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III. Au cœur des inégalités de parcours, les inégalités de choix d’orientation

2. Inégalités de choix à l’entrée et dans le supérieur

Accès différenciés aux différents types de cursus…

A l’entrée dans l’enseignement supérieur, peu de recherches en France se sont intéressées aux inégalités de choix. Evidemment, les inégalités de choix qui ont précédé durant l’enseignement secondaire prédéterminent beaucoup les choix des étudiants (Lemaire et Leseur, 2005), mêlant ainsi les différences de choix, à des différences de possibles. Certes, il est aujourd’hui, plus fréquent d’accéder aux CPGE avec un baccalauréat scientifique, mais à série de baccalauréat identique les données récentes de la DEP ainsi que les travaux pionniers de l’IREDU permettent de constater des différences de comportement de bacheliers à l’entrée dans le supérieur et même à baccalauréat identique (Duru-Mingat 1979, 1988, Lemaire, 2004). Les facteurs déterminant le plus l’orientation post-baccalauréat est effectivement le baccalauréat obtenu, puis les résultats à celui-ci ; l’ensemble des études sur la question le démontre (Duru-Bellat et Mingat, 1988 ; Berthelot, 1989 ; Lemaire, 2004, 2005). Mais d’autres paramètres viennent nuancer cette tendance « méritocratique » déjà portée à mal par

l’ampleur de la sélection et de l’auto-sélection en amont, qui sont à nouveau l’âge, le sexe et l’origine sociale. Tout se passe comme si les inégalités de choix se poursuivent et se cumulent, même pour les « rescapés de la sélection et de l’auto-sélection ». Un bachelier S, à l’heure a encore, d’après les données du panel 1995, 2.8 fois moins de chances d’aller en CPGE quand il est de milieu populaire que quand il est de milieu supérieur (Lemaire, 2004). S’agit-il de sélection ou d’auto-sélection ?

… Sélection ou auto-sélection ?

A l’instar de Merle (Merle ; 1996a), sur la base de la comparaison des répartitions des aspirations d’élèves de terminale de différentes origines sociales à aller dans les différentes filières de l’enseignement supérieur et la proportion de ceux y ayant effectivement accès, on peut se faire une idée du poids de la sélection par rapport à l’auto-sélection. En effet, l’accès en CPGE étant le résultat d’une sélection sur une base théoriquement académique, pour vérifier que les inégalités d’accès citées plus haut sont le reflet d’une demande typée - dont nous verrons les raisons ensuite - à résultats donnés, et non d’une sélection, après une demande déjà typée socialement, encore défavorable aux élèves de milieu défavorisé, une comparaison des répartitions de la demande et de l’accès selon le milieu social, peut permettre d’envisager l’ampleur de la sélection et de l’auto-sélection1.

Les données dont nous disposons pour cette thèse, et que nous présenterons en détail (chapitre 4), permettent de comparer les proportions, selon le milieu social, des aspirations de futurs bacheliers à celles de leur accès réel dans le supérieur. Plus en détail, les données du Panel 95 de le DEP, ainsi qu’une enquête « jeunes », dans laquelle les élèves du Panel donnent, entre autre leurs aspirations à demander une CPGE, peuvent être comparées à leur accès dont on connaît, à partir d’un autre panel mais pour l’année 2002 le caractère typé socialement par l’étude de Lemaire (2004).

1 Même si ces comparaisons ne départagent pas d’une façon précise la part de la sélection et de l’auto-sélection elles permettent d’en voir l’ampleur surtout à partir de la comparaison de rapport multiplicatifs et logistiques entre des groupes sociaux et des populations « construits » de la même façon.

Tableau 2 : Sélection socialement marquée en CPGE, bacheliers 2002, S, à l’heure. Population : Bacheliers S (2002) à l’heure ou en avance.

Milieu favorisé Milieu défavorisé Ensemble Comparaison additive (différence en points) Comparaison multiplicative (ratio favorisé / défavorisé) Comparaison logistique (odds ratio) : (favo CPGE/favo pas CPGE) / (defCPGE/def pas CPGE)

Accès CPGE)

39,6 19,1 -- 20,5 2,1 2,8

Le « milieu supérieur » regroupe les chefs d’entreprise, les cadres et les professions libérales, ainsi que les enseignants ; le milieu populaire regroupe les employés et les ouvriers.

Source : Lemaire (2004) - Données panel de bacheliers 2002.

Tableau 3 : Auto-sélection socialement marquée en CPGE, bacheliers 2002, S, à l’heure. Population : Terminales S (2002) à l’heure (sous échantillon des futurs bacheliers).

Milieu favorisé Milieu défavorisé Ensemble Comparaison additive (différence en points) Comparaison multiplicative (ratio favorisé / défavorisé) Comparaison logistique (odds ratio) : (favo CPGE/favo pas CPGE) / (defCPGE/def pas CPGE) Souhaite faire une CPGE 29.94 15.26 23.25 14.8 2 2.3

Le « milieu supérieur » regroupe les chefs d’entreprise, les cadres et les professions libérales, ainsi que les enseignants ; le milieu populaire regroupe les employés et les ouvriers.

Source : Nos calculs. Données panel 1995 de la DEP, enquête « jeunes », 2002.

