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Faut-il en passer par la notion de genre pour définir la lecture de poésie ?

A. Représentations de la poésie

A.2. b. La poésie soumise à l’historicité de sa définition

C’est un spectacle fascinant de voir se faire et se défaire les grands thèmes et les grandes formes poétiques au cours des siècles.

Marguerite Yourcenar, La Couronne et la lyre, anthologie de la poésie grecque198

L’ascension du lyrisme comme critère de poéticité

Il ne sera ni possible ni utile de reconstituer ici tout un parcours critique-historique de la poésie. Karl Canvat199 salue avec justesse le renouveau de la recherche par la prise en compte simultanée de l’Histoire et de la question des genres. De fait, même si le cœur de nos enquêtes vise une

196VALERY Paul, Commentaires de « Charmes », Variété, Paris, Gallimard, coll.

« Bibliothèque de la Pléiade », p. 1510-1511.

197 RYAN Marie-Laure, « On the Why, What and How of Genric Taxonomy », Poetics, 10 (2-3), 1981, p. 110.

198 YOURCENAR Marguerite, La Couronne et la lyre, anthologie de la poésie grecque, Gallimard 1979.

199 « une histoire littéraire que l'on pourrait qualifier de "transtextuelle", c'est-à-dire à la fois structurale et historique (J.-M. Schaeffer, 1993). A la fois forme, institution et histoire, véritable "forme-sens" (H. Meschonnic) ou "trans-forme" (T. Todorov), la notion de genre est une entrée privilégiée pour cette histoire transtextuelle », CANVAT Karl, [en ligne] op. cit.

recherche en synchronie, il paraît impossible de caractériser la réception poétique sans rappeler au préalable le minimum de « conscience historique200 » qu’elle requiert.

Ce qui jette le trouble dans la définition de la poésie comme genre remonte aux poétiques antiques : Platon et Aristote n’ont pas inclus la poésie lyrique dans leurs systèmes générique et politique. Or, nous sommes aujourd’hui dépendants d’une conception de la poésie post-romantique qui recentre au contraire la définition de la poésie sur le critère du lyrisme201 : il n’est pas même une posture « anti-lyrique » de la poésie contemporaine qui ne s’y réfère inévitablement. Un retournement s’est opéré, à partir du Moyen-âge, estime Gérard Genette202. En effet, quand les Anciens ont fini par reconnaître la poésie lyrique, c’était encore de façon restrictive : Quintilien n’a pris en compte que l’ode illustrée par Pindare, Alcée et Horace, classés selon leurs degrés de gravitas. L’ode figurait alors parmi les sept genres poétiques (aux côtés de l’épopée, la tragédie, la comédie, l’élégie, l’iambe et la satire) qu’il convenait de lire pour devenir un orateur accompli.

Gustavo Guerrero203, quant à lui, situe la reconnaissance de la poésie lyrique par les critiques à l’époque de la Renaissance. Ce sont Minturno et Scaliger qui commencent à la promouvoir comme un élément à part entière dans la classification des genres, aux côtés de la tragédie, de la comédie et de l'épopée. Mais il faut, selon lui, attendre le XVIIème siècle en France et les traductions de Longin204 par Boileau pour appliquer à la notion de lyrisme le sens d’« exaltation ». Selon Jean-Michel Maulpoix c’est à la fin du premier quart du XIXème siècle que

200 RODRIGUEZ Antonio, Le Pacte lyrique, configuration discursive et interaction affective, Liège, Mardaga, 2003, p. 17.

201 « la poésie est originairement une énonciation subjective lyrique, Orphée faisant foi. Il ne put donc jamais y avoir eu disparition d’un être lyrique, comme l’avait déjà exposé K.

Hamburger, tout au plus y eut-il un refoulement. », BOGUMIL Sieghild, « Il y a encore des chants à chanter », Le Sujet lyrique en question, Modernités n°8, Presses Universitaires de Bordeaux, 1996, p. 55-68, p. 61.

202 Il faudra attendre le moyen âge pour « intégrer la poésie lyrique aux systèmes de Platon ou d’Aristote ».

202 GENETTE Gérard, « Introduction à l’architexte », Théorie des genres, Paris, Le Seuil, coll.

« Points », 1986, p. 109.

