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Politiques de promotion linguistique

SOCIOLINGUISTIQUE ET POLITIQUES LINGUISTIQUES

1.2 La situation linguistique de la Sardaigne

1.2.6 Politiques de promotion linguistique

La diversification linguistique et culturelle est devenue de plus en plus importante du point de vue politique et institutionnel au cours des dernières années, notamment à propos de la sauvegarde des minorités linguistiques. Un résultat de cette nouvelle attitude en Europe est une série d’initiatives politiques comme la Charte Européenne des Langues Régionales et Minoritaires (1992), et en ce qui concerne l’Italie, la Loi 482/1999. La ratification de la Loi Régionale 26/1997 [dorénavant L. R. 26] pour la Promotion et la valorisation de la culture et de la langue de Sardaigne, et l’application de l’article 5 du Statut de Sardaigne concernant l’autonomie scolaire, ont contribué à développer la conscience de la nécessité de promouvoir la langue et la culture sarde à travers des projets impliquant en premier lieu les institutions scolaires de tout ordre et niveau.

La langue sarde a été reconnue officiellement par le Gouvernement Italien avec la Loi Régionale 26/1997 ratifiée après des décennies de débats. En effet, depuis la prise de position en 1971 de la part de l’Université de Cagliari en faveur d’un débat approfondi su le statut socio-politique et culturel du sarde, grâce à l’activité de promotion d’Antonio Sanna et jusqu’à nos jours, la question de la limba sarda (« langue sarde ») n’a pas cessé d’engendrer des discussions et des polémiques.

Le fondement de la L. R. 26 est la reconnaissance de l’identité culturelle comme élément essentiel de la communauté sarde (art. 1, alinéa 1) ; la langue sarde obtient un statut d’égalité par rapport à l’italien et le même principe de dignité est attribué aux autres variétés parlées dans l’île (catalan, tabarchino, sassarien, gallurien).

Les activités promues dans le cadre de la L. R. 26 concernent la collaboration avec l’école et aussi avec d’autres institutions régionales telles que les bibliothèques, les archives et notamment les Universités de l’île, qui seraient chargées de former le personnel enseignant pour l’étude scientifique des dialectes sardes. En outre, la L. R. 26 prévoit la

création d’un Observatoire pour la culture et la langue sarde chargé de réaliser un

catalogue général de tout le patrimoine culturel sarde et de recenser le répertoire linguistique de la Sardaigne dans la perspective de publier ensuite les résultat de la recherche.

Après avoir pris en considération les principes fondateurs de la L. R. 26, on peut se demander de quelle façon cette loi se réalise concrètement au niveau économique, quels sont les facteurs (« internes » et « externes ») qui déterminent au moins en partie les choix de la classe politique régionale en matière de programmation linguistique, et quels sont les résultats actuels d’une telle action.

Chapitre 1 : Encadrement historique, situation sociolinguistique et politiques linguistiques

La L. R. 26 indique les secteurs dans lesquels il faut développer l’action de

promotion linguistique et culturelle ; en outre, le Conseil Régional s’engage

économiquement pour permettre de façon effective la réalisation des projets considérés les plus appropriés par rapport aux objectifs fixés.

Concrètement, la Région Sardaigne intervient à travers une série de contributions dans des projets proposés par les (groupes d’) écoles, suivant un programme organisé sur une base triennale.

La ratification de la Loi Nationale 482/99 « Normes en matière de sauvegarde des minorités linguistiques historiques » entraîne une réflexion auprès de la classe politique sarde. En effet, la Loi 482 mentionne parmi les langues minoritaires le sarde « tout court » et le catalan parlé à l’Alguer en tant que langue désormais standardisée et nationale (en Espagne…) ; en revanche, les autres variétés parlées en Sardaigne et figurant dans la L. R. 2621 sont exclues de ce groupe.

Une première réaction à l’exclusion de ces variétés se manifeste dans la Délibération régionale nr. 26/3 de 2003, présentant les critères d’attribution des fonds : tout d’abord, dans ce document on peut lire qu’il « ouvre une nouvelle perspective de réflexion », ensuite, qu’« il est très important de renforcer aussi dans le système législatif régional, les aspects concernant l’enseignement à l’école, la valorisation et l’emploi effectif de la langue sarde (notamment dans son usage véhiculaire, officiel et de communication publique) promouvant toute ses variantes locales, en attendant de vérifier les passages successifs du processus de standardisation linguistique » [Notre traduction].

