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Le dernier acte de l'histoire de la structuration du trueque en réseaux d'ampleur nationale est celui de leur crise, durant l'année 2002. La littérature l'associe généralement à une crise monétaire, tout en invoquant parfois d'autres facteurs (l'abandon du projet militant originel ou la distribution massive de subsides aux plus pauvres par exemple). Cependant, la dimension monétaire de la crise est souvent restreinte au hiatus existant entre la masse monétaire et les biens disponibles au sein des ferias. Or il est possible d'avancer une autre hypothèse, complémentaire à cette lecture : la crise de 2002 fut bien une crise monétaire, mais elle est avant tout une crise de confiance éthique (au sens d'Aglietta et al, 1998). Afin de l'étayer, il est nécessaire d'avoir une connaissance précise

31 Le maintien des assemblées à Capitan Bermudez était sans doute lié au charisme de Marita. Ainsi, durant

notre enquête de terrain, plusieurs enquêtés vivant à Rosario ont fait mention du « trueque de Marita » qui avait su « maintenir les prix » (contenir l'inflation) contrairement aux autres de la région.

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de la chronologie des évènements de 2002 et des limites d'une approche uniquement quantitative de cette crise.

Une nécessité méthodologique : dater la crise

Paradoxalement, les tensions internes au trueque sont contemporaines de son apogée en termes quantitatifs. Elles ne furent que faiblement relayées par les médias. Au contraire, à la fin de l'année 2001, leur attitude vis-à-vis du trueque passe de la prudence à l'exaltation : le trueque est alors présenté comme la solution à la crise économique (Hintze, 2006). En outre, elles coïncidèrent avec l'approfondissement de la crise économique argentine. L'instauration de limites de retrait de monnaie manuelle auprès des banques (le Corralito) et la sortie du régime de la convertibilité (janvier 2002) ont accru la violence de celle-ci. Les recherches ayant porté sur le trueque durant l'année 2002 s'accordent sur le fait qu'une nouvelle population l'a alors investi massivement : lesdits « pauvres structuraux », pour lesquels la situation d'exclusion est chronique et non liée aux dégradations du marché de l'emploi qui caractérise l'Argentine des années 1990 (Kessler, 1999). Ces derniers se sont montrés moins réceptifs aux revendications initiales des fondateurs (Salles, 2006) : ils l'ont abordé de manière plus pragmatique (González Bombal, 2002). Il est certes difficile d'obtenir des données quantitatives fiables, mais il semble que la participation au trueque s'est considérablement accrue. C'est ce que permettent d'appréhender les chiffres avancés par Eduardo Ovalles (200232), bien qu'il ne précise pas la méthodologie et les hypothèses employées afin de les construire : il estime qu'en mai 2002 environ 2.500.000 personnes participaient directement au trueque, contre 600.000 l'année précédente. En outre, cette expansion du trueque à de nouveaux secteurs de la population a été amplement relayée dans les médias et par les chercheurs qui ont concentré leurs travaux sur cette période (Ould-Ahmed, 2008).

Cependant, cet afflux massif de participants semble avoir été rapidement suivi d'une chute brutale. Les principaux responsables du trueque le reconnaissent dans leurs communications respectives lors du colloque Trueque et Économie Solidaire du 6 septembre 2002 (Ravera, 2003 ; Sampayo, 2003 et Cortesi, 2003, respectivement pour le

32 De même, Pablo Stancanelli faisait état d'une « croissance explosive » du trueque dans l'édition latino-

américaine du Monde Diplomatique de juin 2002 (http://www.insumisos.com/diplo/NODE/3159.HTM, consulté le 16/07/2002).

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RGT, le RTZO et le RTS). Aucun chiffre ne semble faire consensus dans la littérature, mais les travaux de chercheurs ayant connu le trueque durant l'année 2002 s'accordent sur une chute brutale : on estime qu'en 2003 le nombre de participants avait baissé de 50 % (Luzzi, 2005 : 55-56) à 90 % (Hintze, Federico Sabaté et Coraggio, 2003) par rapport à son maximum, atteint durant l'année 200233.