203 GUERRERO Gustavo, op. cit.

204 LONGIN, Traité de rhétorique, Traité du sublime, traduit par Boileau en 1674.

la notion et le mot même de lyrisme […] apparurent dans notre langue […]. Ils sont significatifs d’une conception nouvelle de l’acte créateur, perçu tel un moment d’élévation et d’emportement de l’être et du langage, prenant sa source dans la subjectivité du poète. 205.

Pourtant Guerrero explique que dès 1772, William Jones abandonne les derniers reliquats d’une conception aristotélicienne de la poésie comme mimesis et promeut la lyrique au premier rang des genres poétiques. La poésie devient dès lors l’art d’exprimer les passions en vers.

La poésie et le lyrisme ne se superposent donc que progressivement jusqu’au point culminant du Romantisme, sans s’équivaloir, et les spécialistes n’établissent pas tous la même chronologie. Contrairement à Victor Hugo qui situe le lyrisme entre l’épique et le dramatique, Hegel considère que le lyrique n’a pas de paradigme historique car son objet est trop mouvant. Mais en définitive, ce qui se dégage de ces débats, c’est que la poésie lyrique est devenue l’archétype de la poésie pure puis de la poésie moderne206. Ce qui pousse à la confusion entre le champ générique et son registre désormais dominant peut s’expliquer de plusieurs manières. D’abord, la révolution qui s’est opérée au XIXème siècle en reconnaissant l’individu comme le siège de référence de l’expérience esthétique a de profondes incidences sur les genres littéraires. Elle signe l’avènement de la poésie romantique, certes, mais couronne aussi l’écriture de soi et donne son impulsion à l’autobiographie. La poésie répond à ce contexte que Hegel estime propice au lyrisme. Or, de nos jours, l’individu demeure la référence existentielle, et les poussées épiques ou tragiques qu’ont provoquées les événements historiques du XXème siècle n’ont pas effacé la racine subjective et singulière du lyrisme ; bien au contraire, elles s’y sont moulées.

205 MAULPOIX Jean-Michel, La Voix d’Orphée, essai sur le lyrisme, Paris, José Corti, coll. « En lisant en écrivant », 1989, p. 26.

206 COMBE Dominique : « la poésie va récupérer la définition de ce qui n’était primitivement qu’un de ses « modes » - le lyrique. Au lieu d’être marginalisé, comme dans la Poétique d’Aristote, ou assimilé aux «petits genres », comme dans les poétiques classiques, le mode lyrique était devenu progressivement depuis le romantisme le mode dominant, l’aune de la littérature. De ce privilège dû au développement du lyrisme et de la subjectivité dans la littérature romantique découle sa valorisation dans le discours critique et dans les traités ultérieurs. », Les genres Littéraires, op. cit., p. 71.

Le second facteur que l’on peut avancer est certainement lié à un système de valeur. A côté du lyrisme, par exemple se sont toujours développés des jeux verbaux (une combinaison de la fonction poétique du langage et du registre comique), mais comment faire le poids ? La poésie lyrique est devenue l’étalon de référence, illustré de grands noms, auquel coïncident les enjeux de toute écriture poétique ; s’en écarter, en tant qu’auteur ou lecteur, c’est se priver de l’attestation de valeur. Toute poésie qui n’est pas lyrique est soupçonnée d’infériorité ou exclue du champ. Certains grands auteurs déjà classiques sont parvenus à atténuer cette hiérarchie : par exemple Tardieu, Queneau ou encore Vereghen. Mais le phénomène global relève bien de ce qu’Antoine Compagnon appelle la « revanche moderne du lyrique »207.

Enfin, l’adjectif « lyrique » est devenu l’objet d’un emploi extensif. La moindre assertion de subjectivité ou d’adhésion enthousiaste à l’énonciation incite à qualifier un poème de lyrique. On lira très peu de marques de la première personne chez Francis Ponge, ou même chez Bashô. Pourtant, c’est grâce au qualificatif de « lyrique » qu’on nommera leur élan d’adhésion au réel et au langage. La poésie, comme la peinture, parce qu’elles ne sont plus prioritairement narratives ou descriptives, sont pourtant souvent dites lyriques.

