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spatiales liées à l’extraction de l’or

Carte 25 capital foncier en réduction face aux besoins en terres de la SEMOS

Autour de Sadiola aussi, les cultures vivrières, qui étaient les seules à persister encore depuis plusieurs dizaines d’années, sont (à certains endroits) affectées par les activités de la SEMOS. Nous ne disposons pas de chiffres sur le nombre de champs expropriés. Mais la superficie du barrage à boue est de 320 hectares. Or, cet espace constituait la zone de culture de cinq villages (Sadiola, Nétéko, Farabacouta, Tabakoto et Sekokoto). Elle est aujourd’hui engloutie dans le périmètre de la SEMOS et semble être à jamais impropre à l’agriculture et au pâturage. Car elle est polluée au cyanure, d’autant que le sol n’est pas tapissé par une couche imperméable. Les paysans de ces villages se plaignent d’une part de l’éloignement de leurs nouveaux champs, et d’autre part de la faible fertilité des terres.

188 Dans les trois sites étudiés, il arrive également que les sociétés affectent les moyens de production de manière indirecte ; c'est-à-dire sans les prendre des mains des paysans. Car les activités de prospection nécessitent le déblayage des terrains choisis. Or, c’est à la surface que réside la fertilité du sol. Ainsi, même si les travaux prennent fin, les paysans doivent patienter quelques temps avant que la fertilité de la terre ne soit restaurée. Tous ces cas de perte et de dégradation du capital foncier contribuent à une réduction des temps de jachère et éventuellement des rendements ; notamment dans des systèmes de production où cette stratégie restait le principal mode de fertilisation des terres.

Ces aspects négatifs de l’exploitation minière sur l’agriculture ne sont pas spécifiques aux cas sénégalais, malien, ou guinéen, mais plutôt à l’activité elle-même. D’autres pays sont également concernés et leur situation est même pire. Par exemple, concernant la mine d’Iduapriem au Ghana, 700 paysans de la région de Wassa West ont été déplacés par Anglogold Ashanti sans que la question de l’attribution d’autres terres ne soient abordée. Aujourd’hui, selon l’ONG FIAN87

, ces paysans doivent marcher jusqu’à 16 km par jour pour chercher des espaces à cultiver. En plus, les compensations ont été données plutôt sous forme d’aide alimentaire et non en argent. De même, les habitants de la zone de Samira, dans l’ouest du Niger, ont confié à l’agence IPS88

leur désarroi face à la disproportion entre les inconvénients de l’exploitation minière et ses avantages89

. Il convient de préciser que, parallèlement aux perturbations produites sur les systèmes de production agricole de nos zones d’étude, les activités extractives constituent également un facteur favorable à l’expansion du vivrier marchand.

2) Le vivrier marchand à l’heure de la dynamique minière

Les activités des entreprises minières stimulent indirectement l’économie du vivrier marchand. Cette stimulation n’est pas le fait de leur part de consommation en fruits et légumes issus du milieu local, qui reste insignifiante. Car elles préfèrent s’approvisionner depuis les capitales nationales (Dakar, Bamako, Conakry). Elle est plutôt liée à l’accroissement de la population et du pouvoir d’achat qu’elles provoquent.

87 FoodFirst international action network ou Réseau d’information et d’action pour le droit à se nourrir.

88 IPS signifie Inter press service.

89 Ghana : l’or prive les habitants du droit à la vie

189 En effet, à Siguiri, autant l’exploitation industrielle affecte les superficies agricoles, autant elle revigore l’arboriculture. Car les paysans sont en permanence informés de l’orientation géographique des activités de la SAG sur le moyen terme. En fonction des anticipations, des centaines de pieds d’anacardiers sont plantés. Il s’agit de stratégies de matérialisation de leur capital foncier afin d’être compensés en cas d’opérations de déguerpissement. L’une des conséquences de cette mesure anticipative est l’extension de ce type de culture dans tout le Bouré. Les noix de cajou qui en sont issues sont commercialisées à l’échelle de la sous-préfecture de Kintinian, de la préfecture de Siguiri mais aussi vers l’Inde dont les sociétés d’exportation offrent aux producteurs les prix les plus avantageux. Il existe également à Siguiri de petites unités de transformation du fruit en jus destiné à la commercialisation.

