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L’or du Bouré-Bambouk dans le système mondial : une mise en perspective

Chapitre 3 : Recomposition de l’espace aurifère 41

I- L’orpaillage : une activité ancienne devenue vulnérable

Malgré son ancienneté, l’activité d’orpaillage apparait désormais comme très vulnérable devant les capacités d’organisation des entreprises industrielles, plus propices à une emprise territoriale forte. Car, certes, elle est parfaitement organisée, d’un point de vue social, et obéit à certaines règles favorables à un déroulement peu conflictuel, malgré

41 Nous entendons par espace aurifère l’environnement physique dans lequel se déroule l’exploitation de l’or.

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l’apparent désordre qui marque les sites d’exploitation. Mais son mode de production souffre d’un manque de moyens financiers et techniques. À ces difficultés s’ajoutent des modes opératoires peu favorables à la maîtrise des territoires sur lesquels se déroule l’activité.

1) Une pratique bien organisée

Alors que de l’extérieur elle donne l’image d’une activité désorganisée, l’orpaillage est aussi bien structurée que les configurations sociales des villages et familles qui l’exercent. Car ce mode d’extraction séculaire repose sur une règlementation cohérente. L’accès aux sites d’exploitation est accordé à tous à conditions de respecter l’éthique sociale qui les régit, sous peine d’essuyer des sanctions telles que l’exclusion définitive du placer ou, dans les cas les moins graves, de payer une amende42. Un fouilleur paresseux (fukari en langue Bambara), tricheur (namarafo) ou voleur (nzon) n’est pas censé intégrer un placer (Panella C., 2007 : 355-356).

L’activité est rythmée par les saisons. Elle est pratiquée surtout en saison sèche, tandis que la saison des pluies est réservée à l’agriculture. Ce calendrier permet d’assurer la sécurité alimentaire de la communauté. Même si entre le Sénégal, le Mali et la Guinée il existe des différences dans les règles de l’exploitation artisanale, elles ne sont pas d’une grande importance. Car l’activité repose d’une manière générale sur une certaine hiérarchie des acteurs en fonction de leur statut. En effet, au Sénégal, précisément dans la communauté rurale de Khossanto, c’est le chef de village qui donne l’autorisation d’ouvrir un site. Mais son fonctionnement est confié à un chef de placer (diouratigui) connu pour son expérience en matière d’exploitation aurifère. En vérité, l’appartenance ethnique influe sur ce choix. Car il porte toujours sur les Cissokho, qui incarnent à la fois le pouvoir politique et celui de l’exploitation de l’or. Donc, le chef n’est pas systématiquement celui qui a découvert la mine ; ce qui, en revanche, est le cas au Mali. Dans ce pays, l’autorisation d’ouverture du site est donnée non pas par le chef de village mais par le propriétaire du terrain. Tout nouveau orpailleur qui souhaite exploiter devra solliciter l’aval du chef de village et du diouratigui (Kébé I., 1999 : 33 ; Panella C., 2007 : 354). C’est à dernier qu’il incombe de consulter les marabouts et féticheurs pour

42 Par exemple, la fuite d’un orpailleur d’un site ou son éloignement sans autorisation sont comptés parmi les fautes graves.

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régler la question des sacrifices à faire visant à satisfaire les esprits43. Aussi, afin d’éviter des conflits, le diouratigui est la seule autorité habilitée à indiquer l’emplacement d’un nouveau puits. Il est assisté dans sa mission par un groupe d’orpailleurs qui assurent le respect des règles du site (règlement des conflits, délimitation des galeries, définition des amendes à payer, application de la réglementation traditionnelle44, l’arbitrage des rapports avec l’administration publique, etc.). Ils forment en fait la police des mines (tomboulma en langue Malinké). La police d’un dioura peut compter jusqu’à 30 tomboulmas en fonction des sites. Leur choix est déterminé par leur expérience dans l’orpaillage, leur impartialité, leur intégrité, etc. (Kébé I., 1999 : 36).

Précisons qu’en Guinée, les règles de l’orpaillage ont légèrement changé depuis 1992 ; elles apportent plus de bénéfices aux villages. Car le damantigui (l’équivalent du

diouratigui), désigné parmi les membres de la famille fondatrice du village, est secondé

par un comité d’orpaillage du village. Celui-ci est responsable de la délimitation du site en unités de surfaces, attribuées après paiement d’un droit d’exploitation de 25 000 FG, soit environ 5 dollars. Quant aux acheteurs d’or, le comité exige qu’ils paient 3 000 FG par semaine. La même taxe est demandée pour les commerçants de produits alimentaires et autres articles qui exercent autour du site. À l’échelle villageoise, ces prélèvements ont permis la réalisation d’infrastructures (par exemple, l’adduction d’eau de Kintinian, le lycée de Fatoya, etc.).

