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Le concept de « dialecte »

RÉPERTOIRES BILINGUES 4.1Avant-propos

4.3 Le concept de « dialecte »

La question de la dialectologie comme champ de recherche, se pose aussi en relation aux diverses acceptions du concept de « dialecte » dans les différentes traditions d’étude ; il s’agit d’une problématique complexe, pas du tout banale, qui fait l’objet de débats selon plusieurs perspectives et qui échappe à toute définition ‘universelle’. Une

Anthropologique (Hernández Campoy, 2001 : 28). Nous traduisons directement de l’espagnol. En ce qui concerne l’expression secular linguistics, il faut préciser que cette dernière est définie par Trudgill (2003 : 117-118), comme la méthodologie sociolinguistique connue aussi en tant que « Linguistique quantitative » ou (moins correctement, d’après l’auteur) « Linguistique corrélative », et qui est associée, notamment, au nom de W. Labov.

81 Cf. à ce propos Kruijsen (1978 : 253) : « Un buon esempio di come la diglossia sopra citata venga ascritta al terreno proprio del dialettologo, lo dà il numero doppio ultimamente apparso, nel 1975, dell’Ethnologie Française [...] “Pluralité des parlers en France” e in cui una decina di articoli di noti dialettologi (sei di questi stanno pubblicando o preparando un atlante linguistico) tratta dei rapporti e della coesistenza di dialetti, lingue regionali e lingue standard ».

Chapitre 4 : Dialectologie et sociolinguistique et les différentes approches de l’étude des répertoires bilingues

discussion préliminaire, bien qu’assez brève, de cette problématique dans le domaine des études linguistiques nous permet de mettre en lumière quelques aspects importants au niveau théorique mais aussi du terrain, concernant notamment notre travail de recherche.

Le concept de « dialecte » en Italie et plus généralement dans l’espace linguistique roman, est centré sur la rapport de contact entre la variété romane et la langue nationale ; dans cette tradition d’études « il dialetto […] è un concetto complementare a quello di ‘lingua’, e da esso inscindibile » (Grassi, 1995 : 9).

Le terme même de « dialecte », d’origine savante, est très polysémique ; ainsi, par

exemple, ce que Chambers et Trudgill (1980 : 5) appellent « dialects » équivalent – au

moins en partie – à ce qu’en Italie et plus généralement dans la Romania on a tendance à considérer comme variantes régionales de la langue nationale (et non les variétés romanes telles que le sarde, le sicilien, le vénitien, etc.). En reprenant la classification de Coseriu (1980), il s’agit donc dans ce cas de dialectes de type secondaire et tertiaire (cf.

infra). Il est possible de lier ce concept aux considérations de Telmon (1989), qui attribue à l'italien régional (ou plutôt, aux divers italiens régionaux) la valeur de dialectes de l'italien (cf. chapitre 2).

Nous avons déjà abordé auparavant (cf. chapitre 2) la répartition opérée par Coseriu entre dialectes de type primaire, secondaire et tertiaire. Il s’agit d’une répartition qui tient compte du facteur diachronique. Appartiennent au premier groupe les variétés dérivant directement de la même matrice que la langue nationale : c’est le cas, dans le domaine italo-roman, des variétés romanes comme le frioulan, le vénitien, le piémontais, le sarde, etc. ; en domaine gallo-roman, le même groupe peut être représenté par les dialectes d’oc et les dialectes franco-provençaux vis-à-vis du français. Les dialectes du deuxième groupe sont des variétés diatopiques d’une langue commune : par exemple le français parlé au Québec, ou encore l’anglais américain. Les dialectes de type tertiaire sont les variétés issues de la norme nationale, standard ; un exemple dans le domaine roman est représenté par les français régionaux ou les italiens régionaux, parmi lesquels il faut compter aussi les variétés tertiaires parlée dans des aires qui présentent déjà une situation de contact entre deux dialectes primaires – par exemple, l’italien régional parlé dans l’aire de diffusion du sarde82.

