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Le poids de la structure sociale dans un environnement scolaire ségrégué

I. Les travaux anglo-saxons sur les aspirations constatent des effets de l’environnement scolaire dès les années 50

1. Le poids de la structure sociale dans un environnement scolaire ségrégué

Aux Etats-Unis, où le système éducatif apparaît peu centralisé, et la société assez ségréguée (au moins du point de vue ethnique), beaucoup de recherches vont s’intéresser aux effets du « milieu », de l’environnement tel que le quartier et le voisinage sur les conduites des individus. Ces travaux s’inscrivent dans la tradition de la recherche des effets de la structure sociale sur les conduites des individus (Dreeben, 2000). En éducation, en plus des

inégalités sociales et raciales constatées : le quartier mais également l’école, en ce qu’elle constitue un environnement spécifique par le caractère typé socialement des publics qu’elle accueille, semblent des unités d’analyse investies par la recherche, comme pouvant être à l’origine de différences de réussite. La qualité de l’enseignement est mise en relation avec les différences entre écoles. De même, les phénomènes motivationnels et les aspirations sont envisagés selon le contexte.

Dans le domaine de l’éducation donc, la sociologie américaine s’intéresse aux effets de l’environnement scolaire sur les conduites des élèves et notamment sur leurs aspirations scolaires, professionnelles ou même sur leurs valeurs (politiques entre autres). Concernant les aspirations, nous remonterons aux travaux pionniers de Wilson, 1959, qui seront le point de départ de la recherche sur les effets contextuels en éducation.

Le contexte ségrégué et son poids sur les aspirations : un constat

Wilson (1959) part du constat que les quartiers sont ségrégués socialement et les écoles de fait «ségrège les élèves des différentes classes sociales»1 en ce que nous appellerons, dans le cadre de ce travail, des « micro-milieux sociaux ». A partir de ce constat – dont nous verrons que nous ferons le même en France – il fait l’hypothèse que les valeurs majoritaires, en particulier les aspirations majoritaires, de ces micro-milieux peuvent fonctionner comme une norme et avoir un effet socialisant de telle sorte que les individus du groupe s’y conforment.

La question qu’il se pose alors est concrètement de savoir si un enfant d’ouvrier à plus de chances de développer des aspirations élevées (notamment en terme d’études supérieures) et des valeurs partagées par les enfants de cadres ou « middle-class children » s’ils sont dans un lycée à recrutement majoritairement favorisé. Se situant dans le paradigme du poids de la structure sociale sur l’individu, mais contextualisé à l’école, il teste cette hypothèse avec des « valeurs » relatives à l’école telles que les aspirations des élèves. Interrogés dans 13 lycées, des jeunes garçons se sont exprimés, entre autres sur leurs projets d’avenir leurs intentions de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur ainsi que sur la durée et la nature des cursus

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envisagés. Par une série de tableaux croisés dont nous en présentons un extrait à titre d’exemple (tableau n°4), il démontre que l’effet de la composition sociale de l’école renforce l’effet de l’origine sociale individuelle.

Tableau 4: Pourcentage d'élèves souhaitant aller à l'université selon le type d'école et la catégorie professionnelle du père (Wilson, 1959).

School Group1 Fathers’ occupation A B C Professionnal 93% 77% 64% White colar 79% 59% 46% Self employed 79% 66% 35% Manual 59% 44% 33% Source : Wilson, 1959.

Les variables de contexte jouent donc au-delà des variables individuelles (elles-mêmes contrôlées) sur les aspirations scolaires, professionnelles. Elles semblent également affecter la réussite scolaire et les préférences politiques.

Même si l’effet de la composition sociale de l’école est mis en évidence au-delà de l’origine sociale mesurée individuellement, on reprochera à Wilson de ne pas démontrer le caractère normatif du groupe de référence et d’en spéculer l’effet. Si ce processus, sur lequel nous reviendrons en détail, n’est en effet pas démontré à travers cette étude, nous retiendrons cependant de ce travail la nécessité d’ajouter des variables contextuelles et inhérentes au contexte scolaire dans la compréhension de la formation de valeurs et des aspirations scolaires et professionnelles.

Un certain nombre de recherches, qui à cette époque, sont méthodologiquement limitées aux analyses tabulées vont mettre à leur tour en évidence l’effet des caractéristiques du contexte scolaire (dans des degrés plus ou moins importants), au-delà des caractéristiques individuelles, sur les aspirations scolaires et professionnelles (Turner, 1964 ; Coleman et al, 1961, Michael, 1961; Sewel et Armer, 1966, Boyle, 1966). Citons tout d’abord, parmi elles, 2 œuvres majeures aux Etats-Unis : « The Adolescent Society » (Coleman et al, 1961) et « The Social Context of Ambition » (Turner, 1964).

