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2.2. Effets de la diversité par service

2.2.4. Boucles de rétroaction

L’analyse présentée dans ce chapitre a clairement mis en évidence l’implication de différents groupes d’organismes dans différents services écologiques, et ceux-ci seront synthétisés dans la section 2.3. En outre, chacun de ces groupes d’organismes n’opère pas isolément, et il existe des interactions fortes entre différentes composantes de la biodiversité qui sont impliquées simultanément dans un ou plusieurs services écologiques. De ce fait, des boucles de rétroaction existent entre différents organismes, soit directement via leurs interactions biotiques (prédation, parasitisme, symbiose…), soit indirectement via leurs effets sur les ressources ou sur le microclimat. Nous illustrerons ici le cas des interactions plantes-sol et de leurs conséquences pour les services des agro-écosystèmes. Une seconde illustration est présentée dans l’analyse des inter-relations entre gestion agricole et services écologiques via la biodiversité dans la section 2.4.3.3.

Boucles de rétroaction entre diversité végétale, diversité des organismes du sol et services intrants et de production des agroécosystèmes

Les travaux de recherche récents ont mis en évidence les rétroactions qui existent entre le fonctionnement végétal et celui du sol (Wardle et al., 2004; Ehrenfeld et al., 2005), et plus précisément dans un nombre de cas plus restreint entre la biodiversité végétale et celle des organismes du sol. Des études encore plus rares commencent à s’intéresser aux conséquences de ces interactions pour le fonctionnement des écosystèmes, et en particulier pour les cycles biogéochimiques (De Deyn et al., 2008; Le Roux et al., 2008; van der Heijden et al., 2008), ce qui permet de commencer à analyser leurs conséquences pour les services des agroécosystèmes.

(a) Effet de la diversité végétale sur la faune du sol et ses activités

Dans des expériences de un à trois ans, trois études ont mesuré l’effet de la diversité végétale sur la diversité des organismes du sol ; les impacts mesurés sont nuls ou dépendent des espèces végétales présentes plus que de la diversité per se.

Après abandon de la culture continue, le fait de semer avec une faible diversité (4 espèces) une forte diversité (15 espèces) ou de ne pas ressemer n’induit pas, en deux ans, de différence dans la nématofaune (densité et diversité des différents taxons présents) (Korthals et al., 2001).

Les densités de nématodes des différents groupes trophiques sont très influencées par l’identité des espèces de plantes présentes (espèce et groupe fonctionnel), bien plus que par la diversité quantitative per se (Wardle et al., 2003) ; toutefois les auteurs suggèrent que l’absence de réponse des nématodes du sol à la diversité végétale est lié à l’absence d’effet de la diversité végétale à la productivité primaire dans cette expérience.

De même Wardle et al. (1999) ont montré dans une expérience très complète, qu’à des différences de diversité végétale (suite à des exclusions de différents groupes fonctionnels végétaux : graminées C4, graminées annuelles C3, graminées pérennes C4, légumineuses, herbacées dicotylédones) ne correspondaient aucune différence pour différents groupes de la faune du sol : nématodes phytoparasites, microbivores, omnivores et prédateurs, collemboles, acariens et vers de terre. Seule, l’absence complète de végétation avait des répercutions sur quelques groupes d’organismes : vers de terre, collemboles, nématodes bactérivores, omnivores et prédateurs. De plus, ces trois groupes de nématodes étaient sensibles à la présence de plante en C4. Les réponses observées pour la pédofaune étaient bien moins importantes que celles observés pour les arthropodes herbivores.

L’effet de la diversité génétique des plantes cultivées ou de prairie sur les micro-organismes ou invertébrés du sol n’a pas été abordé dans les études publiées, bien que des exemples pris chez les espèces ligneuses montrent un effet de la composition génétique de la population sur les invertébrés de la litière (LeRoy et al., 2006).

Conclusion - Bien que la composition spécifique du couvert végétal influence la pédofaune, la diversité végétale ne semble pas avoir un effet direct sur la diversité de la pédofaune. On ne peut donc pas conclure à des effets directs de la diversité végétale sur les activités de la faune du sol. Les recherches futures devront s’orienter vers l’analyse plus ciblée des traits fonctionnels des végétaux sur les communautés du sol (Bargett & Wardle, 2003).