Cette crise est souvent associée à de multiples facteurs dont il est difficile de cerner l'impact précis. Ainsi, les problèmes d'hygiène dans la préparation des aliments sont récurrents tout au long de l'année 2002 (Hintze, Federico Sabaté et Coraggio, 2003). Devant l'ampleur supposée du phénomène, certaines municipalités ont réagi en imposant des contrôles d'hygiène et certains réseaux ont offert à leurs participants des cours d'élaboration « hygiénique » des aliments (Pérez-Lora, 2003). Le RGT sřest également fait voler un camion transportant des créditos nouvellement émis et tous les réseaux ont été l'objet de falsifications de créditos. Le RGT semble avoir été le plus atteint, comme l'atteste l'arrestation par la police en août 2002 d'un couple détenant 500.000 billets de cinquante créditos falsifiés (soit une valeur de vingt-cinq millions de créditos) puis la découverte à Quilmes de six personnes détenant 2.225.000 créditos (Hintze, Federico Sabaté et Coraggio, 2003). D'après nos entretiens, la zone de Rosario et du sud de la province de Santa Fe semble également avoir été touchée par les falsifications et les différents réseaux ont dû à plusieurs reprises accroître les mesures rendant plus difficile la falsification des billets nouvellement émis. Enfin, l'ensemble des réseaux semble avoir été sujet à une inflation relativement importante : même le représentant du RGT lors de la Journée Nationale sur le Trueque et l'Économie Solidaire, Luis Nicolas Laporte (2003 : 173) a reconnu qu'il leur avait été impossible de maintenir la parité entre le peso et le crédito. Les autres réseaux estiment quant à eux que l'inflation qu'a connue le RGT s'est répercutée dans leurs propres réseaux, étant donné la fréquence de la participation à différents réseaux de trueque et la pratique (apparemment courante) de « mélanger les créditos » de différents réseaux lors des ferias34. Nombre de nodos ont alors pris des mesures visant à limiter l'inflation en leur sein, mais cette mesure n'a probablement pas

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De son côté, Echavarri (2003) fait état d'une diminution de 50 à 80 % du nombre de participants à la Red Nacional de Córdoba sur la même période.

34 En 2007, lors de notre première enquête de terrain (mémoire de Master), nous avions observé des

rapports peso/crédito allant de 1/5. 000 à 1/10. 000 dans l'unique feria subsistant à l'époque dans la ville de Buenos Aires (qui faisait auparavant partie du RGT). À Rosario, ces mêmes rapports variaient grosso modo de 1/500 à 1/2. 500 (voir le chapitre suivant).

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porté ses fruits, vu la mobilité des participants, ainsi que le souligne Leticia Echavarri en se référant à la Red Nacional de Trueque de la province de Córdoba :

« [Au cours de l'année 2002] le processus d'augmentation du niveau général des prix […] s'accéléra et, devant la peur d'une hyperinflation, les Zones Córdoba et Sierras Chicas exigèrent de suspendre toute émission [de créditos] et établirent une politique de prix maximums. Cependant, la liste des prix convenus a été implémentée de manière différentielle au sein du réseau et les nodos qui l'ont fait respecter ont souffert d'une baisse de participants Ŕ de 400 à 600 par feria, ce nombre est descendu à 50 Ŕ alors que les nodos qui n'avaient pas mis en oeuvre [la liste de prix] ont vu leur affluence stagner, voire augmenter. […] Parallèlement, la Ŗbicyclette spéculative du trueque” [jeu

sur les prix d'un nodo à l'autre de la part des participants les plus mobiles] s'est étendue de

manière alarmante » (Echavarri, 2003 : 13).

Enfin, la plupart des responsables du trueque estiment que la forte décrue du nombre de participants est concomitante de la mise en place d'un programme massif de subsides octroyés aux plus pauvres, les Planes Jefes y Jefas de Hogares Desocupados. Cependant, le lien de causalité entre ces deux évènements demeure flou35.

Afin de proposer quelques hypothèses permettant d'ordonner logiquement les évènements qui viennent d'être mentionnés, il est nécessaire de cerner le plus précisément possible à quelle période la crise a eu lieu. À notre connaissance, aucune recherche n'a été publiée sur ce point. Il est par ailleurs difficile de se baser sur les récits de la crise produits par nos enquêtés car leurs notions du temps passé sont très vagues : on y observe de grandes imprécisions. Il est donc nécessaire de baser cette estimation sur des documents écrits qui abordent cet événement de manière indirecte.

