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APPRÉHENDER LE TRUEQUE PAR LA MONNAIE : DES APPROCHES INSTITUTIONNALISTES

Toutes les publications relatives au trueque nřappréhendent cependant pas la monnaie à partir de la « fable du troc ». Certains travaux estiment au contraire que le trueque est un phénomène monétaire qui nřentretient aucun rapport avec le troc. Ils sont principalement le fruit dřéconomistes se qualifiant dřhétérodoxes ou se revendiquant de lřinstitutionnalisme américain. Plus largement, leur approche sřinscrit dans lřinstitutionnalisme car ils sřattèlent à saisir la nature de la monnaie sans la réduire à un

42 Voir également le cinquième chapitre de cette thèse. Pour l'exposé de monnaies aux conditions d'accès

fort différentes des monnaies de crédit bancaire, voir par exemple le numéro spécial de la revue

L'homme (n°162, 2002), Bloch et Parry (eds., 1989) et Akin et Robbins (eds., 1999).

43 Il est à ce titre surprenant que des auteurs mettant lřaccent sur lřexclusion dřune partie de la population à

lřaccès aux moyens de paiement libellés en peso se réfèrent à la fable du troc afin dřappréhender la monnaie (Féliz, Coraggio, Abramovich et Vázquez).

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« médium des échanges », à partir dřun regard interdisciplinaire porté sur le trueque. Ce dernier remet en cause les cloisonnements disciplinaires généralement admis et permet ainsi de ne pas cloisonner la monnaie à sa dimension instrumentale. Parmi ces auteurs, on compte huit économistes, un historien (Pablo Lacoste) et une sociologue (Mariana Luzzi). Nous nous situons dans la continuité de ces travaux : les réflexions quřils soulèvent ont influencé la construction de sa problématique. Les analyses quřils avancent semblent en outre plus pertinentes que celles présentées dans la première section car elles sont le fruit dřune étude des pratiques monétaires propres aux ferias, et non la projection des préjugés théoriques du chercheur sur les pratiques des participants au trueque.

Cette section est divisée en quatre sous-sections afin de mettre en avant ce en quoi ils contribuent à rompre avec la fable du troc. Il sřagit dřabord de souligner que le trueque nřest pas né spontanément du désir dřéchange de quelques individus : il est traversé par un ensemble de règles au caractère contraignant, au premier rang desquelles on trouve celles relatives à lřaccès aux moyens de paiement (première sous-section). Le caractère parfois conflictuel des rapports monétaire au sein du trueque est ensuite souligné (entre les différents réseaux de trueque et au sein des ferias) à partir dřapproches posant explicitement la question de la nature de la monnaie (deuxième sous-section). Appréhender le trueque en tant que phénomène monétaire pose également la question de la coexistence de différentes monnaies sur un même territoire (troisième sous-section). Enfin sont présentés les travaux qui soulignent lřapport potentiel du trueque dans la transformation des rapports sociaux à partir de lřémission dřune monnaie locale (quatrième sous-section).

Le trueque comme agencement institutionnel

Les auteurs discutés ci-après montrent que le trueque nřest pas un ordre spontané qui serait né de volontés individuelles dřéchanger. Il sřagit dřun ensemble de règles et dřinstitutions (au sens dřorganisation) qui naissent dans un contexte de carence institutionnelle et qui entretiennent avec lui des liens constants. Lřémission monétaire est appréhendée dans cette optique à travers son impact sur le développement local.

