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Polarisation transfrontalière autour des trois mines : rôle de l’enclavement et des différentiels frontaliers

spatiales liées à l’extraction de l’or

Carte 18 : centres d’échanges structurants dans la commune de Sadiola

III- Polarisation transfrontalière autour des trois mines : rôle de l’enclavement et des différentiels frontaliers

Autant l’enclavement des régions étudiées a constitué une entrave à leur développement économique, autant il peut servir aujourd’hui de protection et de facteur de concentration des effets de l’exploitation à leurs échelles. Il offre ainsi les conditions d’émergence de nouveaux centres économiques.

En outre, ces régions bénéficient de l’existence de frontières nationales. Du fait des différentiels de change auxquels elles sont associées, celles-ci constituent des facteurs de consolidation des flux commerciaux que stimulent les mines autour des zones d’exploitation. Elles contribuent aussi à ouvrir des perspectives de polarisation à l’échelle des trois frontières étatiques.

Nous analyserons ici la relativité des notions d’enclavement et de frontière et montrerons leurs contributions aux dynamiques endogènes qui s’opèrent présentement

166 dans les zones minières de l’est du Sénégal, de l’ouest du Mali et du nord-est de la Guinée. Il sera également question d’identifier les facteurs favorables à l’émergence d’une région économique transfrontalière autour des trois zones minières. Il montrera par ailleurs que les perspectives d’avenir dans ce sens sont plutôt prometteuses, vue les dynamiques contemporaines qui s’opèrent dans l’espace ouest-africain.

1) Enclavement et frontières : des effets relatifs

L’exploitation minière se déroule dans des espaces enclavés. Or, « […]

l’enclavement d’un territoire traduit sa fermeture fonctionnelle […] qui pèse sur la valorisation des potentialités existantes et freine les échanges de toutes natures ». En

d’autres termes, il apparait comme un contrepoids au développement. D’ailleurs, bon de nombre de pays les moins avancés sont des pays enclavés (Magrin G., 2006 : 112-113).

Pour autant, il s’agit d’un état relatif. Les régions étudiées en témoignent, car elles bénéficient d’une ouverture à l’échelle sous-régionale. Tambacounda est en contact avec 4 pays (le Mali, la Mauritanie, la Guinée et la Gambie) et à proximité d’un cinquième (la Guinée Bissau) (Ninot O., 2003 : 143). La région de Kayes est frontalière à la Mauritanie, au Sénégal et à la république de Guinée pendant que la région guinéenne de Kankan s’ouvre sur le Mali. Lorsqu’on se situe également à l’échelle de trois agglomérations que sont Kayes, Kédougou et Siguiri, l’on s’aperçoit que leur disposition géographique révèle une proximité relative (à vol d’oiseau). La distance Kayes-Kédougou est de 270 km alors que Kédougou et Siguiri sont séparées par environ 320 km.

En outre, autant l’enclavement peut représenter une entrave au développement, autant il peut constituer un moyen de protection. De nombreux exemples le confirment (voir Magrin, Ninot, 2005 par exemple). C’est le cas du pays Dogon (Mali) qui, grâce à l’enclavement, a su se protéger des dangers des plaines environnantes, développer une identité culturelle originale et instaurer une agriculture intensive (Thibaut B., 2005).

Par ailleurs, l’enclavement et la proximité qui caractérisent les différents espaces miniers s’associent à l’existence de frontières nationales. Or, certes, celles-ci peuvent constituer des obstacles aux échanges. Car lorsqu’elles renferment des ressources convoitées, elles peuvent faire l’objet de contestations conflictuelles, compromettant toute perspective de développement (Bennafla K., 2006 : 174).