Le registre ou le type sont devenus des marqueurs génériques canoniques. Ce qui étonne presque, c’est que l’expression « poésie lyrique » ne soit pas encore un pléonasme208. Cette qualification demeure donc le signal d’un contexte littéraire historiquement situé, large époque où le poème se définit dans le geste de son énonciation. C’est dans cette conception large du lyrisme, conçu non comme épanchement personnel mais comme trace d’implication d’un sujet d’énonciation – qu’il s’agisse d’une projection de l’auteur ou du lecteur – que nous nous inscrivons.

207 « On assiste donc à la revanche moderne du lyrique, qui trouve une place, et la première, au sein de la poésie, et supplante les genres épique et dramatique, désormais exclus de la poésie. Le narratif, critère classique de la poéticité, est devenu critère moderne de prosaïsme. » Antoine Compagnon, site Fabula, op.cit.

208 COHEN Jean : « la poésie […] peut être dite « lyrique ». Non parce qu’elle exprime le

« moi » mais parce qu’elle fait chanter le sens. Mais alors toute poésie est lyrisme et les deux mots à la limite confondent leur sens. », Théorie de la poéticité, op.cit., p. 135.

La poésie : genre maudit, genre sacré

Le poète est chose légère, chose ailée, chose sainte, et il n’est pas encore capable de créer jusqu’à ce qu’il soit devenu l’homme qu’habite un dieu, qu’il ait perdu la tête, que son propre esprit ne soit plus à lui

Platon, Ion209

« La cité dont nous venons de fixer le principe est la meilleure, avant tout en raison des mesures prises à l’encontre de la poésie »

Platon cité par Alain Badiou, Petit manuel d’inesthétique 210

Au risque de n’effleurer qu’un poncif de la critique en poésie, le rappel de la condamnation des poètes par Platon211 n’est pas à prendre à la légère.

Elle inscrit à la fois l’admiration et la crainte qu’inspireront les poètes jusqu’à la figure romantique du « poète maudit », dont Jean-Luc Steinmetz212 reconnaît les prémices dès le XVIIIème siècle, et les réticences renouvelées au XXème envers le « poète engagé ». Reconnaître aux Anciens la paternité de cette représentation ambivalente du poète permet de soulever encore quelques-uns des enjeux de la parole poétique et de sa réception. L’abandon de la raison, les ivresses, la valeur suprême de la liberté et de l’insoumission cohabitent avec l’accès privilégié au monde des Muses et des dieux, à la transparence sacrée du verbe et au mystère de l’être. Ces deux paradigmes sont encore partiellement opératoires à travers les stéréotypes actuels mais aussi certains positionnements critiques et artistiques. C’est sur cette crête entre la langue des dieux et la langue des humains que se place par exemple Lamartine dans sa préface de 1849 :

209 PLATON Ion, trad. Léon Robin, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », tome 1, 1940.

210 BADIOU Alain, « Qu’est-ce qu’un poème, et qu’en pense la philosophie ? », Petit manuel d’inesthétique, Paris, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 1998, p. 31.

211 PLATON : « […] nous prierons Homère ainsi que les autres poètes de ne point se fâcher si nous les rayons ; non qu'ils soient dépourvus de poésie et que la foule n'ait pas de plaisir à les entendre, mais au contraire, plus il y a en eux de poésie, moins ils doivent être entendus par des hommes auxquels il faut que la liberté appartienne » p. 387, « C'est pourquoi le poète imitateur doit être exclu de la Cité : « un homme ayant le pouvoir [...] d'imiter toutes choses, un tel homme, s'il se présentait à entrer dans notre Cité [...], nous lui dirions qu'il n'y a pas chez nous d'homme comme lui dans la Cité, et qu'il n'est point permis qu'il en vienne à s'y produire » p. 398, livre III de La République, trad. Léon Robin, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », tome 1, 1940.

212 STEINMETZ Jean-Luc, Signets, José Corti, 1995.

Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse, et qui ait donné à ce qu’on nommait la Muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l’homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l’âme et de la nature.213

A l’origine divine et sacrée de la poésie succède la sacralisation romantique de la sensibilité humaine comme source du poème.

L’entrelacs entre la définition de la poésie et des textes sacrés questionne nécessairement. Comment distinguer textuellement Le Cantique des cantiques, un ensemble de sourates ou un extrait du Rig-Véda du champ générique de la poésie ? La différence s’exerce en amont, il s’agit de deux discours distincts, répondrait François Rastier. Mais la poésie est restée, dans l’imaginaire collectif, la langue des dieux, celle qui échappe au commun des mortels et qui notamment n’imite pas, puisqu’elle crée. Couper le cordon entre ces langues, divine et poétique, a d’abord été le travail d’Aristote et Platon.