L’élaboration de ce document subit largement le poids des préoccupations de nature économique (manque de fonds) et politique linguistique (Loi 482). Ces critères sont beaucoup plus sélectifs par rapport au document homologue 31/49 de 1999 et, du point de vue de la planification linguistique, on peut souligner un rappel continu à l’« unité de la langue sarde à laquelle il faudra ramener toute expérience locale ». Cette action de

21 L’intérêt croissant envers les langues régionales et, d’autre part, le prestige du catalan en tant que langue minoritaire « qui a réussi » dans le processus d’autodétermination, contribuent à donner un nouvel élan à la « question alguéroise » dans le cadre du plurilinguisme en Sardaigne. Une importante étude sociolinguistique conduite sur le catalan parlé à l’Alguer est celle de Grossmann (1983) ; cf. aussi Grossmann et Lörinczi Angioni (1979). Depau (2007) propose une analyse de la situation linguistique actuelle d’Alguer et surtout des enjeux qu’y suscite l’enseignement scolaire de la langue catalan. Deux facteurs, notamment, rendent intéressante la question du catalan de l’Alguer : le premier est que l’alguérois est le seul cas de catalan « colonial », relevant de la présence du Royaume catalano-aragonais en Sardaigne ; le deuxième est que les locuteurs catalans d’Alguer constituent une communauté minoritaire « de deuxième degré », car il s’agit d’un îlot linguistique se trouvant dans le milieu déjà minoritaire du sarde face à l’italien. Ainsi, le rapport entre activités scolaires, promotion linguistique, relations culturelles et action législative dans ce contexte est strictement lié à la question identitaire de la « catalanité » de l’Alguer et des alguérois, et à la collaboration entre les organismes locaux (privés et publics) et les institutions catalanes.

planification vise donc à se réaliser à la fois au niveau du statut (aussi bien du point de vue formel que fonctionnel) et au niveau du corpus (normalisation graphique, standardisation, modernisation) mais ne prend pas suffisamment en compte, nous paraît-il, l’aspect acquisitionnel, c’est-à-dire, le point de vue des locuteurs.

Le paragraphe consacré à l’évaluation des projets diffère totalement de celui du texte de 1999, notamment en ce qui concerne le rôle joué par le facteur « langue » vis-à-vis des autres aires disciplinaires mentionnées dans la L. R. 26, comme l’histoire et/ou la culture de la région. En effet, l’administration régionale attribue une place de premier rang aux projets où l’aspect linguistique est proéminent.

En principe, les projets scolaires pourraient et devraient viser à un développement pluridisciplinaire où la promotion linguistique du sarde serait combinée avec d’autres formes de diffusion culturelle (littérature ou valorisation de la culture matérielle locale) ou encore avec de nouvelles technologies comme l’informatique. Cette nouvelle démarche que l’on vient de présenter, mettant en valeur le critère strictement linguistique au détriment des éléments socio- culturels, pourrait au contraire marginaliser les autres aires d’intérêt historique et social qui sont à notre avis fondamentales dans la reconstruction d’une identité culturelle sarde (à côté, bien sûr, de l’identité italienne et européenne), dont la valorisation linguistique elle-même serait favorisée.

Ce qui, à notre sens, n’est pas du tout convaincant dans le document de 2003 est la tendance à se référer de façon constante au processus de standardisation, qui en fait ne devrait concerner que la dimension de l’écriture22 et qui, à l’heure actuelle, présente de gros problèmes plutôt que des avantages : en effet, sur la standardisation du sarde reposent peut-être des espoirs non proportionnels à son rôle unificateur réel, tandis qu’on sous-estime les limites et les réactions à l’imposition d’une forme linguistique étrangère à la plupart des locuteurs de n’importe quelle variété de sarde23.

Ces considérations n’amènent pas, naturellemment, à une opposition aux activités de promotion de l’enseignement du sarde (dans le sens de « variété locale de sarde ») ; au contraire, de ce point de vue un engagement plus précis (et cohérent) de la part de la classe politique sarde – avec la collaboration fondamentale des linguistes – au niveau de la programmation est tout à fait nécessaire.

