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spatiales liées à l’extraction de l’or

Carte 16 : flux de l’or entre et depuis les marchés de Bamako et de Siguiri

II- Quelles influences économico-spatiales et démographiques dans les régions de production ?

Même si la redistribution de leurs retombées à l’échelle individuelle reste limitée, les activités minières sont à l’origine de transformations conjoncturelles et structurelles des espaces d’accueil. Parmi celles-ci figurent les afflux démographiques et l’intégration des zones minières à une forme de modernité. Il s’agit ici de décrire les effets conjoncturels de l’exploitation minière sur les espaces enclavés étudiés. Ceux-ci se manifestent de deux manières : d’abord par des allocations de fonds destinés aux communautés riveraines pour l’amélioration de leurs équipement en infrastructures socio-économiques. Ils s’expriment également par des mutations démographiques, économico-spatiales, par l’accroissement du pouvoir d’achat, le développement des services, la maitrise des distances, qui contribuent elles aussi à des formes d’intégration économique. Si les transformations qu’entrainent les mines sont importantes à Sadiola et à Siguiri, à Sabodala (Sénégal), elles restent encore embryonnaires.

1) Les effets des contributions des sociétés au développement à l’échelle locale

Les ressources financières issues des entreprises minières sont considérées par les collectivités locales qui les abritent comme un avantage inespéré dans le cadre de la construction d’infrastructures socio-économiques de bases (écoles, postes de santé, foyer de jeunes, etc.). Car tout développement (local, régional, rural ou urbain) nécessite des choix pouvant freiner ou stimuler le dynamisme d’un territoire. Pour produire les effets attendus, ces choix supposent des moyens d’action favorables à la mise en place d’équipements et d’infrastructures, de formation, de soutien aux innovations et aux transferts de technologies, de création d’espaces protégés, etc. (Brunet R et al., 2006 : 29). Or, dans le cadre des régions concernées par cette étude, le processus de décentralisation administrative est, certes, effectif et que les collectivités locales ont élaboré des plans de développement local. Mais les moyens financiers manquent souvent. Ou si tel est le cas, ils restent très insuffisants. Dans certains cas, les collectivités locales doivent se contenter d’autres sources de revenus pour compenser les déficits. Il s’agit souvent des recettes issues des taxes locales et des appuis d’organismes de

151 développement internationaux ou nationaux (dépendants de fonds étrangers). D’où l’importance des compensations versées par les sociétés. Toutefois, nous verrons plus loin que leur gestion révèle des incohérences. Celles-ci sont symptomatiques des difficultés observées dans la définition des responsabilités des acteurs.

Dans chacune des zones de production étudiées, des fonds sociaux sont alimentés par les entreprises. Dans la commune de Sadiola, il s’agit de 5000 dollars mensuel que versent la SEMOS depuis 1997 et Yatéla-SA depuis 2000. En 2004, les mensualités ont augmenté de 3000 dollars ; soit désormais 8000 dollars pour chacune d’elle, ou 192 000 dollars annuel pour les deux mines. À cela s’ajoutent les montants qui proviennent d’une taxe issue des titres miniers, appelée patente. Après une période d’exonération de 5 ans, la commune de Sadiola a perçu près de 2 millions de dollars (1 948 000 $US) entre 1997 et 2005 (Campbell et al., 2007 : 57-58).

À Siguiri, les allocations de fonds sociaux correspondent à 0,4% du chiffre d’affaires annuel de la SAG, cela représente environ 600 000 dollars en 2007, tandis que le budget de la sous-préfecture de Siguiri est d’environ 88 000 dollars la même année. À Sabodala, la MDL (Minéral Deposit Limited) donne 425 000 dollars par an destinés au développement à l’échelle locale, soit presque cinq fois plus que pour la mine de Sadiola.