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Lřauteure qui sřinscrit le plus ouvertement dans cette perspective est sans conteste Georgina Gómez (2008). Sa thèse de doctorat prend appui sur une longue enquête de terrain, menée entre mai et décembre 2004, puis en novembre et décembre 2006, principalement à partir de l'élaboration d'un questionnaire distribué à un grand nombre de participants. Elle souhaite montrer la pertinence de certains cadres théoriques car ils sont à même de décrire différents aspects du trueque, mais ne part pas des observations de terrain pour construire son cadre théorique. Elle aborde d'abord le contexte de création puis de croissance du trueque à partir du concept d'« institutional gap ». Il désigne des situations dans lesquelles les institutions en place ne sont plus en mesure d'encadrer de manière efficiente les pratiques économiques. Il est utilisé pour caractériser les réformes structurelles menées durant la décennie 1990 en Argentine et la longue crise économique qui les a suivi (1998-2002). Dans ce contexte, le trueque est présenté comme un nouvel « agencement institutionnel » (institutional design) visant à colmater les brèches ouvertes par les réformes des années 1990 à travers l'instauration d'un ensemble de règles suite à un processus d'essai-erreur par les fondateurs de lřexpérience. Ces nouvelles règles ont, selon Georgina Gómez, donné naissance à un marché spécifique, orienté vers les pauvres et « organisé par ses participants sur la base de l'acceptation volontaire de ses règles » (p.xiv). Cependant, les règles ne structurent pas le trueque de manière analogue sur lřensemble des réseaux dřampleur nationale : leurs « règles de gouvernance » varient, tout comme leur « degré de durabilité ». Ces dernières sont analysées par lřauteure à partir de quatre éléments: la légitimité des règles, les mécanismes permettant de les mettre en application, la synergie entre les différents éléments des réseaux et, enfin, leurs coûts de transaction et d'organisation. Sur cette base, elle estime que la crise que connut le trueque en 2002 a mis à jour la faible soutenabilité de la structure centralisée du RGT comparée à celle du RTZO, qui a pu profiter du charisme de son leader et dřune organisation plus rationnelle de la production et de lřémission monétaire à partir dřune structure bureaucratique45.

Le quatrième chapitre de l'ouvrage de Mariana Luzzi (200546) prolonge cette démarche en analysant les rapports du trueque à lřÉtat. Il montre que les rapports entre le

45 Le RGT a presque entièrement disparu après la crise de 2002, contrairement au RTZO. Nous ne

disposons dřaucune information fiable à ce sujet concernant le RTS. Georgina Gómez estime que son degré de soutenabilité était supérieur au RGT, mais inférieur à celui du RTZO du fait des coûts organisationnels élevés engendrés par sa structure décentralisée.

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trueque et l'État n'ont pas été très conflictuels, malgré la contestation de fait du monopole d'émission monétaire : le trueque constituait un élément à même de pallier la pénurie de moyens de paiement libellés en peso. Elle distingue trois périodes au cours desquelles ces liens se sont même renforcés. La première période (1996-2000) est celle de la reconnaissance symbolique de l'activité à travers de multiples « déclarations d'intérêt municipal ». Le gouvernement de la ville de Buenos Aires est celui qui est allé le plus loin en appuyant l'organisation de diverses journées consacrées au trueque47. La deuxième période est ouverte par l'accord signé entre RGT et le Secrétariat aux Petites et Moyennes Entreprises (SEPyME) visant à promouvoir l'insertion des PME dans le trueque. La consolidation des relations avec les gouvernements municipaux s'effectua alors par le biais de « conventions avec certaines communes » afin d'accepter le crédito dans le règlement des impôts municipaux (Luzzi, 2005 : 136). Enfin, la troisième période fut marquée par des tentatives émanant de représentants du pouvoir législatif de donner un cadre juridique au trueque48 à travers diverses propositions de loi au niveau fédéral et provincial au début de l'année 2002. Cependant, la crise que connut le trueque au cours de cette même année détourna l'attention des parlementaires et aucun de ces projets de loi ne fut finalement présenté devant le pouvoir législatif.

Le sixième chapitre de la thèse de Georgina Gómez (2008), « Re-placing money to promote local economic development », souligne que le trueque a également agit sur le contexte institutionnel dans lequel il sřinsère en le transformant. Cette analyse prend la forme dřune évaluation d'impact de deux expériences de trueque sur le développement économique local à partir de deux expériences argentines49 (le Red de Trueque de la Zona Ouest et l'émission d'une monnaie locale à Venado Tuerto, au sud de la province de Santa Fe). Elle se décompose en trois parties. Son auteure montre d'abord que le trueque a permis de protéger l'économie locale durant la crise de 2001-2002. Cet effet s'observe selon elle à travers la participation massive des commerçants au plus fort de la crise et par l'origine des biens proposés au sein des nodos : 27 % provenaient de l'auto-production (et

47 Voir notamment le « programme d'appui au troc multiréciproque » et la « première journée du troc

multiréciproque » en 1997, la « première journée du non-argent » et, enfin, la « deuxième journée du troc multiréciproque » en 1998.

48 Peu d'information est disponible concernant les différents projets de loi, mais il est probable que l'un des

enjeux tournait autour du contrôle de l'émission monétaire. Voir l'analyse des quatre principaux projets de loi nationaux et de quelques projets provinciaux dans Hintze, Federico Sabaté et Coraggio (2003 : 43-47 et78-86).

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n'auraient pas trouvé de débouché hors du trueque) et 8,9 % correspondaient à l'écoulement de stocks de commerçants n'ayant pas trouvé preneurs en peso (les autres articles étaient usagés ou provenaient des politiques d'assistance aux pauvres ou du recyclage des déchets urbains). Georgina Gómez souligne ensuite que la participation au trueque a permis de diversifier les sources de revenu des ménages, bien qu'il leur était nécessaire d'avoir recours au peso (pour couvrir les dépenses incompressibles de loyers, de transports, d'électricité, etc.). Cet effet fut, particulièrement visible chez les femmes et a contribué à renforcer leur statut au sein des ménages. Enfin, elle estime que dans le cas de Venado Tuerto et du RTZO le trueque a permis de stimuler le développement économique local. À Venado Tuerto, cela fut atteint grâce à la facilitation des échanges entre les zones rurales et urbaines aux offres et demandes complémentaires. Georgina Gómez insiste également sur les activités productives mises en œuvre par le RTZO qui le différencie des autres réseaux50 : au plein cœur de la crise de 2001-2002, elle estime qu'il produisait chaque jour « 300 kilos de pâtes sèches, 1.300 pâtes à pizzas, 50 tables et 20 bancs, 150 paniers de fruits et légumes ainsi que du pain, des biscuits et des pâtisseries » (Gómez, 2008 : 208). Ces productions servaient à alimenter les nodos en produits de base et étaient rendues possibles par l'infrastructure productive du réseau dans laquelle participaient ses membres, qui étaient alors rémunérés en peso et en crédito. Ainsi, elle conclut que, plus que lřémission de monnaies locales en tant que tel, il convient de porter son attention sur leurs objectifs et leurs modalités dřorganisation :

« Ce n'est pas l'existence de monnaies locales [community and complementary currencies] en tant que telle qui a assuré la protection de l'activité économique locale ou son développement. Les modalités d'organisation de ces monnaies étaient peut-être plus pertinentes afin d'atteindre ces résultats ; c'est à dire la manière par laquelle les objectifs organisationnels du trueque étaient définis, la personne qui les a mis en avant [leadership], le réseau […] et les connexions existantes entre les différents acteurs [responsable du trueque et municipalité notamment]. Lorsque les expériences ont réussi à soutenir le développement économique local, le système monétaire local semble avoir agi comme un moyen plus que comme une fin » (Gómez, 2008 : 215-216 Ŕ souligné par moi-même)

Enfin, une perspective analogue est adoptée par Laurent Montillet (2003 ; 2006) lorsquřil analyse la crise que connut le trueque au cours de lřannée 2002 à partir de lřinadaptation de ses mécanismes institutionnels à un nouvel environnement. Cet auteur souligne à ce titre deux points. Le premier est que la transformation de lřenvironnement

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dans lequel était immergé le trueque engendré par la crise de lřéconomie argentine (peso) répandit une « logique dřassistanat » (Montillet, 2006 : 417) parmi les participants, à travers la mise en place de subsides octroyés aux chômeurs (Planes Jefes y Jefas de Hogares), supposée contraire aux principes fondateurs du trueque. Mais il souligne surtout que la gestion de l'émission des créditos a été rendue ardue par la massification du phénomène à partir de décembre 2001 : dès lors sont apparus des dysfonctionnements monétaires d'ordre quantitatif qui ont engendré un décalage entre la masse monétaire en circulation et les transactions menées à bien. Il se réfère notamment à l'arrivée massive de nouveaux participants aux capacités de production présentées comme limitées et à l'augmentation du « taux de rotation » (Montillet, 2006 : 416) entre les nouveaux et anciens participants. Selon lui, la diffusion de la crise du crédito fut violente car il nřexistait aucune « d'autorité monétaire suprême au nodo » (Montillet, 2003 : 155) à même de réviser les modalités dřémission monétaire afin de stabiliser le ratio masse monétaire par participant.

Monnaie et conflit : quel accès aux moyens de paiement ?

Parmi les auteurs institutionnalistes, un deuxième groupe de publications sřintéresse directement à la nature de la monnaie à partir du trueque. Pablo Lacoste (2003), Mariana Luzzi (2005) et Pepita Ould-Ahmed (2008a), sřintéressent à la dimension conflictuelle du crédito. Leurs analyses portent sur deux niveaux clairement distincts : celui, méso, des conflits opposant les divers réseaux de trueque les uns aux autres et celui, micro, des pratiques monétaires ayant lieu au cours des ferias.

Pablo Lacoste et Pepita Ould-Ahmed (2008a) appréhendent tous deux les conflits opposant les différents réseaux de trueque à partir dřune question plus vaste : celle de la dimension politique du trueque. Le premier a reconstitué l'histoire du trueque dans la province de Mendoza à travers une recherche qu'il qualifie lui-même d'« exploratoire », en mobilisant principalement des sources orales recueillies lors du Congrès Provincial de Coordinateurs de Mendoza, de la journée Trueque, Economía y Sociedad et du séminaire Mercados, Trueque e Intercambios (ces deux derniers évènements furent organisés en 2002 par l'Universidad Nacional de Cuyo). Pour sa part, Pepita Ould-Ahmed prend appui sur une enquête de terrain menée autour de Buenos Aires ainsi que sur une revue critique

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des publications émanant des fondateurs du trueque (ouvrages et articles de presse notamment). Ces deux auteurs soulignent, chacun à leur manière, quřil convient dřadopter un regard critique sur les motivations avouées des fondateurs et participants au trueque : les rapports entre les réseaux ne correspondent pas nécessairement au projet politique quřils mettent en avant. Selon les fondateurs du trueque celui-ci vise à créer une économie sur la base de la solidarité (Ould-Ahmed, 2008a). Cependant, Pepita Ould- Ahmed montre que ce discours de transformation sociale est relativement peu partagé par les participants et, surtout, quřil n'a émergé qu'à partir de 1997 et qu'il est adapté en fonction du public auquel il s'adresse. Pablo Lacoste estime pour sa part quřil sřest tout au plus traduit par un fort discrédit des dirigeants politiques parmi les participants de la province de Mendoza.

Les analyses proposées par Pablo Lacoste et Pepita Ould-Ahmed ne se recoupent cependant pas totalement. Ainsi, après avoir minutieusement décrit l'ensemble des réseaux présents à Mendoza en 200251, Pablo Lacoste montre que les luttes de pouvoir entre différents groupes politiques se sont traduites dans des rivalités internes au trueque, qui opposaient les différents réseaux les uns aux autres. Ces luttes éclatent, selon lřauteur, à partir de mai 2002. Le contrôle de lřémission monétaire que constituait la main mise sur chaque réseau a alors été instrumentalisé par lesdits groupes politiques : nombre de ces réseaux ont été mis à profit pour soutenir différents partis politiques ou courants au sein du Peronisme. Il semble cependant que le péronisme ne fut pas le seul à instrumentaliser le trueque de la sorte : ainsi, on apprend que la coordinatrice provinciale du RGT, Olga Colosimo, était proche de l'Union Civique Radicale (les principaux soutiens du Partido Justicialista Ŕ péroniste Ŕ se situaient parmi les responsables du Red Tiket Solidario, du Red del Nevado et du Red Andina). Pablo Lacoste ne précise pas les mécanismes précis, mais il est probable que le trueque a permis dřentretenir les réseaux de clientèles de représentants politiques locaux à travers un accès privilégié pour telle ou telle catégorie de population aux moyens de paiement émis dans chaque réseau.

Lřanalyse proposée par Pepita Ould-Ahmed (2008a) se situe à un niveau dřabstraction plus élevé. Elle voit dans la formation de réseaux concurrents à lřéchelle

51 On comptait alors à Mendoza pas moins de neuf réseaux : RGT, RTS, Red Federal de Trueque Solidario,

Fondation « El prosumidor », Red Tiket Solidario, Red del Nevado, Red Solidaria, Red Andina et Red Gualla.

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nationale émettant leur propre monnaie lřexpression de « rivalités entre puissances monétaires privées52 » dont lřenjeu est de faire accepter sa propre vision de la valeur (monnaie) dans un espace social et géographique le plus vaste. Son analyse rappelle celle développée dans le deuxième chapitre de La monnaie entre violence et confiance (Aglietta et Orléan, 2002), dans lequel lřenjeu du rapport monétaire est celui de lřémergence dřune forme stabilisée de la valeur (à travers le compte).

Pepita Ould-Ahmed (2008a) et Mariana Luzzi (2005 : chapitre trois53) prolongent ces réflexions relatives à la nature conflictuelle du crédito à partir de lřétude des pratiques monétaires ayant lieu lors de ferias situées dans la périphérie de la ville de Buenos Aires (lřenquête de terrain de Mariana Luzzi date de lřannée 200254

). Elles mettent toutes deux à jour des mécanismes spécifiques de stratification sociale opérée par lřinégal accès aux moyens de paiement entre les participants. Pour Pepita Ould-Ahmed, lřenjeu central est lřaccès aux créditos, émis sous forme papier (monnaie manuelle). Or celui-ci est fondamentalement inégal, pour deux raisons principales : d'une part car les « salariés des clubs [nodos] » sont rémunérés en pesos ou en créditos et qu'ils n'ont ainsi pas à effectuer le « saut périlleux de la marchandise » (Marx) de la validation sociale de leur production afin d'avoir accès aux créditos contrairement aux autres participants ; d'autre part, car les participants ayant un accès privilégié au peso peuvent se procurer les biens les plus recherchés en dehors du trueque et être en position de force au moment de négocier leur prix de revente dans les nodos. Lřanalyse de Mariana Luzzi porte quant à elle sur lřaccès différencié à différentes catégories de moyens de paiement. Elle souligne que lřinflation du peso, au cours des premiers mois de lřannée 2002, a considérablement modifié la configuration monétaire interne aux nodos. En effet, lřinflation a rendu plus difficile l'accès aux biens (notamment alimentaires) devant être préalablement achetés en pesos. Afin de pouvoir continuer à s'approvisionner, ceux qui les proposaient lors des ferias ont alors adopté deux stratégies : l'établissement de prix mixtes (peso et crédito), qui

52 L'expression « puissances monétaires privées » se réfère selon l'auteure à des projets monétaires qui ne

proviennent pas des pouvoirs publics ou qui n'ont pas été validés par ces derniers.

53 Dans cet ouvrage, Mariana Luzzi estime également que « les transactions qui se déroulent [dans le trueque] se situent à mi-chemin entre lřéchange marchand et lřéchange non marchand » (Luzzi, 2005 :

99), car elle décelle toujours deux dimensions derrière chacune dřentre elles : le rapport aux choses (rationalité économique) et le rapport aux personnes (sociabilité). Le premier chapitre de son ouvrage revient brièvement sur la reconstitution de lřhistoire du trueque à partir du discours de ces fondateurs. Voir sur ce point le troisième chapitre de cette thèse.

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Nous ne possédons pas dřinformation précise concernant la date de lřenquête menée par Pepita Ould- Ahmed, mais celle-ci est postérieure à la crise que connut le trueque, en 2002.

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permettait notamment aux femmes proposant des aliments transformés (gâteaux, pizzas, etc.) de se procurer les matières premières en dehors du trueque et le paiement en nature. Ainsi, Mariana Luzzi observe une « concurrence entre trois moyens de paiement différents » (p.114) qui renvoie aux rapports sociaux noués au sein des nodos à travers la hiérarchie qui les ordonne:

« Deux critères définissent la place que chacun de ces éléments [peso, crédito et biens] occupera dans cette hiérarchie de moyens de paiement. Dřune part, le pouvoir dřachat de chaque monnaie, de lřautre, sa disponibilité. Autrement dit, ce sont les pesos qui occuperont le sommet de lřéchelle,