(b) Effet de la diversité végétale sur la diversité microbienne du sol et ses activités

La diversité des microorganismes présents dans le sol est particulièrement importante, nous avons vu en introduction qu'elle est estimée supérieure à 104 génotypes par g de sol (Whitman et al., 1998). La plante, lors de sa croissance développe un système racinaire dans le sol qui par son action mécanique modifie la structure du sol et par ses exsudats racinaires, libère dans le sol un grand nombre de métabolites. En terme de composition, ces rhizodépôts organiques varient selon les espèces (Dalmastri et al., 1999; Garbeva et al., 2007) voire les génotypes au sein d'une même espèce végétale et le stade de développement de la plante (Mougel et al., 2006). Ils comprennent des substrats simples (acides aminés, acides organiques, sucres, acides gras et stérols, dérivés d’acides nucléiques, etc.), des polymères insolubles (cellulose, protéines, etc.), des vitamines et autres facteurs de croissance, des phytohormones, des protéines enzymatiques, des toxines et des composés de défense, et des signaux susceptibles d’agir sur les microorganismes (chimio-attractants, inducteurs de transcription, relation symbiotique, etc.). L'action mécanique des racines, la nature et la composition de ces rhizodépôts fournissent un microenvironnement appelé rhizosphère par Hiltner en 1904 (Hartmann et al., 2007) dans lequel des conditions particulières (nutriments, O2, potentiel redox, pH...) vont favoriser une partie de la microflore du sol, celle qui est la plus la même de tirer partie de ces nouvelles conditions.

Quelques études pour des prairies permanentes assemblées expérimentalement ont mis en évidence une relation entre la richesse spécifique des communautés végétale et la diversité des communautés bactériennes (Stephan et al., 2000; Bartlet Ryser et al., 2005; Grüter et al., 2006). Des études récentes mettent aussi en évidence des effets de l’identité des espèces végétales sur la diversité microbienne dans la rhizosphère (Grayston et al., 2003), qui ont pu dans certains cas être interprétés comme dépendant des traits fonctionnels de ces espèces (Patra et al., 2005).

Néanmoins, cette influence de la diversité végétale sur la diversité microbienne devrait à court terme s'interpréter comme une influence des plantes sur la structure des communautés microbiennes plus que sur leur diversité (Grüter et al., 2006). Par ailleurs, elle s'exerce dans cet environnement limité qu'est la rhizosphère (zone de sol directement en contact avec les racines de la plante). Au delà de la rhizosphère, l'influence de la plante s'amenuise avec la distance et à la mort de la plante (récolte), un phénomène de résilience est observé en ce qui concerne les communautés bactériennes alors que la structure des communautés fongiques semble affectée plus longtemps (Mougel et al., 2006).

Néanmoins, la multiplication du nombre de plantes (densité) et un chevelu racinaire important peuvent transformer le sol arable en un continuum rhizosphérique, qui s'il est pérenne (prairie permanente) peut conduire à l'établissement d'une microflore adaptée à la communauté végétale présente à la surface du sol (van Elsas et al., 2002). La densité et la diversité microbienne observées dans un sol sous prairie permanente sont plus importantes que celles observées dans un sol cultivé, sans doute du fait d'une pression constante du couvert végétal dans le premier cas (van Elsas et al., 2002). Par ailleurs, l'influence de l'espèce végétale cultivée sur la structure et la diversité des communautés microbiennes du sol est modulée par le type de sol dans lequel les plantes sont cultivées (Garbeva et al., 2007; Mougel et al., 2006), et en particulier par la fertilité (Innes et al., 2004).

Différents niveaux d'intégration ont été utilisés pour mettre en évidence l'impact de l'espèce végétale cultivée sur la diversité microbienne. Une approche globale en conditions contrôlées a permis de prendre en compte l'influence de la luzerne (Medicago truncatula) sur la diversité des communautés bactériennes et fongiques, incluant les microorganismes symbiotiques et mettant en évidence que les protobactéries étaient affectées par le génotype variétal de la luzerne et que la résilience était plus forte chez les bactéries que chez les champignons (Mougel et al., 2006).

Dans la mesure où le cultivar de maïs est susceptible de modifier la diversité microbienne, il semble important de se poser la question de l'impact d'une culture de maïs génétiquement transformé sur la diversité microbienne. Les études réalisées à l'échelle des communautés microbiennes semblent

indiquer que les effets du maïs transformé sont identiques à ceux du mais non transformé (Baumgarte

& Tebbe, 2005; Blackwood & Buyer, 2004). En s'intéressant, non plus aux communautés microbiennes, mais à la diversité fonctionnelle (dénitrification), les études indiquent une absence d'effet du mais transgénique sur cette fonction, ou pour le moins, un impact moins important que celui que constituent les facteurs environnementaux (saison, pratiques culturales, sol) (Philippot et al., 2006). De la même manière, la décomposition des résidus de maïs transformés, dont la teneur en lignine (12%) et le rapport lignine/N (9,9) sont supérieurs à ceux trouvés chez le mais non transformé (10% lignine; lignine/N = 8.6), affecte la structure des communautés microbiennes mais à un degré équivalent à celui causé par des facteurs abiotiques (sol, structure, période de prélèvements) (Fang et al., 2007). Il ne semble donc pas y avoir d'incidence notable de la culture de maïs transgénique sur la diversité microbienne.

