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Observations sur les jeunes de Cagliari et de l’agglomération

5 L’ AIRE URBAINE DE C AGLIARI : CONSIDÉRATIONS DÉMOGRAPHIQUES ET LINGUISTIQUES

5.3 Observations sur les jeunes de Cagliari et de l’agglomération

Le nombre de jeunes entre 14 et 20 ans résidant dans l’aire urbaine de Cagliari s’élève à environ 9’294 (4’751 hommes, 4’543 femmes) pour un total de 158’685 habitants (73’910, 84’775) ; ce chiffre monte à 26’629 si l’on considère toute l’aire métropolitaine (13’697, 12932), soit 67% du nombre total de jeunes de la même tranche d’âge de la province administrative de Cagliari – 39’588, dont 20’384 hommes et 19’204 femmes – et presque 22% de la région Sardaigne (121’820 ; 62’516, 59’304).

Cependant, il nous paraît très difficile de définir de manière certaine cette catégorie de « jeunes » ; par exemple, nous pourrions considérer aussi, dans ce groupe, la tranche

d’âge qui va de 21 à 25 ans, voire jusqu’à 29 ans, après laquelle on passe dans la catégorie des « adultes ». Relativement à l’aire urbaine de Cagliari, le groupe 21 – 25 est formé par 8’453 personnes (4’324, 4’129) mais, si l’on prend en compte l’aire métropolitaine, leur nombre s’élève à 14’188 (7’249, 6’939) ; le groupe 26-29 compte 8’246 individus (4’234, 4’012) dans l’aire urbaine, qui deviennent 13’053 (6’701, 6’352), si l’on considère l’ensemble des dix communes principales de l’agglomération.

Figure 2 – Répartition des jeunes dans l’aire urbaine de Cagliari et dans son agglomération

Cagliari 9294 8453 8246 158685 14-20 21-25 26-29 TOTAL Agglomération 26629 14188 13053 371101 14-20 21-25 26-29 TOTAL

Dans le cadre de notre analyse, qui se concentre aussi sur le répertoire des jeunes étudiants enregistrés à la sortie / entrée des écoles, la tranche d’âge 14 – 20 est particulièrement intéressante.

Les données les plus récentes disponibles sur la population scolaire de Cagliari font

référence à l’année 2005-2005118. Dans le document consulté, le nombre d’étudiants des

instituts secondaires de la ville était de 17’878 unités, dont 6’364 non résidantes à Cagliari119.

Le territoire urbain de Cagliari, comme nous le verrons au cours de notre analyse des données, se caractérise par une valeur importante de l’italophonie, surtout en ce qui concerne la catégorie socio-démographique des jeunes.

Plusieurs recherches conduites auprès des étudiants des instituts secondaires de la ville témoignent de l’intérêt pour la production langagière des jeunes cagliaritains et plus particulièrement du rôle joué par le sarde à l’intérieur du répertoire linguistique complexe de cette catégorie de locuteurs.

Selon Gargiulo (2002 : 14-15), parmi les étudiants qui ont participé à son enquête et qui ont répondu à la question « prima di andare a scuola, in famiglia, hai appreso il dialetto

118 Source : « Cagliari in cifre », p. 244 ; http://www.comune.cagliari.it.

119 Il faut dire, par précision, que dans le même document, à la p. 238, sont présentées des données sur la population étudiante différentes de celles que nous venons d’indiquer (18'290).

Chapitre 5 : L’aire urbaine de Cagliari : considérations démographiques et linguistiques

o l’italiano » (« Avant d’aller à l’école, en famille, tu as appris le dialecte ou l’italien »), 70,4% ont répondu « italiano », à peine 0,8% « dialecte », 1,7% les deux ; 12,9% des informateurs ont répondu « Oui », donnée que l’auteur interprète – compte tenu aussi d’autres éléments émergeant de son enquête – comme une déclaration implicite d’italophonie.

Une étude conduite par Marongiu (2005) dans un institut professionnel de Cagliari avec 14 informateurs âgés d’environ 14 ans, montre des données intéressantes qui vont dans la même direction que celles indiquées par Gargiulo. Le lycée professionnel qui fait l’objet de son enquête accueille de nombreux étudiants provenant des communes de l’agglomération ou situées aux alentours de la ville ; les étudiants sont résidants dans la quasi-totalité dans des communes hors de la ville principale.

Selon Marongiu (2005 : 154–155), 92,9% des étudiants ont indiqué l’italien comme langue maternelle et dominante de leur répertoire. En outre, 64% des informateurs déclarent parler et comprendre le sarde parfaitement ou bien. En réalité, comme le précise l’auteure, les résultats d’un test de production et de compréhension montrent que 71,4% des 14 étudiants enquêtés « ha competenze orali che vanno dalla fluidità comunicativa alla comunicazione con qualche difficoltà » (Marongiu, 2005 : 157). En outre, seulement 7,1%

de ses informateurs sont parfaitement compétents dans la production orale en sarde ; en

revanche, selon le test proposé par la chercheuse, 64% sont parfaitement compétents dans

la compréhension du sarde.

Il nous manque malheureusement des données plus vastes concernant la production (réelle ou déclarée) des jeunes de Cagliari. Les résultats de l’étude menée par la section sarde de l’institut IRRE (Istituto Regionale di Ricerca Educativa ; cf. chapitre 4) sur les langues des jeunes étudiants sardes des différents niveaux – de l’école élémentaire jusqu’à l’université – ne sont pas utiles en ce sens. En effet, malgré leur intérêt remarquable du point de vue de la richesse de données mises à la disposition du lecteur, et de l’ampleur de l’échantillon (cf. Lavinio et Lanero, 2008), ces données ne prennent pas en compte le contexte spécifique de la ville, et donnent plutôt une vision de la situation linguistique (et notamment, de la diffusion du sarde et de l’italien dans cette vaste portion de la société sarde) à l’échelle des districts didactiques, des différentes provinces administratives de l’île, et de la région Sardaigne dans son ensemble.

