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2194 Source : Duru-Bellat et al., 2004 ; données IPES, 2001

2. Du constat des différences de contexte aux effets contextuels :

Cet ensemble de phénomènes atteste qu’en dépit du caractère relativement centralisé du système d’enseignement, des disparités entre les établissements existent et que la qualité de l’offre n’est pas assurée.

Les travaux ethnographiques décrits plus haut ont tendance à décrire des climats propices à la réussite. On pourrait en déduire que c’est la concentration d’élèves défavorisés qui auraient des effets en tant que tels. Cela dit, dans ces contextes, les élèves y sont par définition individuellement d’origine sociale défavorisée, et on sait que cette caractéristique individuelle joue en elle-même sur la réussite des élèves.

De ce fait, il est nécessaire, pour dégager des effets contextuels au sens propre et non de simples effets de composition, ou d’agrégation des caractéristiques individuelles, de raisonner à caractéristiques individuelles données. La modélisation économétrique on l’a vu avec le rapport Coleman, a permis à la recherche quantitative de rechercher des effets spécifiques du contexte scolaire.

La recherche française, forte des constats des disparités contextuelles, s’est donc dès à la fin des années 80 et durant les années 90 intéressée aux différences entre établissements et aux conséquences qu’elles avaient sur la scolarité (essentiellement la réussite des élèves) ainsi qu’en matière de socialisation. De nombreux travaux empiriques ont donc constaté, depuis le début des années quatre-vingt en France et dans la lignée les travaux anglo-saxons, qu’en plus des caractéristiques individuelles, l’établissement scolaire ainsi que ses caractéristiques et celles de sa population peuvent avoir une influence sur la réussite scolaire des élèves ; aussi bien sur leurs progressions que sur un ensemble d’attitudes et de comportements favorables ou non à l’exercice du « métier d’élève ».

Les premiers travaux qui, en France, s’intéressent aux effets contextuels en éducation sont ceux de Duru-Bellat et Mingat, 1988. Un premier constat a d’abord été celui de l’« l’effet-établissement » : des élèves ayant les mêmes caractéristiques individuelles, celle-ci, ayant été contrôlées, peuvent réussir et s’orienter différemment selon leur contexte de scolarisation. L’établissement, telle une boîte noire, explique donc également une partie de la réussite des élèves et, de ce fait, « absorbe » une partie des effets des caractéristiques individuelles.

Dans la lignée de ces travaux, il en sera de même pour l’ « classe » et l’« effet-enseignant », qui montreront aussi la classe comme une unité particulière plus ou moins propice à la réussite des élèves ainsi qu’à l’efficacité des pratiques enseignantes.

On sait dès lors que l’environnement scolaire, dont on a vu quelles pouvaient en être les disparités en terme de public accueilli, d’enseignants et d’offre scolaire, joue sur la réussite des élèves et cela quelque soit leurs caractéristiques individuelles.

Forte de ce premier constat, la recherche en éducation, s’est donc intéressée à ce qui, à l’intérieur de la « boîte noire » que constitue l’école ou l’établissement, pouvait être à l’origine des différences de performance.

Dans la recherche anglo-saxonne, deux écoles se succèdent et font débat (cf. Dumay, 2004). Elles se situent dans la lignée des mécanismes générateurs des effets contextuels suggérés par Boyle, 1966 : les procédés managériaux et éducatifs et/ou les effets de la composition sociale en tant que telle.

Les recherches de la « school effectiveness » (« School Effectiveness Research ou

« SER »), recherchent des facteurs d’efficacité relevant des moyens mis en œuvres pour « produire » des résultats : les moyens matériels et humains tels que les pratiques managériales ou pédagogiques plus ou moins efficaces. Les travaux de la « school effectiveness », dans un contexte anglo-saxon, dans les années 70, ont produit un certain nombre de résultats, notamment les « facteurs d’efficacités » des écoles. Ces facteurs sont, pour les pays développés, principalement, liés aux caractéristiques du contexte – notamment des pratiques enseignantes et dans un degré moindre à des procédés managériaux – et très peu, aux moyens matériels. Les synthèses sur les recherches anglo-saxonnes sur la question en font état (Bressoux, 1994 ; Duru-Bellat, 2003), ils sont généralement au nombre de 5 :

 Les attentes élevées de la part des enseignants

 Des évaluations fréquentes des résultats des élèves

 Des pratiques centrées sur les connaissances de base

 Une direction forte, qui entraîne le dernier facteur

 Un climat de sécurité et d’ordre

Cependant, les effets de ces facteurs ne sont pas toujours robustes et les résultats de la SER ont du mal à être vérifiés dans tous les contextes et dans tous les pays. On constate par exemple des différences entre les résultats anglo-saxons et français. C’est aussi ce qu’il ressort des travaux de Sheerens, 1989 qui, tout en étant un des membres de la School Effectivness Research, teste ce modèle d’efficacité aux Pays-Bas.

