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I. L’explication du poids de l’origine sociale

2. Boudon, Les économistes, et le modèle de l’acteur rationnel

De la théorie du capital humain…

Dans une toute autre perspective, les économistes, tout comme les psychologues, ont tendance à percevoir le comportement humain de façon générale, universelle et par delà les groupes sociaux : ils essaient de définir une logique d’action commune à tous les individus, quels que soient leur classe sociale ou leur genre, basée sur la rationalité, l’investissement et la rentabilité de celui-ci en terme d’utilité. De fait, les économistes de l’éducation ont donc tendance à expliquer les logiques de choix individuels et de « demande » d’éducation par une conduite rationnelle et commune à tous basée essentiellement sur la rentabilité monétaire du capital humain dans lequel on investit (Becker, 1964). Ainsi, l’élève et sa famille sont des agents économiques consommateurs d’école, et de formation. Leur demande d’éducation, puisqu’elle occasionne des coûts, doit être, selon le principe de tout investissement, rentable. En suivant telle ou telle formation, ils espèrent occuper par la suite un emploi mieux rémunéré du fait des compétences (ou capital humain, incorporé en partie durant les études). De ce fait, avant de formuler un choix d’orientation, ils observent les coûts occasionnés par la formation (coût direct et coût d’opportunité) ainsi que sa durée. Ensuite ils comparent ces coûts aux bénéfices escomptés par cette formation, afin de considérer l’investissement comme rentable ou non. Les agents économiques consommateurs d’éducation font donc des choix de manière rationnelle en ne prenant en compte que la rentabilité. De fait, pour Becker, l’éducation se poursuit tant qu’elle est rentable.

… A la théorie de l’acteur rationnel

S’inspirant de ce modèle mais, fort du constat d’inégalités sociales, Boudon (1973), qui s’oppose à la thèse selon laquelle ces inégalités peuvent être le résultat d’un déterminisme culturel, développe un modèle de choix éducatif qui part de l’acteur et intègre une dimension sociale. Il part du constat de Keller et Zavalloni (1964) selon lequel les différences d’aspirations socialement marquées ne sont pas le fait d’aspirations moins élevées mais le résultat d’aspirations relatives à la position dans l’échelle sociale. Tout comme les

économistes, Boudon considère l’acteur comme un agent doté d’une rationalité à l’origine de ses choix1. En effet, les régularités sociales observées, ne sont pas liés à une demande d’éducation plus faible dans les groupes sociaux défavorisés du fait d’une moindre valorisation de l’éducation et à une intériorisation des possibles, mais sont le résultat d’agrégation de comportements individuels dont l’ambition est à mesurer relativement à la position sociale. Un enfant d’ouvrier n’aura pas « besoin » de faire des études trop longues et trop prestigieuses pour se retrouver au terme de sa scolarité dans une position sociale supérieure à celle de ses parents ; alors qu’un enfant de cadre ou un fils de médecin, aura des exigences supérieures pour atteindre une situation sociale au moins égale à celle de ses parents. Dans cette théorie, il y a un postulat selon lequel les gens cherchent une mobilité sociale ascendante ou du moins un maintien de la position dans l’échelle.

Ce postulat semble constaté dès 1978, puisqu’il semblerait qu’en terme de mobilité intergénérationnelle, chacun vise le niveau juste supérieur à celui de son père ; et rarement plus haut (Rousselet, 1974, cité par Duru-Bellat, 1988). Plus récemment cependant, certains constats ne corroborent pas toujours. En effet, une fois dans l’enseignement supérieur, les « étudiants », tels un « nouveau groupe social » semblent aspirer à des idéaux (de vie professionnelle et sociale) qui sont assez proches, indifféremment du milieu social d’origine. Si bien que la distance entre le genre de vie visée et le milieu d’origine est plus élevée chez les étudiants de milieu populaire que chez les jeunes cadres (Galland et al., 1995). Ces aspirations proches sont-elles le résultat d’une socialisation à l’université ? La situation dans la hiérarchie du système d’enseignement annulerait-elle celle dans l’échelle sociale ? Dans ce cas on se situerait néanmoins dans une logique d’aspirations « rationnelles » compte tenu d’une situation donnée, situation relative à la position et à l’environnement scolaire plus qu’à la position sociale. Le caractère dynamique de la position de laquelle découle le contexte

1 A travers l’habitus, Bourdieu, s’opposera à cette conception de l’acteur calculateur à la recherche de son intérêt. Même si le poids de la structure y apparaît moins fort que dans la Reproduction, dans le Sens pratique, rendant quelques fois sa théorie de l’action assez proche de celle de Boudon dans les faits, Bourdieu insistera sur le fait que l’habitus incorporé par chacun est le principe générateur des conduites et des choix, et qu’en conséquence elles ne sont nullement le résultat d’un calcul rationnel. C’est en refusant ce principe d’abord qu’il cherchera un compromis entre structuralisme et rationalité individuelle, ce qui apparaît très clairement dès 1974 « Faute de reconnaître autre chose que différentes variantes de l'action rationnelle ou de la réaction mécanique à une détermination (…), on s'interdit de comprendre la logique spécifique de toutes les actions qui sont raisonnables sans être le produit d'un dessein raisonné ou, à plus forte raison, d'un calcul rationnel; habitées par une sorte de finalité objective sans être consciemment organisées par rapport à une fin explicitement constituée; intelligibles et cohérentes sans être issues d'une intention intelligente et d'une décision délibérée; ajustées au futur sans être le produit d'un projet ou d'un plan. » (Bourdieu, 1974, p 3)

décisionnel ne semble pas avoir été pris en compte par Boudon. Cependant, même si le genre de vie visée diffère peu parmi les étudiants, universitaires seulement dans l’étude de Galland et al. (1995), leurs parcours et choix d’étude à l’issue du premier cycle restent typés socialement, on l’a vu dans le chapitre 1.