22 Mais cf. les considérations de Calaresu (2002).

23 Cf. à ce propos ce qu’affirment Loi Corvetto (1979) et plus récemment Lavinio (2003) ; voir aussi Contini (2004), qui met en relief le paradoxe de plusieurs choix de la commission déléguée à l’époque à l’élaboration d’une variété de sarde « unifié ».

Chapitre 1 : Encadrement historique, situation sociolinguistique et politiques linguistiques

Tout d’abord, il faudrait créer les conditions pour le développement d’un

programme d’enseignement non seulement de mais aussi dans la langue locale, dans le

cadre de l’enseignement des autres matières prévues dans le cursus scolaire. Les doutes

concernant l’enseignement du sarde concernent plutôt le risque d’une activité

d’enseignement s’appuyant trop sur la dimension linguistique, où la langue sarde serait exposée au plan didactique à la « concurrence » des langues de prestige comme l’italien et les langues étrangères. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le sarde est considéré comme « inutile » du point de vue fonctionnel et socio-économique ; l’insertion d’autres heures dans un créneau scolaire déjà très dense pourrait engendrer plusieurs problèmes et peut-être entraîner une forme de refus de la part des élèves – surtout les plus jeunes.

En outre, ce qui est probablement le plus grave, on a pu remarquer la tendance chez la classe politique sarde à tenter d’obtenir des résultats immédiats, alors que la programmation linguistique demande beaucoup de temps et de patience. Par ailleurs, la situation linguistique réelle de la Sardaigne s’avère être plus dynamique que ce que l’on veut croire, et le rapport « langue italienne – dialecte local » produit des effets différents suivant les aires de la région.

Pour illustrer cette tendance générale, il faut rappeler que la L. R. 26 pour la promotion du sarde contient aussi un article (art. 10) concernant la réalisation de l’enquête sociolinguistique à grande échelle sur les usages linguistiques (déclarés) et sur l’attitude des Sardes envers la langue sarde. L’actuation concrète de l’article 10 date seulement d’avril / mai 2007, lorsque les résultats de l’étude en question ont été publiés. Le rapport de recherche a été présenté officiellement par le président du gouvernement régional sarde Renato Soru, le 5 mai 2007. Il a donc fallu attendre dix ans (depuis la ratification de la L. R. 26 – 1997) avant de connaître la situation sociolinguistique du rapport entre l’italien et le sarde dans l’île.

Durant toutes ces années, au contraire, c’est le projet de standardisation qui était considéré absolument prioritaire, comme le témoigne la délibération de la Région Sardaigne nr. 26/3 de 2003 mentionnée ci-dessus, concernant les critères d’attribution des financements pour les activités de promotion du sarde que nous avons commentés plus haut (cf. Depau et Zucca, 2005).

Finalement, une nouvelle commission d’experts a été désignée à partir de l’été 2005 afin de poser les bases d’un nouveau programme d’action concernant, entre autre, le lancement d’une enquête sociolinguistique et la détermination d’une variété « officielle » de sarde (employée seulement pour les actes administratifs de la Région Sardaigne).

Dans ce but, une équipe de recherche sur le terrain a été mise en place avec la collaboration des deux universités sardes (Cagliari et Sassari) et a travaillé sur 77 points d’enquête dans l’île, prenant en considération des groupes sociaux variés du point de vue sociolinguistique. Les résultats de cette recherche sont maintenant disponibles, et représentent sans doute une véritable mine d’informations pour les chercheurs qui voudront s’occuper de la situation sociolinguistique du sarde24.

La note informative publiée dans le site de « Sardegna Cultura », parue le 5 mai 2007, portait le titre suivant : « Sardegna: indagine sociolinguistica, 68.4% degli isolani

parla sardo »25 ; au-delà de l’évident caractère général du titre, parmi les pourcentages

indiqués dans cette présentation il est intéressant de remarquer que seulement 2.7% des interviewés ne comprennent pas le sarde et que dans les villages les locuteurs d’une variété locale sont 85.5%, tandis que dans les villes de plus de 100.000 habitants (dont Cagliari) le chiffre est de 57.9%. Dans la capitale régionale 59.3% des personnes interviewées déclarent connaître et parler le sarde, alors que 36.7% affirme avoir seulement une compétence de réception.