Dans le cadre de notre étude, cependant, un aspect montré par les recherches mentionnées sur la diffusion du sarde dans la région et en particulier dans les écoles de la ville, nous concerne et intéresse principalement : la compétence réduite du sarde chez les

jeunes (au moins du point de vue de la production) et – en même temps – la richesse du répertoire linguistique de ces locuteurs, qui disposent de la possibilité d’employer et resituer l’élément local à côté de l’élément linguistique national, à l’intérieur d’un « code » communicationnel spécifique et marqué du point de vue diaphasique et diastratique.

Ces aspects seront pris en compte lors de notre analyse des données issues des enregistrements menées à proximité des lycées de la ville et dans d’autres situations où des jeunes étaient impliqués dans une activité de communication.

5.4 Observations conclusives

Dans ce chapitre nous avons dirigé notre attention sur le contexte de Cagliari. Les informations portaient sur deux niveaux différents de description : un niveau socio-démographique, concernant des informations relatives à la composition de la ville et de son agglomération métropolitaine ; un niveau sociolinguistique général concernant le répertoire linguistique des sardes et notamment des habitants de Cagliari, d’après les recherches menées dans les dernières années. Ces informations générales sur notre terrain d’enquête nous paraissent utiles pour introduire notre recherche, bien que l’objet de notre étude ne soit pas de montrer des liens directs entre des facteurs de nature sociale, d’une part, et production langagière, de l’autre.

Ces informations nous fourniront des éléments de réflexion lors de notre analyse des données à notre disposition sur l’emploi réel du sarde et de l’italien dans la production bilingue à Cagliari, dans les diverses situations prises en considération.

Chapitre 6 : Aspects méthodologiques

6 ASPECTS MÉTHODOLOGIQUES

Pour introduire nos réflexions sur les questions méthodologiques, nous empruntons deux affirmations de deux chercheurs très différents l’un de l’autre, c’est-à-dire, Dalbera (2002), et Fishman (1971). Ces observations concernent la relation entre la méthodologie de recherche (prise dans son complexe) et la réalité des données produites et disponibles pour l’analyse.

Par rapport à cette relation, Dalbera (2002 : 99) s’exprime de manière très déclarative :

On voit bien que celui-ci [le corpus, ndr] ne saurait préexister à l’analyse ; il s’élabore, il se dévoile au fur et à mesure que l’investigation avance. De sorte que

c’est finalement le corpus qui fait la théorie(gras et italique dans l’original).

Le propos énoncé par le dialectologue français se rapproche de celui qui avait déjà été exprimé par Fishman (1971 : 69) :

Il serait téméraire d’affirmer qu’une seule et même méthode convient au rassemblement et à l’analyse des données pour une telle variété de problèmes et d’objets d’étude. […] [L]a sélection des méthodes est une conséquence des données du problème : elle n’en est absolument pas indépendante. (italique dans l’original).

Ce n’est sûrement pas le hasard qui fait que les déclarations d’un des principaux spécialistes de sociolinguistique coïncident avec ce qu’affirme un des plus fins interprètes de la moderne dialectologie motivationnelle – non seulement – française. Cela témoigne à notre avis d’une sensibilité vers l’objet de l’étude, qui est commune aux disciplines linguistiques qui trouvent la matière première de leurs réflexions dans la recherche sur le terrain.

Dalbera part du principe que l’analyse et l’interprétation dépendent des données à disposition ; Fishman part du principe que la sélection de méthodes de recherche dépend de la problématique avancée. Dalbera parle de l’« après » rassemblement des données ; Fishman parle aussi bien de l’« après » que de l’« avant » collecte. Il s’agit ici, donc, des deux faces de la même médaille, c’est-à-dire, le rapport entre réflexion théorique et observation empirique du fait linguistique : « Le questionnement mécanique conçu a priori se corrige, se complète, et se peaufine tout au long de l’enquête et, par suite le corpus de

réponses auxquelles il donne lieu et, en définitive, l’échantillon même qui en est issu. Le corpus est indissociable de l’analyse » (Dalbera, 2002 : 97. Gras et italique dans l'original).

On pourrait plutôt dire, à propos de la relation entre méthodologie d’enquête d’une part et objectif de la recherche de l’autre part, que la première dépend forcément du deuxième, mais en égale mesure la méthodologie adoptée a des conséquences déterminantes sur les données recueillies et donc sur les objectifs mêmes de la recherche.

Il n’existe donc pas un modèle idéal ou une méthode-type, tout comme pour un observateur il n’existe pas (il ne devrait pas y avoir) de résultat idéal ; les objectifs visés par le chercheur et donc l’orientation générale de la recherche influencent, plutôt, le choix de la méthode, puisqu’il y a une véritable richesse de points d’observation possibles des faits linguistiques (notamment, en ce qui nous concerne, du contact de langues). En outre, d’autres éléments sont à prendre en compte à coté de ces premiers facteurs, à savoir les nombreuses contraintes (physiques, économiques, temporelles, mentales, etc.) que le terrain pose au chercheur, et les difficultés qui en dérivent sur la réalisation des projets d’étude.

Au cours du présent chapitre nous allons donc présenter nos observations méthodologiques sur notre expérience de recherche et sur certaines questions concernant les approches qu’il est possible d’adopter afin de comprendre ce qui se passe lors d’une interaction où des locuteurs d’italien et de sarde alternent la langue nationale et la langue locale.