Deux documents nous permettent de dater avec une précision relative la chute du nombre de participants entre mai et début septembre 2002. Le premier est la publication des actes de la Journée Nationale du Trueque et de l'Économie Solidaire, qui s'est tenue le 6 septembre 2002 : ce document mentionne à plusieurs reprises la « crise du trueque » [crisis del trueque], tant dans les chapitres émanant des chercheurs que dans ceux écrits par les représentants des principaux réseaux36. La crise du trueque était donc déjà bien avancée au début du mois de septembre 2002. En outre, l'étude citée plus haut d'Eduardo

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Voir l'ensemble des communications des responsables du trueque réunis dans Hintze (ed., 2003). Fabiana Leoni (2003) propose une analyse fine des liens de causalité unissant la chute du trueque et les Planes

Jefes y Jefas de Hogares. Nous discutons plus bas dans cette même section.

36 Voir notamment la présentation de Suzana Hintze (Hintze, ed., 2003 : 11-15), Hintze, Federico Sabaté et

Coraggio (2003), Pérez-Lora (2003), Cortesi (2003), Primavera (2003), Laporte (2003) et les (très vives) réactions de la salle à la présentation de ce dernier (Hintze, ed., 2003 : 232-241).

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Ovalles (2002) nous informe que la forte décrue du nombre des participants au trueque n'a probablement pas commencée avant mai 2002. En effet, cette étude a été publiée en mai 2002 et ne mentionne à aucun moment une baisse du nombre de participants, alors que son objet était précisément d'évaluer l'expansion quantitative du trueque. Certes, les chiffres avancés par ce document sont contestables car son auteur n'explique pas comment ils ont été construits, mais la chute de la participation au trueque semble avoir été si forte que cet événement ne l'aurait pas conduit à conclure en la croissance explosive du phénomène durant la première moitié de l'année 2002 sans mentionner cet événement.

Il est possible de tester la robustesse de cette datation en la confrontant aux autres éléments permettant d'approcher la crise. Pour ce faire, l'index chronologique proposé par Hintze, Federico Sabaté et Coraggio (2003) présente des données utiles. Ainsi, l'ensemble des éléments faisant directement référence à des problèmes locaux rencontrés par le trueque confirme que, dans les régions pour lesquelles ces informations sont disponibles, la situation s'est fortement dégradée entre juin et aout 2002. Les premiers signes de crise peuvent s'observer en juin 2002 dans le Red Nacional de Córdoba, où il a été fait appel à la Faculté des Sciences Economiques (de l'Universidad Nacional de Córdoba) afin « d'élaborer une enquête portant sur les problèmes organisationnels, de participation, de production et de formation [et sur] la conscientisation du trueque en tant que forme d'économie alternative et solidaire » (Hintze, Federico Sabaté et Primavera, 2002: 61). Puis, en août 2002, les trois plus grands nodos du RGT dans la province de Mendoza fermèrent leurs portes. Seul l'un d'entre eux réouvrit le 28 septembre, mais le nombre de ses participant fut divisé par 6 (en passant d'environ 30.000 à 5.000 Ŕ Lacoste, 2003 : 9).

D'autres éléments permettent une appréhension plus indirecte de la crise et se concentrent sur les mois de juillet août 2002. Ainsi, dans ces deux mois, le RGT annonce puis met en œuvre le remplacement de 150 millions de créditos, en billets de 20 et 50 créditos. La Red Nacional de Trueque de Córdoba fait de même en aout 2002. Selon les responsables du RGT, cette opération avait pour objet de juguler l'inflation, qu'ils attribuaient à la falsification de leurs créditos. Ce faisant, ils soulignent que l'inflation avait alors atteint des niveaux préoccupants à leurs yeux. C'est également durant ces deux mois que Pablo Lacoste (2003 : 26-28) situe le regain d'inflation du trueque dans la province de Mendoza. Il reproduit à la fin de son article une lettre signée de l'un des

