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Dialectologie et sociolinguistique : cadre général de la question

RÉPERTOIRES BILINGUES 4.1Avant-propos

4.2 Dialectologie et sociolinguistique : cadre général de la question

La question des rapports entre dialectologie et sociolinguistique est bien illustrée à notre avis par Thun (1998 : 765), qui dénonce les limites d’une sorte d’individualisme disciplinaire :

La Dialectología, monodimensional por tradición pero no por necesidad intrínseca, es una sociolingüística limitada. La Sociolingüística, multidimensional por tradición [por reacción] al espacio, es una dialectología limitada75.

Le même problème dénoncé par Thun est évoqué par Iannàccaro et Dell'Aquila (1999) qui, en citant l’auteur allemand dans leur discussion sur cette question, prennent en compte aussi, à côté de la dialectologie, sa discipline sœur, la

géolinguistique76. Les deux chercheurs italiens mettent en évidence une tendance apparue,

d’après eux, au milieu des années 198077 : il s’agit d’un sentiment de malaise, engendré par la prise de conscience d’une excessive compartimentation disciplinaire, grandissant au

75 Dans une autre occasion, Thun (1992 : 662) avait déjà affirmé le même concept : « Per me non c’è una differenza essenziale tra dialettologia spaziale o rurale da una parte e sociolinguistica o dialettologia urbana dall’altra. [...] [L]a dialettologia tradizionale, rurale o spaziale, è soltanto – nell’ottica moderna – una semplificazione della sociolinguistica ».

76 Dans ce cas, le terme géolinguistique est utilisé dans le sens de « Géographie Linguistique » ; l’emploi de « géolinguistique » et de son correspondant anglais « geolinguistics » est parfois ambigu et l’équivalence de ces deux termes est partielle, voire, d’un certain point de vue, nulle. Nous aborderons cet aspect au cours du chapitre présent.

77 Plusieurs faits que nous évoquerons au cours des paragraphes suivants (en particulier, la naissance de la RID – Rivista Italiana di Dialettologia, en 1977) nous permettent de dire qu’en réalité cette condition de malaise dans la communauté scientifique italienne était ressentie de manière explicite déjà vers la moitié des années 1970.

niveau théorique et atteignant les disciplines se fondant sur l’observation de la variété de la communication verbale telle que, justement, la dialectologie et la sociolinguistique.

Selon les deux auteurs, ce sentiment de mécontentement et d’insatisfaction se caractérise par son ambivalence : en effet, d’une part, il est possible d’affirmer le caractère commun aux trois disciplines concernées, de ce sentiment ; d’autre part, ce même malaise émerge de manière spécifique au sein de chacune d’entre elles. Dans le domaine italien, Iannàccaro et Dell'Aquila (1999 : 5-6) mentionnent des moments spécifiques qui ont fonctionné comme caisse de résonance de cette mise en question épistémologique et par conséquent de l’exigence de changement : il s’agit notamment du colloque sicilien d’où

nous avons extrait l’intervention de Thun citée ci-dessus (199578), de la publication des

Fondamenti di sociolinguistica de Berruto (encore 1995), et enfin de la publication des

Fondamenti di dialettologia italiana de Grassi, Sobrero et Telmon (1997). Dans ces trois occasions – et dans les deux dernières en particulier – la nécessité de reconsidérer et renouveler, au moins en partie, le cadrage théorique des disciplines devient évidente. Cet encadrement théorique trouverait d’ailleurs sa place naturelle dans la tradition de recherche développée en Italie sur la diffusion géographique et fonctionnelle des dialectes. La relation « variété romane – langue standard » s’avère être même un des fondements des études dialectologiques ; dans plusieurs occasions, en effet, Grassi (entre autres, 1970 : 392 ; 1995 : 9 suiv.) met en évidence la relation sociolinguistique entre ces deux entités et notamment le fait que le dialecte se définit en fonction d’une opposition avec la langue dans une relation diglossique79. À ce propos, Cortelazzo (1977 : 119) souligne le rôle joué par la sociolinguistique dans le renouvellement des études linguistiques italiennes :

[…] la sociolinguistica, variamente intesa, […] penetrata così profondamente nel tessuto della disciplina dialettologica da poter far ritenere che questa si risolva in ultima analisi, in quella o, all’opposto, che si tratti di due approcci lontani l’uno dall’altro […]. (en italique dans l’original)

La question, cependant, est beaucoup plus vaste et va bien au-delà des frontières nationales et de la tradition d'études italienne.