Ces fonds ont permis la réalisation d’un certain nombre d’infrastructures socio-économiques (écoles, forages et puits, postes de santé, banques de céréales, formations pour l’alphabétisation, mosquées, etc.). Toutefois, trois problèmes se posent dans leur gestion.

Premièrement, la répartition géographique de ces investissements est très concentrée. Ils portent souvent uniquement sur les villages qui se situent dans les périmètres d’exploitation des sociétés, ce qui entraîne une inégalité spatiale avec les autres villages de la même collectivité locale. Par exemple, sur les 46 villages que compte la commune de Sadiola, seuls 17 sont concernés : huit villages de la SEMOS ; sept de Yatéla SA ; et deux autres (Kakadian et Babala) récemment identifiés comme villages-tests dans le cadre du PADI (Plan d’action pour le développement intégré)67.

67 Cette structure est fonctionnelle depuis 2005. Elle se charge de la gestion des fonds que la SEMOS alloue aux populations riveraines.

152 Le deuxième problème est que, même si les ressources versées aux communautés riveraines des mines paraissent considérables comparés aux budgets des communes, elles restent très faibles au regard des bénéfices des sociétés. Par exemple, sur les 1207 milliards de FCFA de chiffres d’affaires de la SEMOS entre 1997 et 2007, la part qui revient aux populations locales, à travers les investissements sociaux, n’est que de 9 milliards, soit 0,75%. L’essentiel des bénéfices va à l’État et aux sociétés.

Tableau 9 : répartition du chiffre d’affaires de la SEMOS (1997-2007).

Source : SEMOS, 2008

Le troisième problème est que les investissements sont peu orientés vers des perspectives durables, dans la mesure où les activités productives, capables de favoriser l’autonomie financière des riverains après la phase d’exploitation, y sont faiblement considérées. Ils sont essentiellement centrés sur la résolution de problèmes ponctuels et non sur des projets économiques à long terme.

À côté de ces différentes contributions, l’industrie minière est également à l’origine d’autres effets dans les zones où se déroulent ses opérations ; des effets qui transforment les espaces enclavés concernés.

Dépenses et investissements

621 milliards 51,45%

État malien 242 milliards 20,05% Anglogold

Iamgold et IFC

157 milliards 13,01%

Fournisseurs 162 milliards 13,42% Salaires locaux 16 milliards 1,33% Investissements sociaux 9 milliards 0,75% Total 1207 milliards 100,00%

153 2) Exploitation minière et intégration (démographique, spatiale, et à la modernité)

2-1 Mines et migrations : quelles implications économico-sociales à Sadiola ?

2-1-1 Flux migratoires et croissance démographique

Depuis la fin des années 1990, dans le cadre du renouveau minier, de nouvelles tendances démographiques semblent se dessiner dans les régions concernées par cette étude. Elles posent des enjeux majeurs de développement économique et d’intégration dans le tissu urbain national, mais aussi de problèmes qui peuvent découler de ces évolutions.

La démographie est un élément éloquent dans l’analyse des évolutions socio-économiques d’un territoire. Elle exprime sa dimension attractive ou répulsive grâce aux opportunités économiques qu’il porte ou au contraire en raison de conditions non favorables à l’amélioration des conditions de vie (sécheresses, peu d’emplois, etc.). L’Afrique de l’ouest constitue un espace caractérisé par de grandes mobilités démographiques, qui témoignant de ces types de dynamiques (Atlas de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, 2009). Dans ces évolutions, les régions concernées par la présente étude n’étaient considérées que comme des espaces de transitions. Elles n’étaient pas en mesure de réunir les conditions de stabilisation des flux de populations. Elles étaient parfois des zones de départ, parfois des zones d’accueil temporaire. Aujourd’hui, des changements sont en train s’opérer. D’importantes transformations démographiques et spatiales sont à l’œuvre, notamment à Sadiola et à Siguiri. Au Sénégal, elles restent encore à un niveau embryonnaire ; l’exploitation n’en est encore qu’à ses débuts.