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Il s’agit d’une typologie de lycées selon la profession, le niveau d’éducation, la race et la religion des parents d’élèves de telle sorte que les écoles A regroupent à la fois un forte proportion d’élèves favorisés (c'est-à-dire dont les parents ont un niveau élevé d’éducation et un poste de cadre, de race blanche…) et une proportion faible d’élèves défavorisés, réciproquement les lycées de type C se trouvent à l’opposé accueillant majoritairement des élèves défavorisés.

Dans « The Adolescent Society », James Coleman, étudie les adolescents et met en évidence leur indépendance par rapport à la socialisation parentale ; une socialisation secondaire semblant faire concurrence à la socialisation familiale. En découle une analyse du rôle de l’environnement scolaire, et notamment des pairs, par rapport à celui des parents sur les projets des jeunes. Quand l’origine sociale est contrôlée, les jeunes ont plus de chances de vouloir aller à l’université quand ils sont dans des établissements à proportion d’élèves favorisés « middle-class children » élevée. Il base ses conclusions sur une étude empirique dans 10 lycées de composition sociale contrastée dont 2 sont situés en zone métropolitaine. L’effet contextuel semble également plus élevé en ville qu’à la campagne et semble également légèrement plus élevé chez les garçons que chez les filles. On retrouve la même chose dans les études qui, contrairement à Wilson (1959) se basent sur un échantillon mixte et de zone urbaine et rural.

Une autre oeuvre majeure, se situant toujours dans la lignée des travaux sur les effets de la structure sociale sur les conduites individuelles, est celle de Ralph Turner. Dans « The Social Context of Ambition », il met en évidence à partir d’un échantillon de 10 lycées à Los Angeles (on lui reprochera tout comme à Wilson son échantillon trop métropolitain) un effet du lycée sur l’ambition. L’originalité de son étude est de construire des indicateurs synthétiques de l’origine sociale ou « social background » et de l’ambition. Ce dernier indicateur est construit à partir de plusieurs éléments : les aspirations scolaires, les aspirations professionnelles et matérielles. Après avoir contrôlé l’origine sociale, le type de lycée (selon sa composition sociale) joue sur ce degré d’ambition.

Finalement, ces premiers travaux vont mettre en évidence un effet de la composition sociale du lycée sur la propension à vouloir poursuivre des études supérieures, avec des variantes dans la construction des échantillons et des variables dépendantes et explicatives. Quoi qu'il en soit à cette époque, quel que soit le niveau de mesure des aspirations, il ressort globalement que si le poids de l’environnement scolaire semble aussi important que celui de la famille dans les grandes agglomérations, il est moins important que le poids de la famille dans les zones urbaines plus petites et dans les zones rurales. Il semblerait également, ce qui est plus ténu et moins robuste que cet effet de l’environnement scolaire soit également plus élevé chez les garçons que chez les filles.

Contexte ségrégué et climat normatif ?

Dans la même lignée, d’autres recherches tentent de creuser d’autres pistes comme celle du climat qui pourrait, du fait de la composition sociale différente des écoles avoir un effet sur les aspirations. Citons par exemple, les travaux de Michael (1961). Tout comme Wilson, il part du constat que certains lycées envoient davantage d’élèves à l’université que d’autres. Il se demande donc si, au-delà du niveau scolaire et de l’origine sociale des élèves qui sont les 2 principaux facteurs prédisant l’entrée à l’université, le contexte scolaire a un impact sur la propension à vouloir entrer à l’université. Il teste l’hypothèse que le « climat » varie d’un lycée à l’autre, et de fait peut agir en plus des caractéristiques individuelles sur les aspirations des jeunes. En plus de la composition sociale envisagée par Wilson, Coleman ou Turner, il créé une typologie de lycées intégrant également des dimensions relatives à l’école et à son environnement (présence de conseiller d’orientation, d’une bibliothèque) ainsi que le degré d’aspirations et le niveau scolaire moyen du lycée. De cet ensemble de caractéristiques il définit 5 climats d’école différents qui sont corrélés à la réussite des élèves, à caractéristiques sociales données. L’auteur conclut à un effet relativement modeste du climat sur les aspirations, comparé à celui qu’il semble avoir sur les résultats scolaires. Cependant, chez les bons élèves, le climat de l’école semble avoir un impact plus fort que celui de l’origine sociale.

Il rejoint donc les travaux de Wilson, Turner et Coleman et souligne un impact fort du climat essentiellement composé de la composition sociale des établissements sur les aspirations des jeunes à l’entrée à l’université. La typologie de Michael ajoute cependant l’idée d’une inégalité institutionnelle corrélée à la composition sociale du public d’élèves, puisque la présence de bibliothèques est plus fréquente dans les quartiers favorisés où sont situés les lycées favorisés, ce qui amène à se poser la question des mécanismes par lesquels l’effet de l’environnement scolaire joue sur les aspirations… Est-il vraiment du à un effet socialisant du groupe ou est-il lié à d’autres caractéristiques liées à l’établissement, à d’autres de ses caractéristiques et à son efficacité ?