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DE POLANYI À LA MONNAIE SOUVERAINE : RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES

Discuter la nature de la monnaie à partir des pratiques monétaires et de leur rapport à la dette ne va pas forcément de soi27. Il est en effet possible dřétudier la nature de la monnaie sans se référer outre mesure aux pratiques (voir par exemple Aglietta et Orléan, 2002) ; de même analyser les pratiques monétaires ne conduit pas nécessairement à une réflexion sur la nature du rapport monétaire (voir par exemple Zelizer, 2005). Pour comprendre les raisons dřun tel programme de recherche, il convient de revenir sur les deux contributions qui ont le plus marqué ce travail : lřœuvre de Karl Polanyi et la publication de La monnaie souveraine (Aglietta et Orléan, eds., 199828). Nous espérons que le lecteur comprendra lřintérêt de cette excursion à première vue éloignée du trueque : il est en effet difficile, du fait de lřécriture de La Grande Transformation (Polanyi, 1983 [1944]), de restituer le cadre théorique de Polanyi sans faire référence aux transformations opérées au cours du XIXe siècle, qui font lřobjet de son attention. Les pages qui suivent proposent une lecture critique succincte de la place occupée par la monnaie dans les travaux de Polanyi29, qui débouche sur lřincorporation du concept de dette, par lřintermédiaire de lřinstitutionnaliste américain John Commons (2005 [1934]). La reformulation de la pensée de Karl Polanyi à travers la dette est conforme à la lecture

27 Voir Blanc (1998) pour une démarche analogue.

28 Cet ouvrage est considéré comme le point de départ des nouvelles recherches interdisciplinaires sur la

monnaie menées en France.

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que nous faisons de La monnaie souveraine. Nous présentons en introduction cet héritage théorique car il a forgé, tout au long de cette recherche, le regard que nous avons porté sur le trueque. Il nřaurait cependant pas pu être présenté en ces termes en début de recherche : cřest en effet à travers la confrontation au trueque que la pertinence de la catégorie de dette mřest apparue.

La monnaie traverse lřœuvre de Karl Polanyi de part en part. Lřinfluence de certains de ses étudiants, devenus anthropologues de renom dans les années 1960 (tels George Dalton et Paul Bohannan), explique probablement la réception paradoxale de cet aspect de son œuvre. La plupart des chercheurs ont mis lřaccent sur les travaux publiés à la fin de sa vie, essentiellement à titre posthume, à travers son concept de special-purpose money (« monnaie à usage spécifique30 ») ou de sa distinction entre les usages dits de « paiement » et « dřéchange » (voir Bohannan, 1959 ; Dalton, 1965 ; Grierson, 1978 ; Smith, 1983 ; Moisseron, 2002 ; Poulain, 1998 ; ainsi que la critique de Meltiz, 1970). Il est vrai que Karl Polanyi a pris soin dřexpliciter et de clarifier le sens des concepts mobilisés dans ces écrits. La rédaction de La Grande Transformation (Polanyi, 1983 [1944]) est à ce titre singulière, puisque les concepts sont enchâssés dans la description historique, qui constitue elle-même une conceptualisation. Cependant, cet ouvrage présente également une analyse non dichotomique originale de la monnaie. Or de nos jours seul un groupe restreint de chercheurs sřintéresse à la dimension monétaire de cet ouvrage (voir Servet, 1993 ; Maucourant, 1993 ; 2002 et 2005 ; Chopard, 1998 ; Block, 2001 ; Blanc, 2006b ; et Hart, 2011). Dans cette perspective, il est possible de développer une critique interne au traitement de la monnaie par Karl Polanyi sur la base de lřensemble de ses écrits publiés à partir de La grande transformation31

(Polanyi, 1983 [1944] ; 1957 ; 1966 : chapitre 11 ; 1968 et 1977 : chapitres 9 et 16). Celle-ci souligne lřoriginalité et les limites de cet auteur, avant de montrer en quoi lřincorporation du concept de dette, au sens de John Commons, permet de dépasser ces contradictions et de rejoindre les thèses de La monnaie souveraine (Aglietta et Orléan, eds., 1998).