Avant l’installation de la SEMOS, Sadiola n’était qu’un petit village enclavé. En dehors de l’agriculture vivrière et de l’orpaillage, les habitants de la commune ne survivaient que grâce aux revenus de l’émigration. N’étant situé qu’à 75 km de Kayes, le village était pourtant très mal desservi. Car les transports en commun, fréquents entre Kayes et Kéniéba, le contournaient en passant plutôt par la commune de Bafoulabé. Ainsi, il n’y avait pas de navette régulière et le village pouvait rester une semaine sans qu’un véhicule ne le relie à la capitale régionale.

154 Aujourd’hui, ce village est plus ouvert, à la fois sur Kayes et Bamako, et il s’est considérablement agrandi. Alors qu’en 1976 (où il était chef-lieu d’arrondissement) sa population n’était que de 133 personnes, elle se chiffre à 2060 en 1998. En 2007, soit sur une période de 9 années, elle a quintuplé. Car la sous-préfecture l’a estimée à 10 000 habitants, tandis que l’ensemble de la commune abrite 21 000 habitants68

. Cette évolution est tributaire de la combinaison de deux principaux facteurs. Le premier correspond aux emplois créés par les mines de Sadiola et de Yatela. En janvier 2008, ils étaient de 2873 (2745 nationaux et 128 expatriés). Cet effectif comprend près de 200 personnes issues des 13 GIE créées à Sadiola et Yatela, dans le cadre des prestations de service à destination des entreprises (voir tableau ci-dessous).

Tableau 10 : effectif de GIE locales travaillant en contrat avec les compagnies minières.

GIE Domaines d’intervention Effectifs Compagnie

1-Vigilance-sadiola patrouille-maintenance-desherbage

12 Semos

2-Balimaya gardiennage-grillage 53 Semos

3-Vert III pepiniere 5 Semos

4-Djiguiya broyage de bois et

fabrication de compost

13 Semos

5-Benkadi gardiennage, patrouille 67 Yatela

6-GIE Neteko froid, plomberie 8 Semos

7-EFID froid, plomberie 4 Semos

8-Daba cly menuiserie, maçon, peinture 4 Semos

9-Sekou diakite electricite 5 Semos

10-Setic administration 1 Semos

11-Souley doumbia menuiserie 2 Semos

12-Saniya nettoyage 15 Semos

13-Sadiola vert jardinage et entretien des points verts

9 Semos

total 198

Source : atelier de concertation SEMOS, 2009.

L’autre facteur explicatif de cette dynamique est à considérer avec la vague de migration provoquée par les activités extractives ; soit pour la recherche d’emplois, soit pour les affaires (commerce et autres).

68 Selon le recensement général de 1976, la taille de la population de l’ensemble de la commune (46 villages) était de 12 400 habitants. Au recensement général de 1998, elle était de 19 400 personnes. Quant aux données de 2007, elles sont fournies par la sous-préfecture, qui estime la population de la commune à 21 000 personnes, dont la moitié pour Sadiola-village.

155 Toutefois, cette forte et brusque croissance démographique n’est pas sans implications en termes de tensions sociales et territoriales à l’échelle villageoise. Celles-ci renseignent sur les difficultés que peut soulever l’intégration d’une entreprise industrielle dans un système local et rural.

2-1-2 Tension territoriale et sociale entre migrants des mines et autochtones

À Sadiola, deux entités territoriales se sont formées aujourd’hui. L’une est habitée par ce qu’on appelle communément les dougoulin (les gens du village ou les autochtones en langue malinké), l’autre est occupée par les Dounan (les étrangers ou allochtones). La séparation géographique entre ces deux groupes est marquée par une colline ; ce qui fait qu’on est tenté de l’attribuer à la volonté de la nature. En vérité, elle relève plutôt d’un choix des dougoulin.