Les nombres d'espèces à la surface et sous le sol peuvent être corrélés quand les taxa des deux habitats répondent de la même manière aux contraintes environnementales dominantes (Coleman & Whitman, 2005). On le note sur les études conduites selon des gradients de perturbations, ou de conditions pédoclimatiques et géographiques (Green et al., 2004; Waldrop & Firestone, 2006a; Waldrop et al., 2006b). Une diversité végétale importante produit une litière d'une plus grande variété dans sa composition qui peut favoriser une microflore et microfaune également diversifiée adaptée aux composants organiques (Hooper et al., 2005) et la création de différentes niches colonisables par des champignons présentant des exigences écologiques correspondantes (Wardle, 2006b). Dans le cas des prairies permanentes, il a été démontré que la diversité spécifique de la litière pouvait dans certains cas augmenter la biomasse et l’activité (respiration, décomposition) des communautés microbiennes (Bardgett & Shine, 1999), mais ce résultat n’est pas généralisable ( e.g. Wardle et al., 1997).

Si un effet direct et reproductible de la diversité végétale sur la diversité bactérienne est observé au niveau de la rhizosphère des plantes, il ne l'est pas au niveau du sol non rhizosphérique (Kowalchuk et al., 2002). Il semblerait en effet que la diversité végétale ne contrôle pas directement la diversité spécifique des microorganismes du sol mais par contre, elle affecte indirectement la diversité fonctionnelle en limitant la biomasse des décomposeurs, notamment fongiques, par la nature et la quantité de substrats organiques produits par la communauté végétale (Waldrop et al., 2006b). Ces auteurs concluent d'ailleurs que la diversité végétale à la surface du sol ne peut pas constituer un indicateur absolu de la diversité fongique souterraine.

Conclusion - La diversité végétale sélectionne dans sa rhizosphère, mais pas au-delà, une communauté microbienne susceptible d’utiliser les ressources nutritives et physicochimiques que fournissent son métabolisme et son développement racinaire. De la même manière, la nature des résidus et déchets végétaux (litière) peut orienter la diversité fonctionnelle des microorganismes.

(c) Intérêt de la biodiversité microbienne pour l'installation d'espèces végétales et la diversité de ces espèces

En retour, les microorganismes sélectionnés dans la rhizosphère favorisent, par leurs activités (minéralisation) et la production de métabolites particuliers (hormones, molécules signales), la croissance de la plante (Offre et al., 2007; Rengel et al., 1998). En effet, s'il n'a pas toujours été possible de corréler strictement la diversité microbienne avec la productivité primaire des plantes, une relation entre les activités de la microflore et la productivité a pu être établie (Broughton & Gross, 2000).

Il a également été démontré que l'activité de décomposition et la contribution aux cycles biogéochimiques d'une microflore diversifiée sur le plan taxinomique et fonctionnel fournit des nutriments et des conditions favorables au développement d'une flore diversifiée. C'est particulièrement vrai quand on parle de groupes fonctionnels étroitement liés tels que les associations symbiotiques (Dickie, 2007). Ainsi, une corrélation positive a été trouvée entre la diversité des endomycorhizes et la diversité des espèces végétales, alors qu'il n'y a pas de spécificité d'hôte dans cette interaction symbiotique (van der Heijden et al., 1998). La présence au niveau de chaque plante de plusieurs espèces de champignons endomycorhizogènes dont l'efficience dans la relation symbiotique est variable pourrait bénéficier à certaines espèces végétales plus qu'à d'autres. De la même manière,

dans une prairie, les endomycorhizes favorisent les plantes en C4, conduisant à l'exclusion des plantes en C3, associées aux ectomycorhizes, ce qui dans ce cas oriente la diversité végétale en surface (Smith et al., 1999). Par contre, des expérimentations réalisées en microcosmes révèlent que les plantes en monoculture ne sont pas sensibles au degré de diversité microbienne présente dans le sol, alors qu'en situation de polyculture (6 espèces herbacées en mélange), l'aptitude compétitrice des espèces dominantes est réduite au profit des espèces dominées quand la diversité microbienne est plus élevée, ce qui assure une plus grande diversité végétale dans le système (Bonkowski & Roy, 2005).