La lecture simultanée des tableaux 2 et 3 permet donc, de manière imparfaite, de constater que si les bacheliers S à l’heure de milieu populaire ont 2.1 fois moins de chances d’être en CPGE que ceux de milieux supérieurs ils sont aussi 2 fois moins nombreux à en faire la demande. Au final, le rapport de chance d’envisager une CPGE est légèrement moins élevé que celui d’y être effectivement admis, ce qui veut dire que la demande semble légèrement moins typée que l’accès. Ce dernier point permet d’apporter 2 nuances. 1/ Même si la demande semble moins typée que l’accès, il s’agit, en fait d’une aspiration et d’une intention de demande et non d’une demande effective. De fait, il est possible qu’une auto-sélection se soit manifestée entre l’intention de demande et la demande réelle. Quoi qu'il en soit, 2/ l’importance de l’auto-sélection (odds ratio = 2.3, tableau 3), au niveau d’une simple intention d’en faire la demande, est cependant assez proche de celle de l’accès véritable en CPGE (odds ratio = 2.8, tableau 2) pour conclure que le phénomène d’auto-sélection semble majoritaire dans l’explication de l’accès socialement différencié.

Il s’agirait donc plutôt, pour l’accès en CPGE, d’une sélection qui, après une auto-sélection socialement marquée aurait tendance à entériner des demandes différentes, de la même manière que cela a été constaté de façon plus pertinente et avec les données adéquates et longitudinales pour les paliers d’orientation antérieurs. C’est en tout cas ce que semblent

démontrer les conclusions du rapport du CNE sur l’université (CNE - 2004) sur l’accès et la sélection en CPGE, entre autres en parlant de la baisse de leur sélectivité ainsi que celle de l’ensemble des filières « fermées » de Bac+2.

Cet ensemble de travaux montre combien la question des choix d’études et en filigrane celle des aspirations des élèves et de leur famille est primordiale pour comprendre les inégalités de carrières scolaires. D’autant plus que, les aspirations jouent non seulement sur les choix d’études mais aussi sur la réussite des élèves ; le lien entre aspirations et réussite ayant été mis en évidence dans la littérature anglo-saxonne.

Reste donc à se poser la question de l’origine des aspirations scolaires et des facteurs pris en considération par les élèves pour qu’à caractéristiques et passés scolaires équivalents ils ne fassent pas les mêmes choix par rapport aux filières les plus académiquement sélectives ? La nature du système d’enseignement supérieur avec, certes des logiques disciplinaires permettant cependant des recouvrements, ainsi que la dualité entre les filières « ouvertes » et « fermées » pour des formations dans des disciplines identiques, rend possible des inégalités de choix et de logiques de choix (Berthelot, 1989). Mais pourquoi constate-t-on cette auto-sélection typée de façon récurrente ? S’agit-il de différences culturelles, de différences d’aspirations professionnelles (impliquant de ce fait une rationalité de l’individu effectuant son choix sans faire explicitement un choix rentable en matière d’efficacité interne et externe de la filière), de différences d’informations, d’offre et de moyens économiques ? Nous allons voir comment les modèles théoriques ont permis d’interpréter ces phénomènes ainsi que leurs limites intrinsèques.

Avant cela, il est important de terminer brièvement notre état des lieux des inégalités de choix et de leur cumul progressif par les inégalités de parcours d’étudiants dans le supérieur mis en exergue par quelques travaux.

Les inégalités de choix se poursuivent dans le supérieur

L’enseignement supérieur étant très diversifié, l’entrée dans différents cursus (Université et CPGE versus le technique court) n’engage pas la même durée, et les mêmes orientations, réorientations, abandons.

Cependant, en DEUG, les études traitant des abandons montrent toujours qu’ils sont aussi socialement typés, à caractéristiques scolaires comparables (notamment Felouzis, 2001).

De même, certaines études se sont intéressées au palier d’orientation suivant et à la poursuite d’études après un bac+2. Avant le LMD, l’adéquation du niveau de sortie des filières technologiques courtes avec celui des CPGE et du DEUG, faisait qu’on pouvait envisager les poursuites d’études après chacune de ces filières. Il est par exemple possible, pour des bons élèves de tous ces cursus, d’intégrer une école d’ingénieur, ou du moins d’en tenter l’accès. La réussite en école d’ingénieur, passée cette sélection et/ou auto sélection n’étant pas empreinte des cursus antérieurs (Adangnikou, Duru-Bellat et Kieffer, 2003).

Les quelques recherches s’étant intéressées à la poursuite d’études après un bac+2, et principalement après une filière de technique court (BTS ou DUT), montrent qu’il y a encore des biais sociaux qui jouent sur la poursuite d’étude. Dans le contexte socio-économique actuel de difficultés d’insertion professionnelle et de chômage, la tendance est à la poursuite d’études de plus en plus fréquente et cela, même après les filières professionnelles que sont les BTS et les DUT, à finalité courte.

En effet, les poursuites d’études passent de 25% après un BTS et de 38% après un DUT en 1984 à respectivement 39% et 63% en 1992. Elles ont surtout lieu à l’université en 2nd et 3ème cycles ainsi qu’en écoles de commerce et d’ingénieur (Cahuzac et Plassard, 1997 ; Gendron, 2000). Or ces poursuites, si elles sont de plus en plus fréquentes le sont aussi quasi systématiquement plus souvent chez les étudiants d’origine sociale favorisée, et cela « toutes choses égales par ailleurs » (Cahuzac et Plassard, 1997).

Toutes ces inégalités de choix témoignent de leur importance dans les inégalités aussi bien sociales, ethniques ou sexuées de parcours scolaires et par voie de conséquences de mobilité sociale. En effet, nous avons vu que les diplômes et niveaux de sortie du système éducatif joue de manière significative sur l’insertion professionnelle et le salaire, même si nous savons qu’ils expliquent qu’une partie de la position et de la mobilité sociale (Duru-Bellat 2002, 2006). Après ce constat, du caractère essentiel des différences de choix et d’aspiration sur les parcours, il reste donc à revenir sur les interprétations théoriques qui ont été faites de ces différences dans le chapitre suivant.