Nous ferons par la suite, dans le chapitre consacré à l’analyse des données à notre disposition, davantage référence aux données extraites de ce document officiel ; il sera intéressant notamment de prendre en considération des éléments tels que les variations intergénérationnelles, les situations de communication variées, etc. En tout cas, les chiffres relatifs à la volonté de soutenir le sarde en tant qu’élément d’identité régionale (89.9%), et à l’enseignement du sarde à l’école (78.6%) peuvent être interprétés comme des signaux clairs de l’importance socioculturelle attribuée à cette langue.

Pour conclure cette brève description des résultats généraux, nous mentionnons le fait que 57.7% des personnes interrogées considèrent favorablement l’introduction d’une forme écrite unique pour la publication des documents administratifs de la Région Sardaigne.

En ce qui concerne la nouvelle tentative de langue pour les usages officiels, qui a

produit une variété dénommée Limba Sarda Comuna (« Langue Sarde Commune » ;

dorénavant LSC), il est donc nécessaire de faire quelques observations.

Tout d’abord, il faut souligner qu’elle remplace une autre variété normalisée, la

Limba Sarda Unificada (« Langue Sarde Unifiée » ; LSU), proposée en 2001 par

24 Le rapport de recherche est disponible avec des documents de support, sur un site officiel de la Région Sardaigne « Sardegna Cultura » : http://www.sardegnacultura.it/ (consulté le 09/05/2007)

Chapitre 1 : Encadrement historique, situation sociolinguistique et politiques linguistiques

l’ancienne commission nommée par la Région Sardaigne. La LSU a échoué pour plusieurs raisons : tout d’abord, trop souvent les choix de la commission ne répondaient pas à des critères de clarté et de rigueur scientifique ; en outre, on lui reprochait de ne pas représenter l’entière communauté sardophone et de privilégier la variété du nord de l’île (le logoudorien) au détriment de la variété du sud (le campidanien)26.

Il est encore tôt pour comprendre les réactions au nouveau standard ; de toute façon, on peut souligner que la nouvelle commission, dans la préparation de la LSC, a peut-être prêté plus d’attention aux questions de nature « identitaire » qui avaient déterminé l’échec de la LSU. En effet, il faut préciser que, sur le plan structurel, la LSC ne se différencie guère de la LSU ; au contraire, la base logoudorienne y reste marquée. À

cette base, s’ajoutent des éléments caractéristiques – et quelque peu emblématiques – des

variétés méridionales, tels que l’article défini pluriel invariable is ou la terminaison –u des noms masculins singuliers. Ces éléments sont contemplés comme alternatives possibles aux variantes septentrionales sos, sas et –o. Ainsi, la LSC est décrite par les autorités comme une variété effectivement parlée dans une aire assez centrale de l’île (Moyenne

Vallée du Tirso / Mandrolisai), présentant des éléments communs aux dialectes

méridionaux et d’autres éléments communs aux dialectes septentrionaux27.

En outre, la LSU (tout comme la LSC, par ailleurs) avait été créée comme variété destinée aux emplois publics, tandis qu’elle est bientôt devenue – dans les discours de ses supporteurs – une sorte de « standard officiel » valable aussi pour l’oral, auquel on a attribué dès le début trop de poids normatif.

La commission qui a développé la LSC, au contraire, s’est montrée plus équilibrée de ce point de vue, précisant la fonction exclusivement écrite de cette nouvelle variété officielle, et a assumé plutôt le rôle de « guide » donnant des indications de nature linguistique qui ont leur pertinence dans le cadre limité des actes administratifs.

De toute façon, il faudra du temps pour mieux évaluer les conséquences politiques et linguistiques des décisions prises. Entre-temps, le sarde écrit peut commencer à être employé dans sa variété commune dans les situations formelles ayant un caractère régional,

26 Une analyse critique de la LSU est présente dans Calaresu (2002) ; cf. aussi Depau et Zucca (2005) pour des considérations relatives à la scolarisation en sarde. L’attitude des Sardes vers les différents dialectes (et notamment par rapport à la supposée supériorité du logoudorien sur le campidanien comme variété « haute ») est bien décrite dans Puddu (2005) et dans Paulis (2002).