Parallèlement à cette organisation institutionnelle autour du diouratigui, du

tomboulma et du comité d’orpaillage villageois pour le cas des sites étudiés en Guinée,

l’activité d’orpaillage est également parfaitement construite à l’échelle des puits, où elle implique d’autres groupes d’acteurs. Chaque puits est dirigé par un chef appelé datigo, autour de qui peuvent se structurer quatre types d’exploitation : celle dite familiale ; celle impliquant des personnes non liées par les liens de parenté ; celle dite associative ; et enfin celle qui se fait sous forme de prestation de services. Il convient de préciser que dans chacun des cas, des commerçants peuvent être plus ou moins impliqués.

43 Voir Panella C, (2007 : 354) concernant la diversité des sacrifices en fonction des pays : coq blanc à crête rouge pour le Sénégal ; animal roux (coq, bouc, taureau) pour la Guinée ; mouton, poulets en Côte d’Ivoire. Ces sacrifices sont censés assurés aux orpailleurs la protection contre les mauvais esprits.

44 La règlementation traditionnelle interdit d’avoir, sur les sites d’exploitation, des rapports sexuels, de voler, d’emmener des chiens et de travailler le lundi. Car cela peut provoquer la colères des esprits.

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Lorsque l’orpaillage se pratique au niveau familial, les revenus qui en sont issus reviennent au chef de famille, qui se charge de leur gestion au bénéfice de tous les autres membres. Quand elle implique un groupe de personnes non liées par les attaches familiales, les gains sont partagés à la fin de la journée entre les membres. L’activité peut également être le fait d’associations ou de coopératives. Cette forme d’exploitation, apparue à la fin des années 1990, peut mobiliser jusqu’à 50 personnes qui joignent leur force pour exploiter un site. Les bénéfices de leurs efforts physiques sont souvent essentiellement réinvestis dans des projets communs ou des initiatives leur permettant d’accéder à la création d’une petite entreprise minière. Enfin, l’orpaillage peut également se pratiquer sous forme de prestation de service. Si tel est le cas, il s’organise autour du propriétaire de la mine, qui prend en charge toutes les dépenses liées aux besoins (alimentaires et matériels) de l’exploitation, et de ses travailleurs (Keita S., 2001 : 16 ; Panella C., 2007 : 355).

Quel que soit le type d’exploitation concerné, l’équipe responsable d’un puits est divisée en groupes de creuseurs, de tireurs et de laveurs. Les creuseurs se chargent de creuser les trous. Ils sont constitués d’éléments expérimentés ; un atout indispensable pour le forage des galeries. Les tireurs s’occupent de faire remonter le minerai du fond du puits, de le transporter sur le site de traitement et de le broyer. Ils sont généralement composés de vieux, de femmes et de jeunes peu expérimentés. Quant aux laveurs, ce sont souvent des femmes. Elles sont rémunérées en nature (minerai). Elles reçoivent une calebasse pour trois calebasses de minerai traitées (Diallo L., 2006 : 43 ; Panella C., 2007 : 357).

En ce qui concerne le partage des bénéfices de l’exploitation, il est également différent selon les régions et les choix des équipes. Dans certains cas, c’est le minerai qui est directement partagé entre les acteurs concernés. Dans d’autres, le partage ne se fait qu’après la vente de l’or. Donc ce sont des revenus monétaires qui sont distribués. Mais dans tous les cas, le partage suit la hiérarchie qui caractérise l’organisation sociale de l’activité elle-même (voir exemple ci-dessous).

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Tableau 5 : le partage des minerais pour chaque puits à Sabodala

Acteurs Nombre de tas

Chef de village 1

Chef de dioura 1

Propriétaire 3

Chef d’équipe 2

Mineurs 1 par personne

Policiers 1 par personnes

Gardiens 1 à partager

Boiseur 1

Forgeron 1

Source : enquête Diallo L, 2006 : 44.

Si les règles sociales et éthiques qui encadrent l’extraction de l’or permettent de relativiser l’image anarchique que renvoient les sites, la production quant à elle souffre d’insuffisance de moyens.

2) Une activité importante mais handicapée par des moyens faibles

L’orpaillage souffre de manque crucial de moyens techniques. Les orpailleurs investissent très rarement dans du matériel lourd et continuent de faire usage de méthodes peu rentables. L’étude de Keita S (2001) montre que les outils utilisés sont rudimentaires (pelles, pics, pioches, seaux, calebasses, pièces métalliques diverses, bouteilles de gaz sciées, etc). Ils ne peuvent permettre d’accéder qu’à un type de minerai peu profond. Il s’agit des gîtes détritiques de type alluvionnaire ou éluvionnaire, mais également des gîtes primaires (latérite, saprolite, zone oxydée). Pour les gisements filoniens, la technique consiste à creuser des puits verticaux aboutissant à une forme de ligne. L’accès au filon se fait ensuite par un système de galeries latérales parfois longues de plusieurs centaines de mètres. Dans ces mines, des techniques de boisement et de soutènement sont utilisées afin de limiter les éboulements. Pour des placers relativement pauvres, cette méthode permet d’obtenir des teneurs tout à fait intéressantes. À l’exception de l’usage de motopompes qui doivent tirer l’eau des puits, les sites mécanisés, c'est-à-dire disposant de concasseurs et broyeurs, restent encore rares. Le broyage manuel du minerai quartzeux reste la

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technique prédominante. Il correspond à la partie la plus difficile du traitement. Le quartz aurifère est concassé puis pilonné à la barre d’acier.