L’abbé Batteux214 est parvenu en son temps à concilier la conception aristotélicienne et la crainte d’une confusion entre genres littéraires et textes sacrés : selon lui le poète mime des passions et des sentiments au moins partiellement feints. Ce parti pris permet de réintégrer la poésie lyrique à la Poétique puisque « on est passé d’une possibilité d’expression fictive à une fictivité fondamentale » explique Gérard Genette215. Les deux langues ne risquent plus la confusion car elles opèrent dans deux champs séparés par la frontière de la mimesis.

Mais le débat réactivé par Johann Adolf Schlegel montre que cette distinction n’est pas anodine : il n’est pas possible de concevoir la poésie lyrique comme une fiction imitative. La fracture entre le narrateur de fiction et le sujet d’énonciation en poésie est traversée par ce problème. Le sujet lyrique n’est pas de l’ordre de la fiction dans le sens d’une invention mimétique, Käte Hamburger a raison, mais il n’est tenu par aucun pacte de vérité référentielle. Il est autre. La conception pragmatique de l’acte poétique qu’on se propose

213 LAMARTINE, « Préface de 1849 » aux Méditations poétiques et Nouvelles Méditations poétiques, Paris, LGF/Livre de Poche, coll. « Classiques de Poche », 2006.

214 COMBE Dominique : « la poésie ne vit que de fiction », Poésie et récit, une rhétorique des genres, Paris, José Corti, 1989. p. 65.

215 GENETTE Gérard, « Introduction à l’architexte », op. cit., p. 115.

d’adopter découle aussi de ce débat. La poésie se définit à partir du seuil où elle s’affranchit du discours récréatif et décoratif à la surface du réel. A partir de là elle n’est pas tenue d’imiter le monde. Au-delà de l’opposition entre mimesis et poïesis, considérons que la poésie instaure non pas du réel, mais un accès à une voix qui n’a pas vocation à imiter mais à s’actualiser et, s’actualisant, à frayer un rapport au monde. Ce qui fait d’un texte un poème n’est pas sa capacité à créer un monde ni à le représenter, sa dimension pragmatique est d’un autre ordre.

Poésie, de la crise du vers à la crise du signe

Le poème est une réponse qui interroge Eugène Guillevic 216

Faire du silence avec du langage Jean-Paul Sartre 217

Enfin, le vers offre une entrée privilégiée pour approcher l’histoire générique de la poésie : nous avons vu à quel point il marque les stéréotypes véhiculés par les lycées. Pourtant,

La poésie peut exister sans le vers, voire sans aucune figure phonique, grammaticale ou rhétorique […]

explique Brigitte Bercoff retraçant la pensée de Hopkins218. La définition générique de la poésie interroge nécessairement la structure du vers et ses usages.

Depuis les Divagations de Mallarmé, il est coutumier, à propos du vers, d’employer le terme de « crise ». Jean-Michel Gouvard219, quant à lui, parle plutôt de « profonde réforme ». L’analyse distributionnelle d’un corpus de vers

216 GUILLEVIC Eugène, Vivre en poésie, Paris, Stock, 1980, p. 157.

217 SARTRE Jean-Paul Sartre « Orphée noir », Situations III, 1948.

218 BERCOFF Brigitte, La Poésie, Paris, Hachette Supérieur, coll. « Contours Littéraires », 1999, p. 118.

219 GOUVARD Jean-Michel : « J’ai appliqué l’analyse distributionnelle à environ 100.000 alexandrins français du milieu du 19e siècle, composés par un échantillon de 200 recueils composés par 70 auteurs. Cette base de données m’a permis de dégager les procédures grâce auxquelles la métrique de l’alexandrin français avait été profondément réformée au cours du 19e siècle », site de L’Université Bordeaux 3 [En ligne], URL : http://erssab.u-bordeaux3.fr/article.php3?id_article=42, (page consultée le 11/05/2007)

considérable, permet d’observer qu’entre 1820 et 1860 les poètes ont intégré à l’hémistiche, de plus en plus fréquemment, mais progressivement, des termes grammaticaux polysyllabiques, puis des termes grammaticaux monosyllabiques successifs, pour produire enfin des alexandrins avec un proclitique ou une préposition monosyllabique sixième sans terme grammatical antécédent. Cette (r)évolution porte le vœu de rupture, de dissonance, d’indétermination qui mène au vers libre, évolution que Henri Morier220 met en parallèle avec l’histoire de la musique. La conclusion que donne Jacques Roubaud à ces quarante années de « réforme » montre que la crise n’équivaut pas à une disparition :

la crise du vers ne conduit pas à la mort du vers, à son abolition ; au contraire, [elle] se dirige plutôt vers une extension radicale de ses pouvoirs. 221

