• Aucun résultat trouvé

La démarche qui vient d'être présentée n'oppose pas terrain et théorie. Elle reconnaît la nécessité d'un premier étayage théorique avant le début de l'enquête de terrain : c'est lui qui permet d'élaborer les hypothèses qui guideront le choix des enquêtés et des lieux d'observation, avant d'être remises en question au cours de l'enquête. La présente recherche correspond, selon les termes d'Alvaro Pires (1997), à une recherche à « structure close » : il est matériellement impossible de mener une enquête portant sur tous les participants au trueque et sur l'ensemble des expériences réparties sur le territoire argentin. Aussi la première étape de l'échantillonnage24 a consisté à définir les lieux d'observation de l'enquête de terrain. (La seconde est celle du choix des enquêtés. Elle est abordée dans la troisième section de ce chapitre). Le choix des lieux d'observation répond en grande partie à ce qu'Alvaro Pires (1997 : 160-162) qualifie d'échantillonnage par « contraste-approfondissement » :

« D'un point de vue théorique [il] se caractérise par trois idées directrices : 1) la comparaison entre un certain nombre de cas (d'ordinaire réduit); 2) chaque cas a un certain volume de matériel empirique et fait l'objet d'une description en profondeur; et 3) chaque cas est exposé de façon relativement autonome » (Pires, 1997 : 161)

Le choix des lieux d'observation a résulté d'une première phase de l'enquête de terrain qualifiée de « prospective », menée durant le mois d'aout 2009. Son objet était de

24

L'échantillonnage est défini par Alvaro Pires comme « n'importe quelle opération visant à constituer le corpus empirique d'une recherche » (Pires, 1997 : 113).

52 Chapitre 1 : des concepts au terrain, du terrain aux concepts

déterminer la faisabilité d'une enquête plus profonde et l'intérêt des différents lieux d'observation possible du point de vue de la problématique adoptée avant d'entrer sur le terrain. Aussi le choix des lieux d'observation a-t-il été guidé tant par des préoccupations conceptuelles que matérielles. Ce sont les raisons de ce choix qui sont retracées dans cette section.

Des expériences écartées

La phase de prospection de l'enquête a été préparée avant l'entrée dans le terrain. Il a fallu répertorier l'ensemble des expériences de trueque avérées ou pressenties en croisant les sources disponibles sur ce sujet. Pour cela, nous avons pu bénéficier de l'appui de la seule équipe de recherche argentine qui continue, à notre connaissance, à s'intéresser au trueque : Mercados, Monedas y Financamientos para una Economía Alternativa [« Marchés, monnaies et financements pour une économie alternative »], dirigée par Adela Plasencia à l'Universidad Nacional de Luján25. Les membres de cette équipe envoient régulièrement des étudiants sur le terrain afin qu'ils réalisent leur mémoire de diplôme (tesis de licenciatura) sur des configurations spécifiques de trueque, ce qui leur permet d'être relativement bien informés de l'évolution du phénomène sur lřensemble du territoire argentin. Le travail de terrain mené dans le cadre de mon mémoire de master a également été mis à profit, tout comme les multiples publications relatives au trueque. Cependant ces dernières furent d'une aide limitée car la plupart portent sur la période 2000-2002 alors que le trueque a connu une forte crise à partir de mai 2002 qui fit disparaître un grand nombre d'expériences (voir les chapitres 2 et 3). Enfin, la préparation de la phase de prospection s'est appuyée sur une revue de presse des principaux quotidiens provinciaux argentins dont les archives sont disponibles sur Internet (voir lřannexe 1). Les données obtenues par ce biais sont certes moins fiables que celles provenant de l'équipe de l'Universidad Nacional de Luján (les articles étant souvent évasifs quant à l'utilisation d'une unité de compte propre et à la description minutieuse du phénomène), mais elles permettent de découvrir des configurations jusqu'à présent ignorées des chercheurs.

Chapitre 1 : des concepts au terrain, du terrain aux concepts 53

La carte 1 présente de manière synthétique les résultats de cette recension26 en distinguant les expériences avérées de celles dont l'existence est supposée (car seule la presse provinciale en fait écho). Les expériences de Poriajhú (banlieue nord de Rosario, province de Santa Fé27), Venado Tuerto (province de Santa Fé), Capilla del Monte (province de Córdoba), de Martínez (banlieue nord de Buenos Aires) et du Red de Trueque de la Zona Oeste (« Réseau de Trueque de la Zone Ouest [de la banlieue de Buenos Aires] ») étaient documentés par l'équipe de l'Universidad Nacional de Luján. L'enquête de terrain menée dans le cadre de mon mémoire de master avait mis à jour l'existence d'une expérience de trueque au cœur de Buenos Aires, dans des locaux adjacents à l'une des principales gares ferroviaires (« La Estación », gare Federico Lacroze dans le quartier de Chacarita). La revue de presse a également fait état d'expériences de trueque dans les provinces de Misiones, Corrientes, Santa Fé, Entre Ríos, Río Negro, Neuquén, Mendoza, San Juan et Córdoba. Les chiffres avancés pour la ville de Videma (capitale de la province du Río Negro) sont sans conteste les plus conséquents : en janvier 2008 il était fait état de 2.500 participants répartis sur sept places de marché fonctionnant sous la forme d'un réseau depuis onze ans. Dans la même province, la presse évoquait la pratique du trueque dans la ville de Roca et certaines sources évoquaient également Bariloche (d'autres articles annonçaient que le trueque n'y avait plus cours). Les quotidiens provinciaux ont également mentionné des expériences dans les villes de Santa Fé, Rosario (province du même nom), Mendoza (idem), Paraná (province d'Entre Ríos), Monte Caseros (province de Corrientes), Posadas (province de Misiones), Eldorado (idem) et Plottier (province de Neuquén). D'autres situations étaient présentées de manière plus ambiguë : ainsi, la presse faisait fréquemment référence au trueque de la ville de Neuquén (province du même nom), mais selon Adela Plasencia28 le crédito aurait été remplacé par le peso. À Mendoza un article faisait état d'un système de trueque en mentionnant tantôt l'existence d'une monnaie propre, tantôt des échanges marchandises contre marchandises. À Formosa, il était fait état d'un projet de création de banque du temps par un ex-candidat au poste de gouverneur de la province Alejandro

26 Celle-ci ne prétend pas être exhaustive. On pourra la comparer avec celle menée durant l'année 2010 par

l'association TAOA selon laquelle il existerait des expériences de trueque dans la ville de Buenos Aires (quartiers de La Boca et Chacarrita), la province du même nom (RTZO et Martinez), à Capitán Bermúdez, Venado Tuerto (province de Santa Fé), Capilla del Monte (Córdoba), Viedma (Río Negro). Voir http://www.taoaproject.org/?p=2257 (consulté le 10/08/2011).

27 Les différentes provinces de lřArgentine nřapparaissent pas sur la carte 1 afin de ne pas la surcharger.

Pour situer les différentes provinces sur le territoire argentin, voir la carte reproduite en annexe 3.

54 Chapitre 1 : des concepts au terrain, du terrain aux concepts

Crivisqui. À Córdoba, un article du journal Miradas al sur évoquait une expérience de petits producteurs échangeant sur la base du « troc direct » (trueque directo). Enfin, dans un article datant de 2006 Lorena Zapata29 estimait à une quinzaine le nombre de ferias de trueque dans la province de San Juan.

Carte 1 : synthèse de la recension des expériences de trueque avant le contact avec le