Quoi qu'il en soit, la spécificité de ce modèle est donc d’intégrer la logique de mobilité sociale sur la perception du rendement de l’investissement éducatif. En ayant au préalable présupposé que « la hiérarchie des niveaux scolaires est, en tout état de cause, perçue comme liée, de manière ordinale, à la hiérarchie des positions sociales » (Boudon, 1973 : Ed. 1979 p. 106). Dans cette logique c’est la position sociale de l’acteur rationnel qui va jouer sur tous les paramètres de la décision éducative ; décision qui se situe essentiellement chez Boudon en terme de choix verticaux : poursuivre ou non ses études : « «s'arrêter à e ou non », «s'arrêter à d ou non, ..., «s'arrêter à b ou non ». » (Op. Cit. p. 107). Ces paramètres sont donc, à l’instar de l’investissement éducatif décrit par les économistes, le rendement (ou utilité), les coûts et les risques liés à la poursuite d’études. La position sociale donc pèse sur chacun de ces paramètres servant à faire un arbitrage rendement / risque rationnel. Relativement parlant les familles de milieux populaires vont sous-estimer les bénéfices en terme de mobilité sociale, vont également, toujours relativement parlant aux moyens dont ils disposent, surestimer les coûts et les risques liés à l’investissement éducatif.

Les travaux récents et internationaux ont plus eu tendance à se situer dans ce paradigme que dans celui de l’habitus, ne serait-ce que pour la part d’initiative et d’indépendance relative qui y est donné à l’acteur. Cependant, si ce modèle peut convaincre pour expliquer des différences de « choix verticaux », c'est-à-dire poursuivre ou non à l’issue de la scolarité obligatoire par exemple ou à l’entrée dans l’enseignement supérieur sur la durée d’études envisagées, on peut toujours se demander comment interpréter des différences qualitatives à niveau donné, c'est-à-dire les différences sociales constatées à l’entrée en CPGE par exemple ? S’agit-il aussi toujours de stratégies d’acteurs où de goûts, et de l’intériorisation de l’interdit et du possible ?

Dans un contexte récent de démocratisation de l’enseignement, accompagné de diversification des filières et du maintien d’inégalités qualitatives d’accès à l’éducation, comme nous les avons constatées dans le chapitre 1, Breen et Goldthorpe (1997), se réclamant du modèle du choix rationnel « using a rational approach (…) we do not, therefore, invoke

‘cultural’ or ‘normative’ différences » (p. 265), vont y ajouter la dimension de « stratégie de distinction qualitative » à chaque niveau donné. Laquelle n’apparaissant pas de façon très explicite dans le modèle de Boudon de 1973. En effet, dans le modèle de Breen et Goldthorpe, la recherche de distinction et de prestige à chaque niveau donné est aussi, pour garantir l’ascension sociale, considéré comme un investissements éducatif dans lesquels les paramètres de décisions sont relatifs à la position de référence et aux ressources. Tout se passe comme si à l’intérieur des niveaux les distinctions « horizontales » ont des enjeux « verticaux ».

Mais dans le cas de distinction qualitative, posséder un capital culturel n’est-il pas un atout majeur pour dénicher les informations qualitatives sur le système, ses filières et ses enjeux ? ce point semblerait même dans le cas de stratégie donner un sens aux théories de l’héritage culturel.

Quoi qu’il en soit aujourd’hui la sociologie contemporaine et internationale se situe plus dans ce paradigme de l’acteur rationnel même si empiriquement des constats invitent à le relativiser de la même façon que d’autres constats invitent à relativiser aussi le modèle de Bourdieu.

Finalement, nous retiendrons de ce modèle, comme nous l’avons fait pour le modèle de Bourdieu et le principe de l’habitus, surtout les processus à l’origine des différences de choix éducatifs selon les milieux sociaux, à savoir essentiellement le principe de rationalité, la recherche de l’intérêt et d’une certaine mobilité relative. Cette mobilité recherchée est à l’origine d’une perception différente des coûts et des risques et d’un investissement d’autant plus important que le risque de perdre sa position est élevé, y compris en terme de stratégie de distinction qualitative (Breen et Golpdthope, 1997). Sans entrer plus en détail sur ce modèle, nous adresserons cependant la même limite que nous avons trouvée dans la sociologie de Bourdieu et Passeron, à savoir le faible impact du contexte scolaire dans lequel se situe l’élève au moment d’effectuer des choix.

Après avoir souligné les limites de ces 2 modèles, nous retenons donc les processus intéressants qu’ils mettent en évidence mais regrettons le caractère trop centré sur l’origine sociale individuelle. Finalement qu’en est-il au vu des tests et des résultats empiriques ? Un

tel débat sur les processus à l’œuvre à l’origine des choix individuels n’ignore t-il pas la portée explicative d’autres facteurs, relatifs à l’école et au contexte scolaire notamment ?

3. Théorisations autour des effets l’origine sociale : les limites des