30 Cette traduction est proposée par Blanc (2006b). 31

Pour une analyse de la dimension monétaire du débat qui opposa Karl Polanyi à Ludwig Von Mises dans les années 1920, voir Maucourant (1993) et Polanyi (2008 : chapitres 15 et 16 [1922 et 1924]).

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Deux approches de la monnaie chez Karl Polanyi

Il est possible de distinguer deux approches de la monnaie chez Karl Polanyi, qui correspondent à des périodes dřécriture distinctes. La première est celle de La Grande Transformation (Polanyi, 1944 [1983]), mais la plus connue est incontestablement la seconde, qui appréhende la monnaie à partir de ses usages32. Cette dernière a été popularisée par son article « The Semantics of money-uses » (Polanyi, 1968), puis reprise et précisée dans le chapitre neuf de Livelihood of man (Polanyi, 1977) et enfin appliquée à lřétude du royaume de Dahomey (Polanyi, 1966). Cette deuxième conception de la monnaie est ouvertement érigée contre lřapproche que Polanyi qualifie de « traditionnelle », selon laquelle la monnaie est avant tout un « médium des échanges » (means of exchange). Selon cette approche, la monnaie est subordonnée au système de marché (market system) et participe à sa reproduction. Le commerce, la monnaie et les marchés partagent une essence commune puisque « le commerce est appréhendé comme le mouvement des biens sur le marché et la monnaie comme le médium des échanges [means of exchange] qui facilite ce mouvement » (Polanyi, 1977 : 77).

La critique de Karl Polanyi à lřencontre de cette approche réside dans lřobservation dřusages monétaires sans lien direct avec le marché. Il ne rejette pas lřusage de la monnaie en tant que « médium des échanges », car son antiévolutionnisme33 le conduit à estimer quřaucune société nřa probablement ignoré lřexistence de places de marché [market place] dans lesquelles des biens étaient achetés et vendus. Mais la médiation des échanges nřest quřun usage parmi dřautres : le paiement et lř« étalon de valeur34 » [standard of value]. Or ces pratiques ont été, selon Karl Polanyi, institutionnalisées séparément ; les usages en paiement et comme étalon ne découlent dès lors pas de lřusage marchand de la monnaie.

32 Le terme usage, ou emploi (use) est utilisé par Karl Polanyi. Le sens que nous lui donnons dans cette

thèse est analogue à celui des « pratiques » monétaires.

33 Il note ainsi que « Les formes dřintégration [réciprocité, redistribution et échange] ne sont pas des

Ŗstadesŗ de développement. Aucune succession dans le temps nřest sous-entendue. Plusieurs formes secondaires peuvent être présentes en même temps que la forme dominante, qui peut elle-même réapparaître après une éclipse temporaire » (Polanyi et al, 1975 [1957] : 249, cité par Servet, 2007 : 261). Voir également les citations de Kari Polanyi Levitt, la fille de Karl Polanyi, reproduit dans Servet (2007 : 258-260).

34 Polanyi inclut parfois un quatrième usage monétaire, subordonné au paiement. Son traitement nřest

cependant pas systématique et peut être considéré comme problématique. Pour une critique de son usage par Polanyi, voir Servet (1993). Pour une critique plus générale de la fonction de réserve de la monnaie, voir Blanc, 1998 : 267-269) et Courbis, Froment et Servet (1990).

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Le paiement se réfère à un registre de rationalité qui lui est propre : celui de la reproduction du corps social à travers ses obligations et hiérarchies :

« Le paiement est lřacquittement [discharge] dřune obligation au moyen de la transmission dřobjets quantifiables fonctionnant alors comme monnaie. […] La quantification, qui est associée au paiement, opérait déjà lorsque les obligations dont on sřacquittait nřavaient que peu de rapport avec les transactions économiques. Cela commence par la parenté [propinquity] du paiement et de la punition, dřune part, de lřobligation et de la culpabilité dřautre part. Cependant, aucun développement unilinéaire ne doit en être déduit. En fait, ce ne sont pas seulement la culpabilité et le délit qui sont à lřorigine de ces obligations, mais aussi, par exemple, le fait de faire la cour et le mariage ; la punition peut émaner dřautres choses que du sacré, à savoir du prestige et de la préséance ; le paiement éventuel, avec sa connotation quantitative, peut donc inclure des éléments opérationnels ne faisant pas partie de la punition en tant que telle » (Polanyi, 1968 : 18135)