De même, il semblerait que ces facteurs d’efficacité varient en fonction des écoles, et sont donc plus ou moins opérants en fonction du public concerné. C’est le cas de la gestion de la discipline par exemple, qui semblerait davantage liée à l’efficacité scolaire dans des contextes favorisés. On n’est pas efficace de la même façon avec tous les publics (Teddie et al, 1989 ; Grisay, 1993).

Vont suivre les recherches sur le « school mix » ou sur les effets de la composition sociale, scolaire ou ethnique essayant de dégager des processus liés à la fois aux apprentissages et au public d’élèves du contexte étudié. Elles mobiliseront des variables « agrégées », c'est-à-dire qui sont par définition des caractéristiques du contexte dépendant des individus le composant. En effet, la recherche sur le « school mix » pose le postulat que des facteurs liés à l’efficacité vont eux-mêmes dépendre du « school mix » et qu’en conséquence les facteurs de production des apprentissages décrits plus haut ne sont pas universels. Autrement dit, le public d’élèves joue à la fois sur les procédés managériaux, les pratiques des enseignants, et les attitudes des élèves (Thrupp, 1995, 1999). Concrètement la composition sociale du public d’élèves aurait un impact spécifique sur la réussite et les attitudes des élèves parce qu’elle jouerait en soi, par un certain nombre de processus et également sur les pratiques éducatives, les procédés managériaux, et les facteurs liés à l’efficacité. Dans ce sens, ces interprétations rejoindraient les conclusions de Grisay (1993) et permettraient de comprendre le manque de robustesse des résultats de la SER.

Evidemment, de la même manière que pour mettre en évidence l’effet établissement, il faut raisonner sous contrôle des caractéristiques individuelles, les effets de la composition doivent aussi être envisagés « au delà des effets de composition qui font que les écoles aux élèves de milieu défavorisé auront des résultats moyens mécaniquement amoindris (parce qu’individuellement ces élèves réussissent moins bien) ; au-delà aussi des effets de contexte généraux (qui font que des élèves comparables réussissent inégalement selon l’établissement ou la classe) » (Duru-Bellat & Suchaut, 2005).

Peu de recherches en France se sont intéressées aux effets spécifiques et nets de la composition du public d’élèves. Hormis les travaux qualitatifs, on peut recenser les travaux sur le regroupement en classe de niveau qui faisait ressortir que les élèves moyens et les élèves faibles progressent plus dans un contexte hétérogène ou dans une classe de niveau élevé ; ce qui n’est pas le cas des élèves forts qui font plus de progrès dans des classes de niveaux élevés que dans des classes au niveau hétérogène (Duru-Bellat et Mingat, 1997). Il s’agit davantage d’effet de l’ « academic mix » que du « school mix ».

A quoi est dû cet effet sur la réussite ? Comme le prétendent les tenant du « school mix » la composition sociale ou scolaire de l’école devrait jouer sur les facteurs d’efficacité. C’est ce que testent Opendakker et Van Damme (2001) en Belgique flamande et ils constatent que l’effet des facteurs d’efficacité a tendance à s’affaiblir dès lors que l’on introduit la composition sociale des établissements.

Les travaux de Felouzis, sur la ségrégation ethnique dans les collèges de l’académie de Bordeaux, déterminent que la réussite est associée au degré de ségrégation ethnique des collèges, et ce, toutes choses égales par ailleurs.

Retenons aussi l’étude de Goux et Maurin (2005) sur l’impact du voisinage qui conclut à un effet significatif de la composition sociale et scolaire du voisinage sur la réussite scolaire des élèves. Cet effet spécifique de l’environnement est constaté, à partir des données des enquêtes emploi.