En dehors de l’arboriculture, les activités extractives stimulent aussi la pratique du maraîchage, qui contribue également à la modification de l’organisation traditionnelle des activités selon les genres (homme/femme). Il s’est développé dans les environs immédiats de Siguiri mais aussi dans d’autres villages, parfois situés à des dizaines de km sur la route (Bamako-Kankan). Certains de ces villages ont une longue tradition de maraîchage. Mais jusque là, cette pratique était réservée aux femmes. La production était peu commercialisée et était destinée à la consommation familiale ou à de petits besoins monétaires. Aujourd’hui, les hommes aussi se sont organisés en associations et le pratiquent, vue l’intérêt qu’elle représente.

À Sadiola, ce sont surtout les allochtones90 qui ont saisi l’opportunité de la pratique du maraîchage, en se lançant dans un processus d’aménagement de terres non utilisées par les autochtones. En revanche, ils n’ont pas tous le même statut par rapport à cette activité. Car ils peuvent être classés en trois catégories. La première est constituée par ceux qui étaient venus chercher du travail à la mine et qui ne l’ont pas obtenu. Ils se sont alors engagés dans le maraîchage en tant qu’ouvriers agricoles. La deuxième catégorie est celle de ceux qui n’ont pas décroché un emploi mais ont réussi à obtenir une petite parcelle pour eux mêmes. Ils y travaillent pour leur propre compte. Quant à la troisième catégorie, elle est constituée par ceux que l’on peut qualifier de travailleurs-entrepreneurs. Il s’agit des employés de la mine qui, tout en conservant leur fonction,

90 Dans le cas du Mali et de l’Afrique rurale généralement, l’expression « étranger » ou dounan englobe même le compatriote originaire d’une autre région du pays (voir Mbodj F B, 2006).

190 disposent d’une parcelle et recrutent une main-d’œuvre qui travaille pour eux. Ils n’assurent que le rôle de superviseurs. C’est le cas de Broulaye Samaké.

Photo 17 : quelques jardins maraîchers « d’étrangers » à Sadiola.

Cliché de F B Mbodj, février 2008.

Ces jardins maraîchers se localisent entre le quartier des autochtones et les dunes de stériles. On voit sur cette photo Broulaye Samaké avec quelques uns de ses employés. Derrière eux se trouvent les dunes de stériles de la SEMOS. Samaké cultive du chou pommé, de l’oignon, de l’aubergine, du maïs, de la salade, du concombre, du melon, de la pastèque, de la tomate. La photo située sur la gauche montre le bassin de rétention construit par la SEMOS afin de permettre aux maraîchers d’être approvisionnés en eau.

Portrait d’un maraîcher travaillant à la SEMOS

Agé de 47 ans, Broulaye Samaké est originaire de Sikasso et travaille à la SEMOS depuis 1995 avec un contrat permanent. En 2001, la société construit un barrage afin de stimuler le développement du maraîchage à Sadiola. Mais contre toute attente, les populations refusent de répondre aux appels concernant la parcellisation de la zone ciblée. Plusieurs facteurs ont concouru à les démotiver : leur méconnaissance du maraîchage ; l’abondance des arbres à couper ; et l’existence de plusieurs dunes qu’il fallait aplanir. Des « étrangers » comme Samaké ont décidé d’entreprendre cet investissement physique. En effet, avant d’arriver à Sadiola, il avait accumulé un véritable capital professionnel dans le maraîchage. Car cela avait été son métier à Wélésébougou, en banlieue bamakoise. Ainsi, malgré son emploi à la mine, il n’a pas hésité à s’y consacrer,

191 dès qu’il s’est rendu compte que toutes les conditions étaient réunies (présence d’eau ; qualité des terres ; mais surtout présence du marché de Sadiola capable de consommer sa production).