Cette citation associe le paiement avec « lřéconomie des personnes » (Breton, 2002a) : il marque les statuts changeant des êtres humains et leur place dans la société, comme par exemple lorsquřil intervient lors de la naissance, de la mort, de la cour, du mariage, des compensations pour mort ou blessures, etc. Puis, quelques paragraphes plus bas (Polanyi, 1968 :182), Polanyi élargit cette définition du paiement pour y inclure la reconnaissance et la soumission envers des pouvoirs centralisés, à travers le paiement dřamendes (fine), dřimpôts (tax) et les sacrifices envers des entités supra-humaines. Ce faisant, le paiement apparaît comme un élément complexe, à même dřêtre présent dans des situations et des sociétés très diverses.

Le troisième usage monétaire présenté par Polanyi est celui « dřétalon de valeur » (standard of value). Il se réfère à tout objet ou symbole (token) impliqué dans lřévaluation des biens ou des obligations :

« La monnaie comme étalon de valeur semble plus étroitement liée à lřusage de la monnaie comme moyen dřéchange que la monnaie comme moyen de paiement […]. Le troc [barter] et le stockage des produits de base sont, en effet, les deux sources très différentes faisant naître le besoin dřun étalon. Elles nřont, à première vue, que peu de chose en commun. La première se rapproche de la transaction [marchande], la seconde de lřadministration et de la mise à disposition ; pourtant, ni lřune ni lřautre ne peuvent être mises en œuvre en lřabsence dřun quelconque étalon [yet neither

can be effectively carried out in the absence of some standard]. Comment faire sinon, sans lřaide

de calculs, pour, par exemple, échanger [barter] un lopin de terre contre un ensemble de biens

35 Dans lřensemble de cette thèse, les retranscriptions en français extraites de Polanyi (1968) sont basées sur

la traduction de ce texte publiée dans Polanyi (2008 : chapitre 12). Nous avons cependant régulièrement apporté des modifications à cette dernière.

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comprenant un char, un harnais pour les chevaux, des ânes, un harnais pour les ânes, des bœufs, de lřhuile, des vêtements et autres articles mineurs ? […]

Le même principe sřappliquait, en lřabsence dřéchange, à lřadministration de vastes palais et de magasins du temple […]. Leur gardien avait en charge des biens de subsistance dans des conditions qui, à bien des égards, requéraient une évaluation de lřimportance relative de ces biens » (Polanyi, 1968 : 184-185).

On retrouve donc lřusage de la monnaie en tant quř« étalon » dans deux configurations distinctes : lřéchange marchand et lřadministration politique et relativement centralisée de vastes territoires. En effet, toutes deux font face à la même question : comment trouver un mécanisme commun dřévaluation de biens et dřobligations hétérogènes ? Ce faisant, Polanyi reconnaît la nécessité dřintroduire un élément extérieur au monde des biens pour rendre compte des transactions. Il nřest alors pas loin dřadopter une approche non dichotomique, dans laquelle les sphères dites « réelle » et « monétaire » sont étroitement imbriquées36.

Cette approche non dichotomique apparaît en revanche clairement dans la réflexion originale quřil développe dans La Grande Transformation (voir Servet, 1993). Cette dimension est présente dès les premières pages de lřouvrage, puisque Polanyi estime que le système de marché du XIXe siècle était soutenu par trois autres institutions : lřétalon-or, lřéquilibre des puissances et lřÉtat libéral. Pour Polanyi, lřÉtat libéral nřest pas lié à la monnaie : il désigne les interventions parfois violentes de lřÉtat dans le but dřétablir les conditions institutionnelles nécessaires à lřaccroissement de la marchandisation. En revanche, lřétalon-or est avant tout une institution monétaire. Lřéquilibre des puissances lřest également, de manière indirecte, à travers le pouvoir quřil a contribué à octroyer aux banquiers internationaux (qualifiés par Polanyi de haute finance). À travers les interdépendances quřentretiennent ces deux dernières institutions avec le système de marché, lřimbrication des sphères dites « réelle » et « monétaire » apparaît tant au niveau des conditions nécessaires à lřexpansion du système de marché que dans le fonctionnement de celui-ci.

