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II. D’autres facteurs individuels jouent sur les aspirations

1. L’origine migratoire joue au-delà de l’origine sociale

Les travaux qualitatifs précurseurs, dans le contexte français, de Zéroulou en 1988, démontraient que la réussite exceptionnelle que l’on pouvait constater pour certains enfants issus de l’immigration était en partie attribuée à des attentes spécifiques de leurs familles ; ils ont donné naissance à un certain nombre de recherches quantitatives sur les enfants d’immigrés. Il y a d’abord le constat par Vallet et Caille (1996) de meilleurs parcours dans

l’enseignement secondaire, des enfants d’immigrés, à niveau social donné à partir des données du Panel 1989 de la DEP, en en attribuant la cause éventuelle à des aspirations plus élevées. Ils constatent en effet également que, toutes choses égales par ailleurs, les familles immigrées ont des aspirations scolaires plus élevées. Ce constat d’aspirations plus élevées dans les familles immigrées est confirmé par des travaux plus récents (Brinbaum, 2002 ; Brinbaum et Kieffer, 2005) qui, mettront en évidence des différences au sein même du groupe des « immigrés ».

On sait dès lors que les familles immigrées, en particulier les familles maghrébines, ont des aspirations plus élevées que les familles françaises, à niveau social donné, essentiellement portées vers des études longues et générales.

Il ressort en effet des données du Panel 95 de la DEP que les familles de milieu ouvrier, interrogées en 1998, c'est-à-dire alors que l’enfant est au collège, sont 47% à vouloir que leur enfant s’oriente vers un baccalauréat général1 et 33 % à considérer que le diplôme utile pour trouver un emploi est un diplôme d’enseignement supérieur quand les 2 parents sont maghrébins, alors que les familles « françaises », de la même catégorie socioprofessionnelle ne sont que, respectivement 28% à souhaiter une orientation en baccalauréat général et 17% à considérer un diplôme d’enseignement supérieur comme le diplôme utile pour trouver un emploi. Or les enfants d’origine maghrébine sont plus fréquemment en situation d’échec scolaire (à être ne retard de plus d’un an, même si cela peut également provenir d’une entrée plus tardive à l’école) (Brinbaum et Kieffer, 2005).

Ces constats nous permettent de relativiser le poids de la structure strictement sociale, ainsi que celui de la « rationalité », et à la fois de s’y conformer.

En effet, il semble que, par delà l’origine sociale, prévaut une identité et une diversité entre les différents groupes selon l’origine nationale puisqu’au sein des ouvriers on a des différences importantes entre Portugais, Français et Maghrébins. Or, si les aspirations des Maghrébins sont plus élevées, cela remet en cause à la fois « l’intériorisation des possibles » via un habitus de classe et à la fois la rationalité de ces familles, car leurs enfants sont plus

1 Les familles devaient se prononcées entre plusieurs orientations secondaires possibles : « vie active », « apprentissage », « CAP ou BEP », « Baccalauréat professionnel », « baccalauréat technologique », et « Baccalauréat général ».

fréquemment en situation de retard scolaire. Compte tenu de leur condition ouvrière, ils ont donc moins de chances de réussir dans les voies générales et dans l’enseignement supérieur. De même, trouver un emploi, à qualification équivalente, pour un jeune d’origine maghrébine est plus difficile1. Si on ajoute à cela les faibles ressources de ces familles, en terme de revenu, lié au fait qu’elles ont en général un nombre d’enfants plus élevé, tout converge pour dire que ces aspirations ne sont pas « rationnelles » au sens économique et Boudonnien du terme : « Les ambitions des enfants français d’origine semblent plus réalistes que celles des jeunes issus de l’immigration, » (Brinbaum et Kieffer, 2005, p 69)

Leur spécificité est-elle donc culturelle ? Y aurait-il donc un habitus spécifique des familles immigrées qui viendraient de leur parcours migratoire et témoignerait d’une dynamique de mobilité aussi bien géographique que sociale ? L’école en serait le centre. De même, la condition ouvrière de ces familles est le résultat même de l’immigration qui a pu s’accompagner d’un déclassement social… dans ce cas les aspirations seraient sans doute moins irrationnelles au vu de la « situation de départ » avant l’immigration. Il est vrai que ces constats soulèvent de nombreuses interrogations quant aux processus qui en sont à l’origine. Ils remettent en partie en cause les modèles théoriques où ce serait surtout la position sociale qui serait vecteur d’aspirations scolaires.

Les processus de transmission culturelle et de choix rationnel sont cependant dans certains cas applicables. En effet, les aspirations familiales semblent se transmettre - ce qui traduirait une forme d’héritage culturel familial - aux enfants puisque les aspirations scolaires à l’égard des études supérieures sont également plus élevées chez leurs enfants que chez les jeunes de parents français et cela à résultats scolaires équivalents : « La comparaison des aspirations des parents (en 1998) avec celles de leurs enfants (interrogés en 2002) montre un certain nombre de convergences : des ambitions plus réduites – liées à des carrières scolaires plus difficiles – dans les familles ouvrières et employées et chez leurs enfants, des ambitions scolaires plus élevées dans les familles immigrées comme chez leurs enfants, témoignant d’une persévérance plus soutenue à résultat scolaire comparable. » (Brinbaum et kieffer, 2005, p. 67).

1 Voir pour cette question les différentes publications du Céreq, notamment ici le Bref 226 : Silberman R. et Fournier I., 2006 « Jeunes issus de l’immigration : Une pénalité à l’embauche qui perdure... ».

Un dernier constat semble être pertinent ici, c’est celui portant sur la même population (les données du Panel 95 de la DEP) que pour l’étude de Brinbaum et Kieffer (2005), fait par Caille et O’Prey (2005) d’une estime de soi plus élevée des enfants d’originaires du Maghreb et d’Afrique noire toutes choses égales par ailleurs par rapport aux élèves français. Faut-il l’associer à des aspirations plus élevées ? Nous y reviendrons.

Au vu de ces constats, il nous semble intéressant donc d’intégrer la variable origine migratoire à notre analyse de compréhension globale des aspirations, mais ce n’est pas là le cœur de notre travail. En effet, contrôler les effets liés à cette variable individuelle est indispensable mais en envisager les processus à l’œuvre ferait, on l’a vu, l’objet d’une autre thèse.