Disposant d’une parcelle d’environ 1,5 hectare, Samaké a contracté une dette de 1,5 millions FCFA auprès de la « Bank of Africa » ; une somme qui lui a permis de financer son activité. Celle-ci y est pratiquée pendant toute l’année. En saison sèche, il cultive de la tomate, du chou pommé, des oignons, de l’aubergine, de la salade etc. Pendant l’hivernage, il fait du maïs, du concombre, de la pastèque et des melons. Aujourd’hui, Samaké emploie 10 personnes et peut récolter jusqu’à 1 tonne de tomate par jour (en période de pleine production). C’est valable aussi pour quelques unes des autres spéculations. La moitié de cette production est achetée par des habitants de Sadiola, via des femmes marchandes qui viennent chercher les produits sur place, tandis que le reste est acheminé vers le marché de Kayes.

Samaké nourrit le projet d’étendre ses activités à l’élevage. Il l’a d’ailleurs commencé. Mais les choses n’étaient encore qu’à une étape embryonnaire en février 2008.

Source : entretien avec Broulaye Samaké. Sadiola, février 2008.

Sadiola n’est plus dépendante de la ville de Kayes. Elle est autosuffisante en produits maraîchers et approvisionne tous ses villages environnants.

Toutefois, la réussite des « allochtones » dans ce secteur ne manque pas de susciter des tensions. Les autochtones réclament aujourd’hui que le PADI procède officiellement à une reparcellisation de la superficie qu’utilisent les dounan. En fait, ce qu’ils souhaitent, c’est que ces derniers leur cèdent une partie de leurs terres.

Autant les relations entre mines et agriculture sont ambivalentes, autant le sont les liens entre exploitation industrielle et orpaillage. D’une part, cette activité souffre d’un manque de considération de la part des administrations nationales et est menacée par la toute puissance des compagnies minières. D’autre part, elle est stimulée par les mutations que celles-ci entrainent.

192 3) Exploitation industrielle et dynamisme de l’orpaillage

Les activités minières ont quelques effets dynamisants sur le secteur orpaillage. Certes, les phénomènes de ruées vers les sites d’orpaillage constituent une réponse pragmatique à des situations de crise conjoncturelle. Car si l’on revisite l’histoire récente de l’exploitation artisanale en Afrique de l’ouest, on s’aperçoit que ce n’est que durant les périodes de sécheresses, notamment celles des années 1980, qu’elle revêt une certaine ampleur ; même si cette activité a toujours occupé une position de choix dans le passé économique ainsi que dans le patrimoine culturel et social de certains pays de la sous région, notamment le Mali et la Guinée. Aujourd’hui, le dynamisme de l’orpaillage dans la préfecture de Siguiri n’est sans doute pas sans lien avec la crise cotonnière que traverse cette zone. Par exemple, l’étude de Gerardeaux E., Kourouma M., (1998 : 61) montre que « de 1993 à 1995, on assiste à un repli de la culture en raison d’une politique de prix peu

incitative. Les acteurs se tournent vers les cultures vivrières de rente et vers l’orpaillage […] ».

Pour autant, les phénomènes de ruées sont en partie attribuables à la présence de l’exploitation de type industriel. Car même si les relations entre orpailleurs et sociétés minières sont difficiles (nous y reviendrons dans la troisième partie de cette thèse), l’activité des entreprises contribue depuis quelques années à stimuler l’orpaillage. En effet, elle a massivement favorisé l’arrivée de nouvelles populations migrantes. Mais comme tous les migrants ne réussissent pas à trouver du travail à la mine, les activités annexes disponibles sur place servent de moyens de subsistance. Dans le cas du Bouré, l’extraction traditionnelle est l’activité dans laquelle s’investissent la plupart des nouveaux arrivants.

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Photo 18 : sites d’orpaillage (Balato et Kintinian) et activités commerciales autour (Guinée).

Cliché de F B Mbodj, avril 2008.