Une répartition qui suit partiellement celle opérée par Coseriu se retrouve dans Klinkenberg (1999) ; la classification entre variétés de type primaire, secondaire et tertiaire

82 Pour la discussion de base de cette classification, cf. Coseriu (1980) ; pour une réflexion sur les propositions de Coseriu et plus généralement sur la question du dialecte, cf. Grassi (1993; 1995).

est centrée surtout sur le domaine francophone. Un aspect intéressant de cette tripartition concerne les dialectes du type 3, qui incluent aussi les dialectes « sociaux », c’est-à-dire, les variétés linguistiques qui, au-delà de leur origine, sont considérées comme subordonnées par rapport à la langue standard ; c’est donc la condition de diglossie qui prime dans ce type de relation, typiquement sociolinguistique. Des exemples de variété appartenant à cette ‘catégorie’ sont, dans l’aire française, le breton et le basque ; dans l’aire italienne, les langues des groupes ethniques minoritaires ayant un statut national ailleurs, comme l’allemand du Trentino – Alto Adige83.

Chambers et Trudgill (1980), en outre, distinguent entre geographical dialects (pp. 6, 15 suiv.) et social (et urban) dialects (pp. 8, 54-55) ; de ce point de vue, la perspective adoptée par les linguistes anglais est sans aucun doute sociolinguistique, comme en témoignent aussi les références aux travaux de Labov et d’autres sociolinguistes, comme les techniques d’évaluation de la variation de type statistique.

Une autre distinction fondamentale qui caractérise la tradition anglo-saxonne concerne le concept de « dialecte » tout court et de « dialecte traditionnel » : en effet,

Chambers et Trudgill (1980 : 5) définissent le « dialect » comme une variété de langage

qui diffère du point de vue grammatical, phonologique et lexical des autres variétés de la langue ; ces différences n’empêchent pas l’intercompréhension entre locuteurs de variétés

différentes (p. 3). L’expression anglaise « traditional dialect » correspond à l’allemand

« Mundart » et au français « patois » qui fait référence aux dialectes qui sont relativement distants du standard (p. 3).

Par ailleurs, la difficulté (objective) de définir scientifiquement une notion telle que celle de « dialecte » est due au fait que ce terme est lié à une vision non scientifique du langage. La distinction même entre ‘dialecte’ et ‘langue’ est non–scientifique, et les auteurs préfèrent utiliser le terme « variety »84 : « We shall use ‘variety’ as a neutral term to apply to any particular kind of language which we wish, for some purpose, to consider as a single entity » (Chambers et Trudgill, 1980 : 5).

Nous avons déjà mentionnés qu’une distinction entre ‘dialecte’ et ‘langue’ est possible sur des bases historiques et généalogiques. Mais deux autres critères peuvent être

83 À propos des variétés minoritaires italiennes, cf. Francescato (1993).

84 À propos de cette confusion terminologique, cf. Kerswill (2004), relativement au terme « vernaculaire » dans les travaux de Labov. Le sociolinguiste américain, en effet, utilise ce terme avec deux significations distinctes : la première est celle de ‘style non surveillé, informel’ (et se situe donc au niveau micro-sociolinguistique) ; la deuxième fait référence plutôt au niveau linguistique le plus bas dans une communauté donnée (niveau macro-sociolinguistique) ; cf. Labov (1976). En fait, dans le premier cas il faudrait, à notre avis, parler plutôt de « style », tandis que dans la deuxième acception Kerswill souligne que ‘vernaculaire’ équivaut à « dialecte » ou « patois ».

Chapitre 4 : Dialectologie et sociolinguistique et les différentes approches de l’étude des répertoires bilingues

utilisés : l’espace géographique limité et les contextes et modalités d’emploi. Ces deux critères restent toutefois ambigus et difficiles à cerner ; le deuxième est sans doute le plus pertinent pour une détermination du rapport entre ces deux entités linguistiques qui sont dans une relation dynamique constante et qui dépend des changements dans l’usage respectif au sein d’une communauté. Il est certain que l’introduction de la scolarisation généralisée a permis l’avancée de la langue nationale dans des contextes d’usage réservés auparavant aux variétés locales ; d’autres éléments comme la pragmatique interviennent dans cette relation, par exemple le degré de formalité de la communication.

En concluant sur cet aspect, il est possible de dire que la conceptualisation de cette

entité qu’on appelle dialecte est difficile parce que l’ensemble des connexions entre les

concepts de ‘langue’, ‘variété linguistique’ et ‘société’ est complexe et que la perception individuelle de chaque locuteur à l’égard de ces mêmes facteurs est très variable.

4.4 Dialectologie et sociolinguistique : des points de vue