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III. Au cœur des inégalités de parcours, les inégalités de choix d’orientation

1. Inégalités de choix dans le secondaire

Pour soutenir la thèse selon laquelle les inégalités de choix sont plus importantes dans un système démocratisé quantitativement (Prost, 1986 ; Goux et Maurin, 1997) et surtout très diversifié d’un point de vue horizontal (c'est-à-dire à un niveau donné), il suffit de regarder l’ampleur des inégalités de « choix » de langues et d’options au sein du collège unique. Les travaux de la DEP montrent notamment les inégalités sociales de choix de l’option allemand ou latin et leurs conséquences en termes de contexte de scolarisation. (Caille, 1996 ; Cibois, 1996).

Ensuite, les différents paliers d’orientation dans le secondaire ont été analysés, principalement par les chercheurs de l’IREDU et ont mis au jour des inégalités, sociales en particulier, de carrière scolaire, relevant pour bonne partie d’inégalité d’orientation. Ces

inégalités d’orientation étant quant à elles pour moitié dues à l’auto-sélection des familles d’origine sociale défavorisée. Les demandes moins ambitieuses des familles les plus modestes, n’étant pas « revues à la hausse » dans notre système d’orientation, basé principalement sur les vœux des familles1, sont ainsi entérinés. Ce constat a été fait pour le palier de fin de 5ème, (Duru-Bellat et Mingat, 1988) supprimé depuis, mais auquel se substitue le palier de fin de troisième dont le fonctionnement est similaire2. Les chercheurs montraient qu’à ce palier d’orientation les inégalités de choix pèsent autant que celles de réussite scolaire. Donc en d’autres termes, la moitié des inégalités de parcours à ce palier sont dues à des phénomènes d’auto-sélection de la part des élèves issus de familles modestes.

D’autres études de la DEP, portant sur le Panel 1989 et plus récemment sur le panel 1995, montrent aussi ces diversités de demande d’éducation à la fin du collège : les milieux cadres et enseignants demandant de manière systématiquement plus fréquente, à résultats identiques, le passage en seconde générale et technologique (DEP, 2003 ; Grelet, 2005)

Le fait que, dans le mécanisme d’orientation ce sont les « choix » des familles qui sont avant tout pris en considération (puisqu’ils ne sont pas revus à la hausse quand cela est nécessaire), rend les inégalités sociales d’autant plus légitimes. En effet, les « goûts » et « préférences », de chacun, même s’ils cachent les stratégies des uns et l’absence de stratégie des autres, sont respectés, alors qu’ils n’entraînent pas les mêmes avantages et perspectives. C’est là que l’intérêt de comprendre les facteurs à l’origine des choix inégaux prend toute son ampleur ; il s’agit de l’objet principal de cette thèse.

Au total, il semblerait globalement qu’à ce stade de la scolarité les inégalités de choix et d’orientation expliquent un tiers des inégalités de carrières scolaires entre enfants de cadres et enfant d’ouvriers (Duru-Bellat, Jarousse et Mingat, 1993), lesquelles différences sociales de choix sont d’autant plus importantes que les élèves sont moyens et moyens faibles ; quand ils sont bons, les inégalités sociales d’auto-sélection sont moins marquées.

1 Pour plus d’informations sur le palier d’orientation en fin de cinquième puis de 3ème voir Esquieu et Bertrand, 1996, « L’orientation des élèves au sein de l’enseignement secondaire depuis vingt ans », revue Education et Formation, numéro 48, pp 57-70.

2 En 1991, le palier de fin de 5ème a été déplacé en fin de 3ème ; mais il s’agit toujours à ce moment là du palier d’orientation proposant la plus grosse distinction au sein du système éducatif puisqu’après les élèves s’orientent et sont orientés vers les voies générales et techniques ou professionnelles.

Ce constat n’est pas une spécificité française : « Cette importance des inégalités de trajectoire tenant spécifiquement aux choix scolaires – de l’ordre de la moitié – est régulièrement avérée dans la sociologie européenne (cf. par exemple pour la suède Erikson et Jonsson, 2000, pour la Grande-Bretagne, Kerckhoff, Fogeleman et Manlove, 1997). De plus, avec l’expansion des scolarités dans un système qui se complexifie, les inégalités afférentes à l’orientation sont appelées à prendre de plus en plus d’importance. » (Duru-Bellat et Van Zanten, 2006 ; p.51).

Après ce palier déterminant, puisque c’est là que se fait la distinction entre enseignement professionnel et enseignement général, un autre choix va alors différencier les non sélectionnés (et auto-sélectionnés) se trouvant dans l’enseignement général, en classe de seconde. Il s’agit pour les élèves de « choisir » leur série de baccalauréat, dont on sait l’incidence en termes de parcours dans l’enseignement supérieur (Baillif, 2006).

Différentes études laissent apparaître des inégalités sociales de choix de la série de baccalauréat (Jarousse et Labopin, 1999 ; Le Bastard-Landrier, 2004). Encore une fois, on se rend compte que si des inégalités de réussite différencient les élèves et les divisent en diverses filières, les inégalités sociales de choix semblent quant à elles d’autant plus importantes que l’on monte dans l’échelle scolaire. Si au collège, les choix d’options des familles entraînent de meilleurs contextes d’enseignement (classes et établissements proposant les langues et options choisies), au lycée, les choix d’options (latin, entre autres, qui n’a pas de rapport particulier avec la filière scientifique) toujours socialement marqués sont propices à l’accès aux séries de baccalauréat les plus rentables à l’entrée dans l’enseignement supérieur et notamment la série scientifique. De même, les élèves de milieux populaires maintiennent moins que les autres leur vœu provisoire pour la filière S à l’issue du conseil de classe du second trimestre (Jarousse et Labopin, 1999). Quant à la demande d’orientation en première S elle est aussi systématiquement moins élevée de la part des enfants défavorisés et cela toutes choses égales par ailleurs (Le Bastard-Landrier, 2004).

Au lycée, il n’y a plus, à niveau scolaire en début d’année égal, de différences de réussite en fonction de l’origine sociale, l’essentiel des différences sont donc des différences de choix d’option puis de série de baccalauréat, lesquelles prédéterminent de plus en plus les poursuites d’études. (Duru-Bellat, 2002)

Les différences sexuées que nous n’avons pas encore évoquées jusque-là constituent aussi des inégalités de choix importantes dans le secondaire : dans l’ensemble des travaux sur inégalités de choix que nous avons cités ici, une spécificité des choix des filles est aussi constatée. Si elles ne s’auto-sélectionnent pas à l’entrée en seconde générale elles le font ensuite à l’égard de la filière S et nous le verrons aussi pour l’enseignement supérieur à l’égard des filières les plus sélectives ou « fermées » (Duru-Bellat et al., 1993, Jarousse et Labopin 1999, Lemaire et Caille, 2002 ; Lemaire 2005, Ananian et al. 2005). Cependant, c’est l’auto-sélection à l’entrée en première S qui semble plus avoir une incidence sur l’orientation post-bac qu’une nouvelle auto-sélection lors de l’orientation post-bac. (Baudelot et Establet 1992, Duru-Bellat et al., 1993, Merle 1996b).

De même, des choix différenciés et des aspirations selon l’origine migratoire des familles immigrées et de leurs enfants sont constatés et souvent à l’encontre des choix parfois « attendus » socialement (Zeroulou 1985, Brinbaum 2002, Brinbaum et Kieffer, 2005).