Les deux sites d’orpaillage (sur les photos ci-dessus) ne sont séparés que par environ 5 Km. Le nombre de personnes qui s’y rassemblent renseigne sur l’importance de cette activité qui, par ailleurs, stimule l’économie commerciale. Car tout autour des sites s’installent plusieurs dizaines de vendeurs de marchandises de toute nature. Sur ces photos apparaissent également à l’arrière-plan des dunes de stériles. Il s’agit des sites d’exploitation de la SAG qui, auparavant, faisaient partie des territoires des orpailleurs.

Toutefois, si la forte présence des migrants miniers est favorable à l’intensification de l’exploitation artisanale, force est de constater que cette recrudescence est entretenue par différents autres facteurs tels que la hausse du cours de l’or (2008), l’existence de fonderies dans la ville de Siguiri, mais aussi la restructuration des flux de commercialisation de l’or issu de l’orpaillage.

En effet, il existe un facteur attractif que les sociétés minières partagent avec les orpailleurs et qui justifie la ruée vers les dioura : il s’agit du cours mondial de l’or, devenu très intéressant. En guise d’exemple, au mois d’avril 2008, le gramme de 22 carats coûte 11 500 FCFA (115 000 FG ; environ 17 euros) ; le 18 carats coûte 9500 FCFA. Il s’agit en fait d’une répercussion de la hausse du cours de l’or qui, après la crise de 2008, a conservé des prix élevés tandis que d’autres matières premières (fer, cuivre, etc.) ont vu leur valeur en baisse. Par exemple, au mois de mai 2008, le prix de l’once était de plus de 900 dollars, alors que dix ans plus tôt (en 1998), il n’était que d’environ 300 dollars.

194 Ainsi, entre 2001 et 2008, cinq fonderies d’or ont ouvert leurs portes dans la ville de Siguiri. Leur travail augmente les marges de bénéfices des commerçants. Car, auparavant, ceux-ci étaient tenus de négocier leurs produits à un prix unique avec la Banque centrale de Conakry, qui se chargeait d’effectuer le travail de fonte et de différenciation des carats. Or, aujourd’hui, avant d’être acheminé, le produit est testé, fondu, classé en carats (18, 22, 24), puis transporté sous forme de lingots. Cette petite transformation dans les zones de production permet d’avoir un prix différentiel et d’accroitre les bénéfices des commerçants.

En plus de ces différents facteurs, certains bouleversements politiques en Guinée (surtout depuis 2007), associés à la proximité d’un marché d’écoulement important (Bamako) constituent également un élément important dans l’évolution de l’orpaillage. Car jusqu’à cette date, l’essentiel des commerçants vendait leur produit à la Banque centrale, malgré la lenteur de la procédure d’écoulement qui pouvait prendre des jours. Mais cette banque entretiendrait des liens avec certains ministres. Or, en 2007, il y a eu remaniement au sein du gouvernement qui a fait perdre à quelques uns d’entre eux leurs postes. Cet évènement politique a partiellement réorienté les flux en faveur du marché de Bamako. Celui-ci est très apprécié par les commerçants en raison de la rapidité des opérations de vente.

Tous ces nouveaux éléments se traduisent par l’augmentation des quantités d’or qui sortent de Siguiri. Selon le responsable de la plus grande fonderie de Siguiri, son établissement fait fondre entre 45 et 65 kg d’or chaque mardi et chaque mercredi91

. Le reste de la semaine, les quantités fondues par jour se situent entre 20 et 35 kg. Ce qui signifie que cette seule entreprise fait fondre en moyenne 250 kg d’or par semaine. Or, la ville compte 5 fonderies. Le volume d’or fondu journalièrement par la plus petite d’entre elles est en moyenne de 15 kg, soit 90 kg par semaine. Ces quantités ne prennent pas en compte celles qui proviennent des zones aurifères d’autres préfectures de la haute Guinée (Kouroussa et Mandiana), ainsi que celles qui sont directement drainées vers les grands marchés et les marchés hebdomadaires, sans passer par les fonderies.

91 La vente de l’or par les orpailleurs se fait le lundi (spécifiquement réservé à cela) après 6 jours successifs de travail dans les placers. C’est pour cette raison que la fonte se déroule les mardis et mercredis.

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