167 Les frontières peuvent aussi se révéler être des facteurs d’échanges intenses en raison des différentiels qu’elles représentent (prix, taxes et monnaies varient souvent de part et d’autre de la ligne frontière). Ceux-ci installent des complémentarités régionales et sous régionales (voir Igué J O et al., 2010). Elles sont ainsi perçues aujourd’hui surtout comme des opportunités commerciales, qui expliquent l’émergence de villes transfrontalières entre pays sahéliens et côtiers d’Afrique de l’ouest. Dans un périmètre de 150 km autour des lignes frontières, on en compte une cinquantaine de plus de 50 000 habitants, tandis qu’en 1960 il n’en existait qu’une dizaine (Bennafla K., 2006 : 176). Différents exemples de commerces transfrontaliers témoignent notamment ceux qui se déroulent entre le Sénégal et la Mauritanie ; le Sénégal, la Gambie et la Guinée Bissau ; ceux concernant la région transfrontalière que forment Sikasso (sud du Mali), Korhogo (nord de la Côté d’Ivoire) et Bobo-dioulasso (ouest du Burkina Faso) ; sans oublier ceux de l’axe Maradi-Katsina-Kano (entre le Niger et le Nigeria), pour ne citer que ces cas (CRDI et ENDA-DIAPOL., 2007).

L’étude de Ninot (2003) montre qu’il y a toujours eu des échanges au sein de l’espace transfrontalier et enclavé que forment le Sénégal oriental, l’ouest du Mali et le nord-est de la Guinée. Mais ces transactions n’ont pas permis de mettre fin à leur enclavement économique via l’émergence de grands pôles sous-régionaux. Les frontières qui les séparent étaient uniquement favorables à des échanges locaux faibles et à caractère clandestin.

Ce constat montre que les frontières et l’enclavement ont besoin d’un minimum de potentiel démographique et économique pour qu’ils puissent exercer leurs capacités stimulantes. Ces conditions sont offertes par le contexte minier actuel. Celui-ci est en effet aujourd’hui à l’origine de mutations commerciales significatives. Nous allons voir dans quelle mesure l’enclavement est susceptible d’y exercer une influence favorable à la production d’effets d’entrainement puis à l’émergence de centres économiques dynamiques.

2) L’enclavement favorise la concentration des effets miniers dans les zones de production

Dans les zones concernées par l’exploitation minière, l’enclavement apparait comme un facteur relativement favorable. Il contribue à la concentration des effets positifs de l’activité ; en évitant leur absorption par des entités géographiques plus

168 éloignées et disposant déjà d’un certain poids dans l’armature économique nationale. Par exemple, l’éloignement de la mine de Sadiola par rapport à Kayes (75 km) a permis de concentrer l’essentiel des retombées de l’exploitation aurifère dans la commune rurale77

. La ville de Kayes, pourtant chef-lieu de région et de cercle, ne jouit ainsi d’aucun avantage, ni d’aucune prérogative sur les retombées minières et sur la gestion des questions minières. Le cas guinéen est également quasi-similaire. Car les possibilités d’absorption des effets miniers par Kankan, située à près de 150km de Kintinian, sont insignifiantes. Son pouvoir d’influence sur certaines décisions liées aux mines est également nul.

C’est en revanche la ville de Siguiri, très éloignée de la capitale guinéenne mais située à une distance raisonnable de la mine (environ 30 km), qui est la principale bénéficiaire des retombées de la SAG. Les transformations endogènes liées aux mines (emploi, croissance démographique, etc.), associées à sa position géographique favorable lui ont permis de s’attirer l’essentiel du pouvoir d’achat des employés miniers. Elles lui ont offert les conditions d’attractivité et de polarisation autour d’elle. En effet, ville de taille moyenne (50 000 habitants en 1996) jouant un rôle de petite capitale régionale à l’échelle de la Haute Guinée, elle est située à proximité de la zone minière. Elle valorise aussi sa situation de proximité avec Bamako, dont elle n’est distante que de 170 km sur une route de bonne qualité reliant la capitale malienne à Conakry. L’accroissement de la consommation de Siguiri, liée à la présence minière, implique l’intensification des flux d’approvisionnement en sa direction ; ce qui renforce sa centralité dans cet espace le plus enclavé de la Guinée. Toujours grâce à cette position et à son dynamisme minier, la ville polarise les produits échangés dans la région puis leur redistribution vers d’autres capitales régionales et nationales (Guinée forestière, Kankan, Bamako, Conakry entre autre).

77 En termes de distance, Sadiola n’est pas très éloigné de Kayes. Mais c’est le mauvais état de la route qui incite les employés à s’y loger définitivement plutôt qu’à Kayes.

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