En élargissant le champ d’observation au-delà du domaine (italo)roman, il est possible de remarquer que, curieusement, la relation entre dialectologie et sociolinguistique

78 Cf. Ruffino (1998).

79 Comme le souligne Benincà (1996 : 5), la « région dialectale » italienne représente une portion de l’espace national, et du point de vue linguistique est une aire de variation concernant à la fois la structure interne (aussi bien du dialecte que de la langue nationale) et la stratification sociolinguistique entre ces deux

systèmes ; cette organisation de l’espace linguistique dans d’autres pays se vérifie dans un cadre qui coïncide, ou tend à coïncider, avec la nation entière.

Chapitre 4 : Dialectologie et sociolinguistique et les différentes approches de l’étude des répertoires bilingues

se développe parfois suivant un rapport d’inclusion / filiation qui dépend généralement du point de vue adopté : ainsi, pour les sociolinguistes la dialectologie est souvent définie comme une branche de la sociolinguistique. Cette inclusion concerne notamment la dialectologie urbaine et la dialectologie sociale, lesquelles représenteraient un développement de la dialectologie suite à une ouverture de cette dernière du monde rural au monde moderne et socialement stratifié de la réalité urbaine. Cette « nouvelle » dialectologie serait donc une véritable évolution de la dialectologie « traditionnelle », dont

l’objet d’étude est résumable par l’acronyme NORMs (Nonmobile Older Rural Male

speakers) suggéré par Chambers et Trudgill (1980 : 33). Nous illustrons cette attitude – répandue surtout dans la tradition anglo-saxonne ; cf. aussi Sornicola (2002a : 81-82) – à l’aide d’un exemple, pris de la couverture du volume « Social Dialectology » (Britain et Cheshire, 2003b) ; on peut y lire que le volume fait partie d’une série éditoriale concernant un grand éventail de travaux (« IMPACT: Studies in language and society ») :

IMPACT publishes monographs, collective volumes, and text books on topics in sociolinguistics […] with special emphasis on areas such as language planning and language policies; language conflict and language death; language standard and language change; dialectology; diglossia; discourse studies; language and social identity […]; and history and methods of sociolinguistics. (notre soulignement)

Selon cette perspective, la dialectologie se trouve donc incluse dans un ensemble de spécialités de la recherche en sociolinguistique, comme un « sujet » d’étude à l’intérieur d’un cadre disciplinaire plus vaste.

De manière bien plus explicite, Kerswill (2004 : 22) peut déclarer à ce sujet que

[t]here are few references to “social dialectology” in the indices of encyclopaedias and textbooks: perhaps it needs no definition, because it is sociolinguistics. (soulignage dans l’original)

L’inclusion de la dialectologie à l’intérieur d’un groupe de spécialisations plus vaste est reprise aussi par Hernández Campoy (2001), qui synthétise les proposition à ce sujet avancées par plusieurs linguistes de tradition anglo-saxonne (tels que, entre autres,

Trudgill et Fishman) et illustre à l’aide d’un graphique à arbre la position de la

dialectologie : cette dernière se situe à l’intérieur de la Macrosociolinguistique,

comprenant aussi la Sociologie du Langage, la Secular Linguistics et la Géolinguistique

(Hernández Campoy, 2001 : 28)80.

80 À l’intérieur de l’autre groupe, la Microsociolinguistique, se situent les disciplines suivantes : Psychologie Sociale du Langage, Analyse du Discours, Ethnographie de la Communication, Linguistique

Ce point de vue n’est cependant pas limité à la tradition anglo-saxonne : concernant le domaine francophone, Gardin (1990) dans sa revue des développements de la sociolinguistique française opère une systématisation des aires disciplinaires de celle-ci et, reprenant Lacks (1984), mentionne aussi la dialectologie comme une spécialisation à l’intérieur de la sociolinguistique.

Pour les dialectologues, au contraire, la sociolinguistique – surtout, pour ce qui nous concerne, dans l’aire (italo-)romane – représente une sorte de filiation de la

dialectologie ou, plutôt, la dialectologie contient déjà in nuce les prodromes de la

sociolinguistique. Ainsi, bien que dans les atlas linguistiques la réflexion sociale soit présente de façon seulement partielle, cette présence en demeure néanmoins incontestable, et son développement « réduit » est motivé exclusivement par des exigences pratiques, notamment par la nécessité de répertorier avec urgence les parlers en voie de disparition à cause de la condition de subordination diglossique – concept qui est justement fort discuté dans la réflexion sociolinguistique81 – face à une langue plus prestigieuse en situation de contact (exigence soulignée, entre autres, à plusieurs reprises par Contini, 2005).

L’assertion de Thun (1998) que nous avons citée au début du paragraphe, se situe exactement dans le cadre d’une réflexion sur le rapport entre ces deux disciplines et sur le fait que l’absence de collaboration entre les deux perspectives – dialectologie et sociolinguistique – représente un véritable gaspillage pour la réflexion dans le domaine plus vaste des sciences du langage.