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Faut-il en passer par la notion de genre pour définir la lecture de poésie ?

C. En quoi consiste la lecture de poésie en lycée ? Les réponses des manuels

C.1. Les manuels au service de la poésie

L’institution consacre, véhicule ou sécrète des valeurs théoriques et des modèles qu’elle intègre sans nécessairement les expliciter ni même les nommer435. Les programmes sont leurs vecteurs officiels, dont l’interprétation s’exprime notamment à travers les manuels scolaires. De même que pour la

433 COMPAGNON Antoine, Le Démon de la théorie, Littérature et sens commun, op. cit., p. 14.

434 Voir par exemple les deux tomes XXème siècle d’ Itinéraires Littéraires, Hatier, 1991.

435 Dans une communication prononcée lors des Rencontres de Bordeaux consacrées aux corpus scolaires, le 5 avril 2008, Catherine Mazauric met à jour par exemple l’idéologie post-colonialiste qui affecte le traitement de la littérature francophone dans les programmes de lycée. Dans ce cas, c’est d’idéologie plus que de théorie qu’il s’agit, mais cette démarche de levée des implicites est à faire également pour les fondements théoriques des programmes.

question des genres, il faudrait pouvoir déterminer sur quelles théories littéraires repose l’enseignement en lycée, car c’est sur ces fondements implicites que se forment les nouveaux lecteurs. L’école produit-elle ses théories et ses genres, comme l’estime Nathalie Denizot, ou s’en tient-elle à reconfigurer des connaissances universitaires pour son propre usage ?

Les manuels scolaires peuvent donc être abordés en tant que manifestations indirectes de ces fondements théoriques436. Ils nous intéressent ici parce qu’ils donnent accès aux présupposés de la lecture de poésie tels que l’institution aujourd’hui les conçoit. Ils montrent également quelles solutions didactiques retient l’institution pour améliorer et valoriser ces lectures. Les chercheurs en didactique des sciences de la vie et de la terre considèrent aussi que « le manuel est un stade important de la transposition didactique, entre le savoir à enseigner et le savoir enseigné »437. Les auteurs de manuels sont prêts à se saisir des discours théoriques disponibles en relation avec les programmes et à les adapter. Ainsi tout en reflétant les interprétations potentielles des textes officiels, ces ouvrages mettent à jour des savoirs, orientent des pratiques. C’est vers le manuel que l’enseignant puis l’élève puisent des références, des exemples et des consignes (mais sans pour autant s’y cantonner). Le manuel constitue une sorte d’explication illustrée des programmes pour l’élève, et son usage compense même parfois chez l’enseignant une lecture succincte des textes officiels438.

Les ouvrages analysés ici sont conçus pour la classe de première car c’est à ce niveau du lycée que la poésie figure comme objet d’étude à part

436 Cette analyse des manuels permet d’aborder les représentations institutionnelles de la lecture de la poésie, elle ne doit pas être confondue avec les pratiques réelles en classe.

437 QUESSEDA Marie-Pierre & CLEMENT Pierre, « Introduction du concept d’évolution humaine buissonnante dans les manuels scolaires de sciences de la vie et de la terre de terminale scientifique », site de l’INRP, [en ligne] URL : http://www.inrp.fr/ardist2005/ressources/contributions, (page consultée le 10-07-08).

438 Les sites web de type « Weblettres » complètent l’existence des manuels. Ils proposent des séquences et des explications de textes « clé en main » sans problématiser nécessairement leur articulation au programme et aux théories sources. Contrairement aux manuels, ces sites très riches sur le plan quantitatif et révélateurs de pratiques effectives sont souvent des collections de propositions individuelles dont l’assemblage ne vise pas nécessairement une cohérence globale. D’autres sites de type « café pédagogique » développent des réflexions méta-pédagogiques ou didactiques, mais ces prises de position ont lieu cette fois dans un horizon argumentatif et militant, reflétant des points de vue individuels ou partiels. Telles sont les principales raisons pour lesquelles il nous a semblé plus fondé d’analyser des manuels d’éditeurs papier institutionnalisés.

entière. