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Ce troisième chapitre propose une lecture de lřhistoire du trueque centrée sur les modalités dřémission des moyens de paiements, de sa création en mai 1995 à la crise quřil a connu en 2002. Ce faisant, il occupe une position intermédiaire entre lřanalyse bibliographique qui le précède et les chapitres qui lui succèdent (qui portent principalement sur les pratiques monétaires et financières). Certains discours sur la monnaie et certaines pratiques monétaires sont mobilisés afin de proposer une histoire institutionnelle du trueque, qui insiste sur le rôle joué par la monnaie. L'accent est donc mis sur les modalités d'organisation et de fonctionnement des différents réseaux. Les traces des pratiques monétaires quotidiennes des acteurs, lorsqu'elles existent, sont mises à contribution tout au long de ce chapitre, afin notamment de souligner les implications (monétaires) des différentes architectures institutionnelles ayant structuré les différents réseaux de trueque. Les discours sur la monnaie sont quant à eux mobilisés afin d'appréhender la crise du trueque. La conjugaison de ces éléments permet une reconstitution suffisamment précise de l'histoire du trueque pour en tirer des enseignements théoriques allant au-delà de la simple contextualisation des pratiques étudiées dans les chapitres suivants : ils mettent l'accent sur les conflits liés aux modalités d'accès aux moyens de paiement.

La reconstitution de l'histoire du trueque exige cependant de prendre quelques précautions méthodologiques. Son histoire « officielle » a été écrite par ses fondateurs puis par quelques représentants d'expériences originales, à travers la publication de matériaux visant à mieux faire connaître cette activité, d'articles dans la presse et d'actes de colloques universitaires. Cette histoire « officielle » constitue généralement la

134 Chapitre 3 : le trueque, une histoire d’émission monétaire

principale voire l'unique source mobilisée par la littérature universitaire sur le trueque lorsqu'il s'agit de retracer son évolution : peu de chercheurs ont mené des enquêtes avant la période 2000 Ŕ 2002 et ont fourni des données fiables à ce sujet. Au moins deux raisons poussent cependant à adopter une approche critique vis-à-vis de ce type de récit : d'une part les informations que l'on y trouve sont parfois contradictoires (selon que les textes ont été écrits par tel ou tel auteur, ou selon la période à laquelle un même auteur les a rédigés), d'autre part celles-ci sont généralement trop vagues et ne permettent pas, à elles seules, de tirer des conclusions solides. Ainsi, la démarche privilégiée ici est celle d'une histoire par hypothèses formulées à partir du croisement de sources d'origines diverses. Outre les récits historiques des fondateurs du principal réseau et des fondatrices du trueque à Rosario et Capitán Bermúdez, nous nous basons sur les observations rapportées dans les publications universitaires portant sur le trueque et sur les rares documents écrits attestant du fonctionnement passé des réseaux de trueque.

Le traitement de ces sources donne à voir une histoire différente de celle présentée par la littérature « officielle ». Aussi ce chapitre s'attelle à montrer que l'histoire du trueque peut être lue comme celle de conflits tournant autour des modalités d'accès aux moyens de paiement libellés en créditos. En effet, cette problématique traverse l'histoire de ces monnaies et constitue l'élément autour duquel s'articulent les principaux bouleversements institutionnels des réseaux de trueque. Ainsi, les rares éléments dont nous disposons concernant les premières années de l'expérience sont ceux qui sont liés aux modalités d'émission monétaire : ils montrent qu'après avoir été très diverses et propres à chaque localité, elles ont été harmonisées en vue de constituer le premier réseau de trueque (le Réseau Global de Trueque, RGT), dont on qualifiera le modèle dřune forme possible de « fédéralisme monétaire1 ». Une fois constitué, ce réseau connut des tensions portant sur les normes qui encadraient les modalités d'émission monétaire selon les différentes « zones » en charge de l'émission. Ce modèle a été remis en question à partir de l'année 2000 par la constitution de réseaux concurrents qui adoptèrent chacun leur propre système d'émission monétaire. Enfin, la crise que connut l'ensemble des réseaux en 2002 interroge les fondements éthiques des modalités d'accès aux moyens de

1 Il sřagit bien dřune forme possible de fédéralisme monétaire, propre au RGT puis au RTS (dřautres

modalités de fédéralisme monétaire peuvent exister, il nřen est pas fait mention ici). Dans la suite de ce chapitre, le modèle de « fédéralisme monétaire » se réfère à celui que donne à voir lřhistoire du trueque.

Chapitre 3 :le trueque, une histoire d’émission monétaires 135

paiement propres aux différents réseaux à partir des trois dimensions de la confiance présentées dans La monnaie souveraine (Aglietta et Orléan, eds., 1998).

Ce chapitre est composé de quatre sections. La première revient sur la méthode employée afin de reconstituer l'histoire du trueque : elle définit les jalons du raisonnement par hypothèses et décrit les principales sources mobilisées par la suite. Les sections suivantes portent sur différentes périodes de l'histoire du trueque. La deuxième porte sur ses débuts, des années 1995 à 2000. Il s'agit de la période la moins documentée ; déjà les tensions liées à la décentralisation de l'émission monétaire apparaissent. La troisième section aborde la remise en question du modèle de fédéralisme monétaire initialement porté par le RGT à travers la constitution de réseaux concurrents (années 2000 et 2001). La quatrième, enfin, propose une interprétation de la crise du trueque en termes de confiance dans le crédito liée aux fondements éthiques des modalités d'accès aux moyens de paiement (année 2002).