Photo 2 : découverte d’un nouveau dioura45

Cette photo montre un site d’orpaillage (situé entre les villages de Sabodala et et Bambaraya au Sénégal) qui venait juste d’être découvert au moment de notre visite en 2008. Cette ligne de puits devra ensuite évoluer en système de galerie. La profondeur des puits est d’environ 20 m, sachant que certains peuvent aller jusqu’à 40 ou 60 mètres.

Photo 3 : orpailleurs travaillant dans un puits boisé à Sabodala

Cette photo montre la technique de boisage, qui sert à consolider le puits afin d’éviter son effondrement. Elle sert également d’escalier aux travailleurs. Elle a été développée en Guinée avant d’être importée au Sénégal et au Mali.

Photo 4 : quartz aurifère

Les morceaux de quartz issus du filon seront répartis en tas correspondant aux nombres de personnes qui forment l’équipe de mineurs, ainsi qu’aux autorités coutumières impliquées dans l’exploitation artisanale. Si le partage se fait par tirage au sort, le nombre de parts obtenues est fonction de la position qu’on occupe dans la hiérarchie. Par exemple, chaque trou exploité, le propriétaire du dioura perçoit

trois tas de pierres ; deux pour le chef de trou ; et un pour l’équipe des orpailleurs qui y travaille.

45 Certaines photos présentent des anomalies au niveau de la date. Celle qui s’y affiche n’est pas exacte. C’est lié à un problème de réglage.

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Photo 5 : transformation du quartz en poudre

Les morceaux de quartz seront ensuite broyés avec des bars de fer ; ce qui donnera une poudre qui sera tamisée puis lavée afin d’extraire l’or.

Source : clichés 2-4-5 Mbodj F, 2008 ; cliché 3 Dia N, 2006.

En revanche, les machines de broyage permettent de gagner beaucoup de temps, en ce sens qu’elles peuvent broyer 200 kg de minerai par heure, tandis que le résultat de l’exercice manuel ne permet pas de dépasser 50 kg par homme et par jour. Le broyage à la machine fait également sortir mieux l’or et limite les pertes qui, avec le broyage manuel, s’estiment entre 10 et 30% selon le type de minerai (Keita S., 2001 : 18-21).

Ainsi, les orpailleurs peinent à assurer une extraction maximale de l’or. Ils doivent également faire face au problème de l’eau, qui pose à nouveau la question de l’équipement moderne. Car dans le cas notamment des exploitations filoniennes, les puits atteignent la nappe phréatique. Or, tous les chantiers ne disposent pas de pompes. La location de pompes s’impose ou le séchage manuel des puits ; ce qui représente une perte de temps importante et réduit en conséquence la productivité.

Une des stratégies d’accroissement des rendements de l’orpaillage repose sur l’extension des espaces à exploiter. Les orpailleurs misent sur la sélection de sites à fortes teneurs ainsi qu’une extraction expéditive, quitte à laisser une empreinte environnementale assez marquée qui ne correspond pas à un réel contrôle des territoires.

3) Empreinte environnementale forte, emprise territoriale faible

L’expression « ruée vers l’or » est appropriée pour décrire les mouvements d’attraction et de répulsion qui caractérisent les sites d’orpaillage du Bouré-Bambouk. Les modes opératoires des orpailleurs expriment le caractère aléatoire de leur calendrier ainsi que la brièveté des cycles (entre le moment où le site est découvert et celui où il est délaissé). Une étude réalisée dans la communauté rurale de Khossanto (Diallo L., 2006 :

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35-37) en identifie trois. Le premier moment du cycle correspond à la découverte du métal précieux sur un site. Au cours de cette étape, le nombre d’orpailleurs est généralement limité aux habitants du village dans lequel il se trouve, et l’extraction ne porte presque pas d’enjeux conflictuels. Puis, sous l’effet de la rumeur, dépassant les frontières villageoises, communales et même nationales, les flux d’arrivée s’amplifient. Ils se traduisent par une croissance anarchique et fulgurante de la population qui, en une semaine, peut passer de 10 à plus de 1000 personnes (Boulet J., 2001 : 129). Le second cycle l’exploitation est très intense et plus organisée, selon les règles évoquées dans les pages précédentes. Le nombre de puits d’orpaillage augmente considérablement et les nouveaux arrivants créent des habitats précaires, ne servant que de dortoirs en marge du village d’accueil. Enfin, la troisième phase correspond à un abandon progressif du site au profit d’un nouveau vers lequel les chercheurs du précieux métal se tournent.