Dans le premier chapitre de La Grande Transformation, Polanyi insiste sur la nécessité de taux de change fixe afin de soutenir lřexpansion du système de marché. Les

36 Polanyi ne semble cependant pas être conscient des enjeux dřune telle rupture. En témoignent son

utilisation du terme « étalon » (standard), et non « unité de compte » ainsi que ses considérations sur lřétalon reproduites dans The livelihood of man (Polanyi, 1977 : 257).

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interdépendances entre territoires, accrues par ce dernier, nřétaient selon lui soutenables que dans ce cadre, car elles reposaient sur des investissements financiers internationaux. Or une partie non négligeable de ceux-ci étaient effectués dans une perspective de long terme37 (compagnies de chemin de fer, participation dans des consortiums, contrôle financier de compagnies coloniales, etc.). Ils impliquaient une immobilisation du capital sur le long terme, ce qui les exposait aux variations des cours des monnaies. Il était de ce fait dans lřintérêt de la haute finance de préserver lřétalon or en évitant toute guerre durable entre nations coloniales : ces dernières se seraient traduites par des dévaluations. Si celle-ci a été effectivement capable dřinfluencer en ce sens les dirigeants politiques, cřest parce que le système de la balance des pouvoirs maintenait les pouvoirs politiques dans un état de faiblesse relative les uns vis-à-vis des autres38 et que le maintien du système de lřétalon or obligeait régulièrement les États à contracter des prêts internationaux. Autrement dit, lřétalon-or et le pouvoir de la haute finance étaient selon Polanyi nécessaires à lřexpansion du système de marché.

Dans La Grande Transformation, Polanyi fait également appel à la monnaie afin de comprendre lřessence du système de marché en plaçant le concept de « marchandises fictives » au cœur de son argument. Son ouvrage traite de la tentative durant le XIXe siècle et le début du XXe dřinstitutionnaliser un système de marché qui exigeait dřétendre son champ à lřensemble des marchandises, y compris les « marchandises fictives », qui ne sont « pas produites pour être vendues » : la terre, le travail et la monnaie. Or, selon Polanyi, une telle transformation représentait une menace pour lřessence de la société car elle tendait à soumettre lřhomme, la nature et lřorganisation productive aux hasards de la fluctuation des prix. Le développement du système de marché ne pouvait donc que se trouver confronté à un contremouvement visant à extraire les marchandises fictives de lřorbite du marché. Ce contremouvement nřétait pas planifié et ne se traduisit pas par la constitution dřagencements institutionnels cohérents, mais les contradictions qui en découlèrent ont dans les années 1930 engendré la chute du système de marché ainsi que la montée du socialisme et du fascisme.

37 Les marchés financiers de court terme étaient alors majoritairement constitués de titres de dette publique. 38 En effet, selon Polanyi, le système de la balance des pouvoirs postule « que trois unités ou plus, capables

dřexercer une puissance, se comporteront toujours de façon à combiner la puissance des unités les plus faibles contre tout accroissement de la puissance chez la plus forte » (Polanyi, 1983 [1944] : 25).

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En tant que marchandise fictive, la monnaie agit donc (à travers lřétalon-or) comme vecteur de lřexpansion du système de marché, tout en révélant sa dimension utopique. Polanyi présente la « version pure » de lřétalon-or comme la modalité par laquelle la monnaie est soumise au système de marché. Dans ce cadre, la monnaie véritable est lřor et la seule fonction des billets est de représenter le stock dřor disponible dans la société. En conséquence, la masse monétaire en circulation doit suivre lřévolution du stock dřor, et aucune place nřest faite à une gestion politique de la monnaie, qui constituerait une violation du rapport supposé fixe liant la masse monétaire à lřor. Cependant, Polanyi souligne que lřadoption dřun tel système ferait courir un risque considérable à lřensemble de lřorganisation productive à travers lřanéantissement des profits. En effet, une diminution du stock dřor se traduirait par une contraction de la masse monétaire, qui engendrerait une baisse des prix ; or celle-ci se traduirait par une diminution des recettes non compensée à court terme par une diminution proportionnelle des coûts, certains dřentre eux étant considérés comme fixes par Polanyi (comme le salaire39).

