d'un PMG (poids de mille graines) plus élevé (Frank & Volkmar, 2006).

Quelques études tendent à montrer, dans des cas où abeilles domestiques et abeilles sauvages sont directement en compétition, que la biodiversité des pollinisateurs apparaît comme un facteur d’augmentation de la production pour les cultures entomophiles (Klein et al., 2002). Steffan-Dewenter (2003) a ainsi montré une interaction pollinisatrice positive entre Osmia rufa et A. mellifera sur colza.

Sur le tournesol (Helianthus annuus) en production de semences hybrides, le taux de fructification des capitules mâle stérile (MS) est étroitement corrélé à la population totale d’abeilles domestiques et sauvages (Degrandi-Hoffman & Watkins, 2000) et la présence d’abeilles sauvages améliore jusqu’à cinq fois l’efficacité pollinisatrice individuelle des abeilles domestiques (Greenleaf & Kremen, 2006b). Enfin, en vergers de caféiers Coffea arabica en Indonésie, (Klein et al., 2003) ont trouvé que le taux de fructification était significativement corrélé à la diversité spécifique des abeilles et non avec leur abondance totale sur la culture (Figure 2.2-9.).

Figure 2.2-9. Effet de la diversité des abeilles sur le taux de fructification chez le caféier (Coffea arabica) (d'après Klein et al., 2003).

Une complémentarité peut également être observée entre apoïdes et diptères Syrphidés. Ainsi, leur participation améliore très significativement la production de semences de plusieurs espèces condimentaires (céleri, persil, aneth, fenouil ; Anasiewicz et al., 1989; Chaudhary, 2006). Lyon (1965) a également montré leur rôle pollinisateur en cultures de carottes porte-graines. Selon plusieurs études canadiennes, ils représentent le second groupe de pollinisateurs effectifs en vergers derrière des apoïdes du genre Apis et des familles Halictidae et Andrenidae (Boyle & Philogene, 1983, in Vockeroth, 1992), et viennent aujourd'hui compléter l'action des apoïdes, devenue dans certaines situations insuffisante (de Oliveira et al., 1984). Des études ont même montré que, dans certaines régions tempérées et nordiques de l'Europe, leur importance dépasse celle des abeilles dans les vergers

Nombre d’espèces Fructification des fleurs en pollinisation libre (%)

(Matile, 1993) et dans les peuplements semi-cultivés de framboisiers en Scandinavie (Hippa et al., 1978). De façon très localisée et en situation non agricole, ils peuvent même se substituer totalement aux apoïdes, naturellement absents : ainsi, sur les îles Columbretes (Espagne) en mer Méditerranée, l'espèce migratrice Eristalis tenax, provenant du continent, est l'unique pollinisateur, avec un autre diptère de la famille des Caliphoridae, d'une luzerne (Medicago citrina) et de la carotte sauvage.

Enfin, plusieurs études ont montré qu'il est possible d'élever Eristalis tenax, espèce mimétique de l'abeille et spontanément répandue, afin d'améliorer la pollinisation de certaines cultures horticoles visitées par des apoïdes (Gladis, 1997) voire afin d'assurer toute la pollinisation de cultures sous serre comme les poivrons (Jarlan et al., 1997a; Jarlan et al., 1997b).

Au-delà de l'effet de la diversité des communautés de pollinisateurs sur les plantes, la densité même des populations de pollinisateurs semble modifier le comportement de butinage des pollinisateurs généralistes (Fontaine et al., 2008), dont les densités de population sont justement affectées par les activités anthropiques (Biesmeijer et al., 2006). Une étude expérimentale (Fontaine et al., 2008) montre en effet que chez le bourdon Bombus terrestris des peuplements moins denses de ce pollinisateur très répandu ont un comportement de butinage moins généraliste.

A une échelle plus large dans les écosystèmes naturels, la grande sensibilité des communautés végétales les plus diversifiées à l’extinction ou la raréfaction de leur faune pollinisatrice semble corroborée par les résultats d’une approche empirique (Vamosi et al., 2006) : dans plusieurs "points chauds" de biodiversité, il existe une relation positive entre la diversité des communautés végétales et l’intensité de la compétition entre plantes pour l’accès aux pollinisateurs. Les auteurs de ce travail concluent qu’une extinction des pollinisateurs dans ces biotopes conduirait très vraisemblablement à une cascade d’extinctions.

Au total, l’ensemble de ces données, tant expérimentales qu’empiriques ou théoriques, souligne le besoin d’approches expérimentales à grande échelle en ce qui concerne l’impact de la diversité de la faune pollinisatrice sur le fonctionnement des communautés végétales, et allant au-delà du simple établissement de corrélations entre performances agronomiques et communautés de pollinisateurs.

Conclusion - La pollinisation est le résultat d’un mutualisme entre plantes et pollinisateurs. Dans les milieux naturels, il semble que le fonctionnement des réseaux d’interactions plantes-pollinisateurs repose principalement sur la présence et l’activité de quelques espèces généralistes. Théoriquement, ceci confèrerait donc beaucoup de résilience à ce réseau et l’extinction de pollinisateurs spécialisés affecterait peu le fonctionnement des communautés végétales qui serait maintenu par des espèces généralistes Des travaux indiquent que plus les communautés végétales sont diverses, plus elles seraient sensibles à une diminution de la biodiversité de la faune pollinisatrice : ce serait notamment le cas au niveau des "hotspots" de biodiversité répertoriés à l’échelle mondiale. Dans la pratique, il existe peu d'études sur les communautés de plantes sauvages ou sur les cultures. Une étude a clairement montré que la diversité fonctionnelle des communautés de pollinisateurs a un effet sur la diversité et la pérennité des communautés de plantes sauvages. Au niveau des cultures, quelques résultats indiquent un effet de la diversité des pollinisateurs sur la performance agronomique des angiospermes cultivées. D'autres recherches établissent de simples corrélations positives entre diversité de pollinisateurs et performances agronomiques, sans apporter d'éclairage sur les mécanismes.