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représentants du RGT dans la province, Javier Fernando Berna, datée du 30 décembre 2002. Dans celle-ci, il admet que de nombreux nodos du RGT ont fermé, au moins depuis le mois d'octobre, que le nombre de participants a fortement diminué et que la situation ne s'est pas améliorée entre octobre et décembre. Enfin, la datation de la crise proposée ici est cohérente avec notre revue de presse du plus grand quotidien argentin, Clarín, d'avril à novembre 2002 (voir annexe 737). Du 2 avril au 5 mai, la tendance est à la cohabitation d'articles faisant l'éloge du trueque, de son expansion, et d'autres, moins nombreux, traitant des problèmes qu'il connaissait (inflation et falsification de billets notamment). Puis, du 6 mai au 9 juillet, seul un article traite directement du trueque, pour souligner les problèmes alimentaires et les falsifications. Le ton est le même durant la deuxième moitié du mois de juillet, mais les articles sont plus nombreux. Puis, le trueque disparaît à nouveau des titres des articles pendant les trois premières semaines d'août. Fin août, plusieurs articles traitent du changement de moyens de paiement proposé par le RGT, mais ce n'est qu'à partir du début du mois de septembre que les articles évoquent une baisse drastique du nombre de participants, avant de cesser de traiter du phénomène à partir du mois de novembre.

Soulignons en outre que l'attitude des gouvernements municipaux est également cohérente avec la datation de la crise proposée ici. En effet, ils ont apporté un soutien croissant au trueque, à mesure que la participation à cette activité devenait de plus en plus massive (voir notamment Luzzi, 2005 : 131-157 et Luzzi, 2006). Dans un premier temps, ce soutien est passé par des reconnaissances d'intérêts municipaux, puis selon les situations locales, par le prêt de locaux afin de réaliser les ferias, voire des dons alimentaires. Ce soutien a atteint son apogée lorsque, durant la première moitié de l'année 2002, certaines municipalités ont accepté le règlement de tout ou partie des impôts municipaux en créditos (ceux-ci étant probablement utilisés par la suite afin de se procurer des aliments38). Or aucun accord de ce type n'a été signé après juin 2002 (voir tableau 1). Il est probable que ce coup d'arrêt est dû à la conjonction de la forte décrue du nombre de participants et de l'inflation qui toucha le trueque : dès lors, permettre le

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Voir également la revue de presse de Suzana Hintze (2006). Nous avons mené notre propre enquête auprès du journal Clarín car cet auteur ne s'intéresse pas précisément à la période mai-août 2002.

38 Le cas de Venado Tuerto, étudié par Adela Plascencia (2008) est sur ce point particulier : il s'agit de la

seule municipalité dans laquelle il a été possible de régler une partie des impôts municipaux en créditos jusqu'en 2009. Les sommes ainsi réunies étaient redistribuées sous forme d'aide aux populations les plus pauvres, qui allaient ensuite « faire leur marché » au trueque.

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règlement des impôts municipaux en créditos n'était plus profitable, car il n'était plus possible d'accéder aux produits de base en grande quantité.

Tableau 1 : acceptation des créditos pour le réglement des impôts municipaux

Date Municipalité Contenu de l'accord

01/11/01 Calchaqui (prov. de Santa Fe) Accepte les créditos dans le règlement des impôts municipaux

01/02/02 Chacabuco (prov. de Buenos Aires) Paiement en créditos des dettes contractées en pesos vis-à-vis de la municipalité pour cause de non-paiement des impôts des années antérieures 01/03/02 La Plata (prov. de Buenos Aires) Polémique soulevée par le refus du maire

d'accepter le projet d'ordonnance municipale déposé par des conseillers municipaux visant à permettre le paiement des impôts municipaux en créditos

01/05/02 Neuquén (prov. de Neuquén) Accord avec le RGT pour paiement des impôts municipaux en créditos. Les créditos ainsi obtenus par la municipalité sont utilisés afin d'alimenter les cantines scolaires en aliments. 01/05/02 Quilmes (prov. de Buenos Aires) Possibilité de régler les impôts municipaux en

créditos RGT

01/06/02 Roca (prov de Rio Negro Possibilité de régler les impôts municipaux en créditos à un taux crédito/peso de 1/1 (fin du mécanisme : juin 2003).