Les associations symbiotiques entre bactéries et plantes correspondent principalement à des symbioses fixatrices d’azote et impliquent des plantes actinorhiziennes (avec l’actinobactérie Frankia), et des protéobactéries comme Rhizobium, Bradyrhizobium ou quelques β-protéobactéries avec de nombreuses Fabacées/légumineuses. Une certaine spécificité d'hôte assure aux plantes trouvant dans le sol les génotypes bactériens capables de former les nodosités et de fixer efficacement l'azote de l'air un avantage compétitif vis-à-vis des plantes ne pouvant réaliser cette association (Hartmann et al., 1998;

Lafay & Burdon, 2006). C'est d'ailleurs l'absence de la bactérie Bradyrhizobium japonicum dans les sols européens qui empêchait la culture du soja sur le continent et qui a justifié que cette bactérie soit maintenant régulièrement inoculée (Catroux et al., 2001). Un nombre croissant d’études expérimentales démontrent néanmoins que les interactions entre les plantes et la diversité du sol (y compris avec les espèces pathogènes), contribuent au maintien de la diversité des prairies en favorisant le maintien des dicotylédones face à la dominance des graminées (Kulmatiski et al., 2008).

Conclusion - Combinés aux résultats de la section 2.2, ces résultats montrent que la diversité microbienne peut favoriser l’installation des plantes, leur alimentation minérale et hydrique, favorise le contrôle des microorganismes phytopathogènes d’origine tellurique et aérienne.

(d) Synthèse des rétroactions plantes-sol

L’analyse par service (2.2.1 à 2.2.3) et l’analyse ci-dessus des interactions entre diversité végétale et diversité des organismes du sol a mis en évidence tout un réseau d’interrelations, illustré sur la Figure 2.2-29. Si les études de plus en plus nombreuses au cours des cinq dernières années ont pu mettre en évidence l’existence de telles interactions (voir les revues par : Ehrenfeld et al., 2005; Kulmatiski et al., 2008), leurs mécanismes restent fort mal connus, et en particulier ceux qui sous-tendent leur dépendance au type de sol, aux espèces ou groupes fonctionnels végétaux concernés (Bezemer et al., 2006).

Figure 2.2-29. Représentation simplifiée des interrelations entre diversité végétale, diversité des organismes du sol, et services des écosystèmes.

Diversité végétale

Biomasse racinaire

Quantité et diversité litière

Faune du sol Décomposeurs Nématodes Herbivores racines

Microorganismes du sol Bactéries rhizosphériques

Mycorhizes Pathogènes

Fertilité Disponibilité eau

Stabilité du sol Production

Efficience Stabilité

De manière générale, la diversité végétale, et en particulier la présence ou l’abondance de génotypes, d’espèces ou de groupes fonctionnels particuliers, peut favoriser la diversité microbienne, et dans certains cas la diversité de certains groupes de la faune du sol. Ceux-ci peuvent alors avoir en retour des effets directs ou indirects sur la diversité végétale. Les effets directs sont ceux des herbivores ou des pathogènes dont l’action sur certaines espèces ou groupes fonctionnels peut contribuer au maintien de la diversité des communautés. Les effets indirects passent par les effets de la biodiversité du sol sur les processus écosystémiques qui contribuent au maintien de la fertilité, à la disponibilité en eau, et à la stabilité du sol, et par là peuvent avoir des effets retour positifs ou négatifs sur la diversité végétale.

Enfin, ces services influent directement sur la production végétale, en combinaison avec les effets directs de la diversité végétale. Selon le contexte pédoclimatique, les espèces végétales et d’autres facteurs qui ne sont pas encore compris, l’issue de ces interactions pourra soit être la mise en place soit de boucles de rétroactions positives – la biodiversité végétale favorise la biodiversité du sol, avec des effets positifs pour les services intrants et en retour un maintien de la diversité végétale et de et la production végétale, soit de boucles de rétroactions négatives – inversement les effets directs des organismes du sol ou les effets de la fertilité ou de la disponibilité en eau réduisent la diversité végétale, avec des effets nets négatifs ou positifs (effets directs de la fertilité et de la disponibilité en eau) sur la production végétale.

Conclusion - Il existe tout un réseau d’interrelations entre diversité végétale et diversité des organismes du sol, qui interagissent avec la fourniture de services intrants de l’agriculture et avec la production végétale. Si les études de plus en plus nombreuses au cours des cinq dernières années ont pu mettre en évidence l’existence de telles interactions, leurs mécanismes restent fort mal connus, et en particulier ceux qui sous-tendent leur dépendance au type de sol, aux espèces ou groupes fonctionnels végétaux concernés. Selon le bilan de toute la série d’interactions en jeux, des boucles de relations positives ou négatives peuvent se mettre en place et contribuer à augmenter ou réduire la production végétale.

2.3. Synthèse par groupe d'organismes des services écologiques