Egalement sur la réussite, la recherche menée à l’IREDU en 2004, s’intéresse aux répercussions de la composition sociale et scolaire des établissements (lycées et écoles primaires) à la fois sur la réussite et à la fois sur des différences plus qualitatives d’un certain nombre de pratiques et de représentations des élèves et des enseignants. Si les effets nets de la

composition sociale sur la réussite sont faibles, cette dernière recherche s’intéresse aux processus qui pourraient être liés au « school mix » et par là même être associés à une meilleure réussite. Des effets significatifs sont constatés sur les attitudes des élèves et celles des enseignants (leurs attentes notamment). Ce qui confirme les tendances décrites par les travaux ethnographiques et les hypothèses émises par Thrupp (1995, 1999).

Plus que de s’attarder ici sur la description des effets et leur quantification à travers les travaux portant sur la réussite, nous souhaitons seulement retenir de cette évolution de la recherche en éducation qu’en France également, et au-delà des effets des variables individuelles, des variables écologiques jouent sur réussite, et en particulier que la composition des contextes de scolarisation (établissement, classe) a également un impact, et cela « toutes choses égales par ailleurs ». Alors que dans les pays où le système éducatif est moins centralisé et davantage ségrégué on a constaté cela depuis les années 60, en France, le contexte de scolarisation, dont on a vu le caractère ségrégué et inégal, fait aussi la différence, même si les effets y paraissent assez faibles (Duru-Bellat et al, 2004 ; Duru-Bellat et Suchaut, 2005).

En effet, des synthèses internationales sur les inégalités sociales de réussite confirment un effet significatif de l’environnement (école ou voisinage), même quand les précautions méthodologiques sont maximales (à savoir après contrôle d’un maximum de caractéristiques individuelles et contextuelles). L’effet est significatif sur la réussite, mais est très faible par rapport aux effets des caractéristiques familiales à l’intérieur de cet environnement (Breen et Jonsson, 2005).

S’ils sont faibles comparés au poids de variables individuelles, il faut cependant préciser qu’ils viennent s’ajouter au poids des caractéristiques individuelles et que les effets contextuels n’étant empiriquement mis en évidence que sur une année donnée, ces derniers peuvent venir se cumuler année après année pour des élèves fréquentant durant toute leur scolarité des contextes défavorisés.

Vu que les travaux quantitatifs récents et les travaux ethnographiques suggèrent, en France, un impact de l’environnement scolaire, non seulement sur la réussite (mesurée à travers les acquis scolaires) mais aussi sur une série d’attitudes favorables ou non au « métier

d’élève » (ce qui doit aussi ensuite être associé à la réussite), ce dernier point nous invite à deux interrogations.

Si la réussite et les attitudes des élèves sont influencées par le contexte scolaire, on peut se demander ce qu’il en est des aspirations scolaires ? Sont-elles contextualisées ? On a vu que cela semble être le cas aux états unis depuis les années 60, qu’en est-il dans le système éducatif français dans le contexte actuel et post-massification de l’enseignement ? Et est-on ou devient-on plus ambitieux dans des contextes plutôt que d’autres ? Dans certains établissements, nichés dans un contexte d’offre de formation spécifique, dotés d’enseignants spécifiques et d’un public spécifique, nous l’avons vu, plutôt que d’autres ? Est-on ou devient-on plus ambitieux dans certains types de formation plutôt que d’autres ? C’est principalement un des questionnements auquel nous tenterons de répondre empiriquement à travers cette thèse pour la transition entre l’enseignement secondaire dont on a vu les disparités en matière de « school mix » et l’enseignement supérieur dont on a vu le caractère diversifié en terme de finalité et d’enjeux (chapitre 1. II).

Nous ne nous attendons pas, compte tenu de la faiblesse des effets contextuels, à un impact fort, mais à un effet significatif venant s’ajouter au poids d’autres variables, ce qui, dans un système éducatif qui promeut l’égalité des chances, n’est pas sans incidences.

La seconde interrogation sera quant à elle celle des mécanismes par lesquels l’environnement scolaire exerce une influence sur les attitudes. Qu'est-ce qui fait que, par le seul fait d’être ensemble, des élèves développent des attitudes spécifiques selon le groupe dans lequel ils se trouvent ? C’est ce que nous nous proposons de voir dans la dernière section de ce chapitre, à la lumière des travaux anglo-saxons cités dans la première partie et à travers l’éclairage de certains travaux français en éducation.

Avant cela, faisons le point sur ce que les travaux français nous permettent de conclure quant à l’effet du contexte scolaire, plus spécifiquement sur les choix d’orientation et les aspirations scolaires aux différents paliers du primaire à l’enseignement supérieur.

3. Les travaux français et contemporains sur les aspirations : quel