Source : annexe chronologique, Hintze, Federico Sabaté et Coraggio (2003)

Quelques facteurs à écarter

La crise qu'a connue le trueque en 2002 fut donc soudaine et n'a pas débuté avant mai 2002. Ces éléments permettent de relativiser le rôle voire d'écarter trois facteurs de crise parfois avancés dans la littérature : la réactivation de lřéconomie à partir de la fin de lřannée 2002, les problèmes liés aux conditions hygiéniques de confection des aliments et la falsification de créditos. Lřimportance de la relance de l'économie doit d'abord être relativisée, car la crise du trueque intervient au plus profond de la crise économique : la tendance des principaux indicateurs macroéconomique ne s'inversera qu'à partir de la fin

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de l'année 200239. Ce facteur peut donc certes expliquer en partie la désaffection des secteurs populaires pour le trueque après 2002 (la participation au trueque nřa jamais retrouvé lřampleur quřelle avait connue au début des années 2000 Ŕ voir Jacopin et Puex, 2002), mais pas la brutalité de la crise quřil a connu au cours de lřannée 2002. En outre, les problèmes dřhygiène et de falsification de créditos ont débuté bien avant mai 2002. L'annexe chronologique présentée par Hintze, Federico Sabaté et Coraggio (2003) montre que les premières tentatives de contrôle des conditions dans lesquelles les aliments proposés au trueque étaient élaborés remontent à février 2002. De même, ce document (ainsi que les entretiens menés en 2009 auprès des principaux responsables du RTS à Rosario) fait état de créditos falsifiés avant mai 2002. Ces éléments ont probablement joué un rôle dans la crise du trueque, mais il ne peut pas s'agir d'un rôle majeur. Ainsi, il n'existe aucun contrôle des conditions hygiéniques de la production des aliments dans l'économie dite « informelle », mais cela ne l'empêche pas d'occuper une scène importante dans les économies des couches populaires40. De même, le rôle joué par les falsifications de créditos doit plutôt être recherché du côté de l'augmentation de la masse monétaire en circulation lors des ferias.

Ce dernier élément soulève la question du rôle de la quantité de créditos en circulation dans lřinflation quřa connue le trueque41

. Une première lecture de celle-ci ne donne aucun rôle particulier au crédito :

« On assiste ainsi, dans les clubs où le prix se fixe selon la loi de lřoffre et de la demande, à une inflation de deux types, à partir de 2002 : une inflation par la demande, liée à lřinsuffisance des biens les plus désirés ; et, une inflation par les coûts, relative à la répercussion de la hausse des coûts de production sur le prix de vente. Si bien quřun certain nombre de clubs se trouve pris dans un cercle vicieux avec une pénurie de biens autoalimentée : la rareté des biens les plus recherchés engendre […] une hausse généralisée des prix ; cette inflation décourage les acheteurs, or le propre des Ŗclubs de troc” est que les acheteurs doivent avoir préalablement vendu leur marchandise. Ainsi au total et paradoxalement, lřinflation des biens les plus demandés va déprimer les ventes globales. Cette désincitation à vendre se traduit alors inévitablement par une pénurie accrue de biens dans les clubs. » (Ould-Ahmed, 2008 : 17)

39 Voir Heyman (2006) pour une analyse détaillée de la situation macroéconomique du début des années

2000 et la sortie de crise. Pour des analyses plus structurelles et sur le long terme, voir Boyer et Neffa (eds., 2004 et eds., 2007).

40 Voir notamment le cinquième chapitre de cette thèse.

41 Nous n'abordons donc pas ici les interprétations mettant l'accent sur la perte de la dimension militante du trueque. Sur celles-ci, voir le chapitre deux ainsi que Feliz (2003), Montillet (2003), Cato (2006) et

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Cet extrait n'explique pas pourquoi il a existé en 2002 une « inflation par la demande », mais son auteure avait probablement en tête l'afflux massif des populations provenant des couches les plus pauvres de la société argentine et de leur demande criante de biens alimentaires. L'inflation « par les coûts » serait quant à elle la transposition au crédito de l'inflation qu'a connue le peso durant cette même période. Cette interprétation pose cependant deux problèmes. Le premier est que le lien entre l'inflation qu'a connue le trueque et celle qui toucha le peso est loin d'être évident. En effet, on observe au cours de l'année 2002 une inflation annuelle du peso de 40,9 %, ce qui est très faible au regard de