Cřest pourquoi lřinstitution monétaire a été lřobjet dřun contremouvement, dont lřélément clé fut une intervention des banques centrales (Polanyi, 1983 [1944] : chapitre 16). Cette dernière fit office dřinterface entre le commerce extérieur et lřéconomie domestique. En effet, il fallut trouver un mécanisme institutionnel à même de faire face à deux contraintes simultanées : éviter une récession destructrice (économie domestique) tout en maintenant la parité des monnaies avec lřor afin que celles-ci soit acceptées dans les paiements internationaux. Les banques centrales des principales puissances coloniales ont résolu ce dilemme à travers deux canaux qui leur ont permis dřéviter la soumission totale des monnaies au système de marché. Elles ont en premier lieu eu régulièrement recours aux prêts internationaux afin de protéger lřéconomie domestique contre les effets des déséquilibres à court terme de la balance des paiements. Elles ont également eu recours à une gestion politique des réserves dřor à travers ce que

39 « Pourtant, si les profits dépendent des prix, les dispositions monétaires dont dépendent les prix doivent

avoir une importance vitale pour le fonctionnement de tout système dont les mobiles sont les profits. Alors quřà long terme, des variations des prix de vente ne doivent pas affecter les profits, puisque les coûts sřélèveront et sřabaisseront en proportion, ce nřest pas le cas dans le court terme, puisquřil doit y avoir un délai avant que changent les prix fixés contractuellement. Le coût du travail est lřun de ceux-ci, qui, avec bien dřautres prix, sera naturellement fixé par contrat. Donc, si, pour des raisons monétaires, le niveau des prix baissait pendant une période de temps considérable, les affaires risqueraient dřêtre liquidées, ce qui Řs'accompagnerait de la dissolution de lřorganisation de la production et dřune destruction massive du capital » (Polanyi, 1983 [1944] : 254-255).

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Polanyi qualifie dř« effet tampon40

» (buffer effect), en centralisant lřoffre de crédit à travers leurs opérations de refinancement. Il sřagissait dřun moyen de socialiser les coûts dřune éventuelle déflation, car ainsi, lřensemble de lřéconomie fait face aux mêmes contraintes. Ainsi, si un territoire (ou une branche spécifique de lřindustrie) faisait face à un déficit de sa balance des paiements, ses conséquences étaient supportées par la nation tout entière : les taux dřintérêt augmentaient de manière analogue sur lřensemble du pays, mais pas de manière aussi forte que cela eut été le cas localement en lřabsence de banque centrale. Les effets négatifs des déflations étaient limités dřautant.

De surcroît, dans La Grande Transformation, la monnaie jouit dřun statut particulier : elle est la seule à impliquer les sociétés occidentales dans son ensemble. Ainsi, Polanyi souligne que la foi dans lřétalon-or était la seule idéologie partagée par toutes ces nations, par-delà les conflits de classe :

« La croyance en lřétalon-or était la foi de lřépoque. Credo naïf chez les uns, critique chez les autres, ou encore credo satanique, accepté dans la chair et rejeté en esprit. Mais il sřagissait de la même croyance : si les billets de banque ont de la valeur, cřest quřils représentent de lřor. Que ce dernier ait de la valeur parce quřil incorpore du travail, comme le pensaient les socialistes, ou, selon la doctrine orthodoxe, parce quřil est utile et rare, cela ne faisait, pour une fois, aucune différence. La guerre entre le Ciel et lřEnfer ne tenait pas compte de la question monétaire, dřoù la miraculeuse union des capitalistes et des socialistes. Ricardo et Marx étant dřaccord, le XIXe siècle ne connut pas de doute. […] En vérité, le caractère essentiel de l’étalon-or pour le fonctionnement

du système économique international de l’époque était l’unique dogme qui fût commun aux hommes de toutes les nations et de toutes les classes, de toutes les appartenances religieuses et de toutes les philosophies sociales » (Polanyi, 1983 [1944] : 48 Ŕ souligné par moi-même41)

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ŖLřinstauration de Banques centrales atténua beaucoup ce défaut de la monnaie de crédit. En centralisant