D’ailleurs, Mallarmé reconnaît, à côté du poème en prose, que « Très strict, numérique, direct, à jeux conjoints, le mètre, antérieur, subsiste. »222 Denis Roche, quant à lui, offre une belle métaphore à la survie incontournable du vers :

Chaque fois qu’on passe d’une photo à l’autre, sur une pellicule qui est dans l’appareil photographique, on réarme l’appareil. L’Antéfixe fonctionne de cette façon-là. Chaque fois qu’on passe d’une ligne à l’autre, on a réarmé le vécu de quelqu’un. 223

Un hommage au vers que l’on n’attendait pas de la part de celui pour qui la poésie est mortelle.

Pourrait-on faire un bilan comparable de la « crise du signe » déclarée par Henri Meschonnic ? Déjà, dans Qu’est-ce que la littérature, Sartre explique que

[ Le poète ] considère les mots comme des choses et non comme des signes {…] il s’arrête aux mots comme le peintre fait aux couleurs et le musicien aux sons 224

220 MORIER Henri, Le Rythme du vers libre symboliste, Genève, Presses académiques, 1943.

221 ROUBAUD Jacques, La vieillesse d’Alexandre, essai sur quelques états récents du vers français, Paris, Editions Ramsay, 1988, p.49.

222 MALLARME Stéphane, « La Musique et les lettres », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, p. 643.

223 Op. cit.

224 SARTRE Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ?, 1947.

En fait, la position de Sartre ne renie pas Saussure : le poète retient principalement son attention sur le signifiant. Ce que vise Sartre n’est pas exactement le signe mais sa capacité à référer. Dans Célébration de la poésie, Henri Meschonnic va plus loin :

[…] la poésie met aussi, et c’est ce qu’elle a toujours fait, la représentation courante du langage en crise. Ce n’est plus une crise de vers, comme disait Mallarmé, c’est une crise du signe. 225

Pour Meschonnic, la poésie a ceci de salutaire qu’elle impose une rupture épistémologique avec la science du signe :

L’obstacle majeur pour penser la poésie reste bien la représentation commune du langage par le signe, avec la dualité-hétérogénéité de ses deux éléments constitutifs, le son, le sens 226

Meschonnic a le mérite de nous rappeler que les présupposés théoriques peuvent toujours être discutables et que la poésie impose cette discussion.

Selon lui, la conception saussurienne du signe, ou plutôt ses dérives systématisantes, sont incompatibles avec l’expérience de poésie. Il nous invite à employer les stéréotypes méthodologiques de la sémiotique avec circonspection : la singularité du discours poétique l’impose. Ce qui fait poème est justement la solidarité indécidable entre signifiant et signifié. Il n’est pas loin de Susan Sontag, qui réclame l’abandon de la suprématie du « fond » sur la

« forme »227. En poésie, la matérialité du verbe fait sens, et non le seul signifié.

Le signifié d’un poème n’est qu’un ingrédient modeste, parfois indistinct, du sens. La poésie s’accorde mal de l’arbitraire du signe. Le discours enseignant, encore dépendant de la dichotomie distinctive fond/forme, est un avatar de la dérive du « tout sémiotique » qui confond signifié et sens, dénoncée par Meschonnic. Seulement, le signe détrôné n’est-il pas amené, comme le vers, à

Le signifié d’un poème n’est qu’un ingrédient modeste, parfois indistinct, du sens. La poésie s’accorde mal de l’arbitraire du signe. Le discours enseignant, encore dépendant de la dichotomie distinctive fond/forme, est un avatar de la dérive du « tout sémiotique » qui confond signifié et sens, dénoncée par Meschonnic. Seulement, le signe détrôné n’est-il pas amené, comme le vers, à