Une partie du quartier des dougoulin est coincé entre les dunes de stériles de la SEMOS à l’est et la colline à l’ouest. La plus grande partie des maisons sont en dur, contrairement au quartier des

dounan. Elles ont été construites par la

société minière.

Dunes de stériles de la SEMOS.

Flan-est de la colline

156

Photo 10 : quartier des dounan à Sadiola.

Cliché Faty B MBODJ, février 2008.

Pour les besoins de la mine, les autochtones ont dû être délogés de leur ancien village vers celui qu’ils occupent actuellement. Au cours de cette opération, ils ont exprimé le vœu de ne pas être mélangés aux nouveaux arrivants. Ils ont préféré être confinés dans un espace étroit, coincé entre une colline à l’ouest et les dépôts de stériles provenant de la mine à l’est, et régulièrement envahi par les poussières issues des chantiers. Ce choix est souvent interprété par les migrants comme de la xénophobie, tandis que les autochtones mettent en avant la protection de leurs mœurs, de leurs femmes et de leurs enfants, par rapport aux bouleversements que les mines entraineront.

Mais on peut également voir dans ce comportement une stratégie de revendication de leur position d’ayants droit légitimes face aux éventuelles retombées économiques de la mine, ce qui leur permet d’exiger la construction d’infrastructures économiques spécifiques. Ces types de réactions identitaires sont également identifiables dans beaucoup de pays miniers (Brésil, Australie, Canada, etc.), où l’exploitation minière a causé parfois des conduites violentes de la part des habitants autochtones (les Indiens pour le Brésil, les Inuits pour le Canada et les Aborigènes pour l’Australie), en réaction à l’occupation de leurs territoires, dont ils ne tirent pas de profit (Iltis J., 1992, cité par Deshaies M., 2007 : 44)

Aujourd’hui, dans le village de Sadiola, les choses ne se sont pas déroulées comme l’imaginaient les autochtones. Car la séparation géographique n’a fait que

Cette photo montre des densités de populations plus importantes dans le quartier des migrants. Dans toutes les deux photos, ce n’est qu’une vue partielle des quartiers qui est montrée.

157 renforcer leur sentiment de dépit. Des expressions du genre « ce sont uniquement les

étrangers qui travaillent à la mine » ou « tous les établissements sont faits pour eux (…)69 » témoignent de leur frustration. Effectivement, faute d’espaces disponibles dans le secteur des autochtones, l’essentiel des infrastructures publiques et toutes les infrastructures privées sont construites dans la partie des allochtones (mairie, sous-préfecture, collège, détachement de la direction de la conservation de la nature, sièges du Padi et du Camide70, maison des jeunes, salle de Karaté, pharmacie et clinique modernes, marché de légumes et de viande, etc.). En revanche, le village des dougoulin, malgré ses bâtiments en dur (qui ont une plus grande valeur par rapport aux maisons des migrants), n’abrite que le centre de santé de Sadiola, l’école fondamentale, un télécentre et un dépôt de pharmacie. Ainsi, entre protectionnisme identitaire et choix d’équipements, les dynamiques d’aménagements sont en faveur de l’entité occupée par les migrants.

L’une des marques de la recomposition de la commune de Sadiola est également l’émergence de nœuds autour desquels se développent des échanges économiques. Ils constituent les points de cristallisation de la mobilité des personnes et des marchandises. Celle-ci se déroule d’une part entre ces nœuds et leurs environs immédiats, c'est-à-dire les villages situés autour, et d’autre part entre eux et d’autres capitales régionales, comme Kayes.

2-1-3 Emergence de pôles d’échanges dans la commune de Sadiola

À Sadiola, des points d’échanges commerciaux se sont formés, par ordre d’importance, autour de Sadiola, de Kroukéto et de Diankounté.

69 Entretien avec le chef de village de Sadiola, février 2008.

70 Centre d’appui à la micro-finance et au développement. C’est une association engagée par le PADI pour gérer son volet micro-finance.

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