27 Cf. la Délibération nr 16/14 du 18 avril 2006 (et sa version, justement, en LSC) ; cf. aussi le document officiel publié à la même date par la Région Autonome de Sardaigne « Limba Sarda Comuna. Norme linguistiche di riferimento a carattere sperimentale per la lingua scritta dell’Amministrazione regionale » où l’on parle de variété « moyenne » entre les différents dialectes sardes.

alors que dans les situations non formelles (locaux publics) et dans les institutions locales (y compris à l’école), on est libre de continuer à utiliser chaque variété locale.

Au cours des ans, la question de la normalisation a occupé une place importante dans les discussions sur la sauvegarde et la valorisation du sarde.

Nous avons déjà mentionné la LSU et la LSC, mais d’autres propositions ont été faites en faveur de solutions différentes : par exemple, l’emploi de deux variétés distinctes et représentatives des deux grandes aires dialectales du sarde (campidanien et logoudorien), ou au contraire, le choix d’une seule variété, le nouorien, comme variété de référence dans la forme écrite ; enfin, parmi ces propositions alternatives, nous

mentionnons la Limba Sarda de Mesania (Langue Sarde Moyenne) qui produit une sorte

d’espéranto sarde mélangeant plusieurs dialectes. Aucune de ces trois propositions n’a été retenue, et cela pour plusieurs raisons. La première, visant à garantir le maintien des spécificités subrégionales, présente deux défauts : d’abord, la présence de deux formes normalisées risque d’être, dans le meilleur des cas, inutile, voire, nocive car créerait davantage de distance et de concurrence entre les deux réalités sociales représentées par ces variantes linguistiques ; en outre, d’un point de vue linguistique, la détermination de ce

dualisme « campidanien – logoudorien » ne tiendrait pas compte du continuum dialectal

illustré par Contini (2004), recouvrant les variétés situées dans une large zone intermédiaire. Ainsi, la constitution de deux variétés de référence signifierait l’imposition d’une frontière linguistique qui ne correspond pas à la réalité des isoglosses.

La proposition visant à promouvoir le nouorien comme variété de référence a été avancée par M. Contini (par exemple, cf. Contini 2004). L’adoption du nouorien présenterait selon le linguiste plusieurs avantages, de nature à la fois identitaire et linguistique, car il représente la variété qui permet de mettre le plus en évidence l’identité linguistique du sarde. Le choix du nouorien n’engendrerait donc pas de gros conflits de type identitaire. Nous soulignons le fait que Nuoro et sa région sont souvent considérés le centre culturel de la culture sarde, et le nouorien a souvent été défini la langue des Sardes par excellence, la plus pure, la plus archaïque et proche de la source latine. Il s’agit d’un stéréotype très répandu dans les études sur le sarde, comme nous l’avons vu au cours de ce même chapitre28. Dans ce cas, il faut préciser que le discours de Contini ne reprend pas ce

28 Cf. à ce propos Wagner (1951) ; cf. aussi Lörinczi (1982), déjà citée ci-dessus, pour une vision critique de cette opinion, et Paulis (2002). Pour une étude récente concernant la perception du sarde et de ses variétés par les Sardes eux-mêmes, cf. Puddu (2005).

Chapitre 1 : Encadrement historique, situation sociolinguistique et politiques linguistiques

genre d’argumentation. Le concept d’« identité » auquel il se réfère est strictement linguistique et concerne la place du sarde à l’intérieur du domaine linguistique roman.

Un autre avantage important représenté, selon Contini, par le nouorien, est la proximité maximale entre le code oral et la graphie et, par conséquent, la possibilité de passer sans grosses difficultés de l’oral à l’écrit, pouvant faire appel par ailleurs au système alphabétique de l’italien. Enfin, un aspect non négligeable tient au fait que le nouorien est une variété linguistique réellement parlée tous les jours par un nombre élevé de personnes, donc ancrée dans la réalité linguistique de la Sardaigne.

Malgré ces éléments positifs, le choix du nouorien aurait enfermé davantage le sarde dans une équation « sarde = Nuoro » et dans ce cas aussi le risque de conflit culturel aurait été tout à fait présent29.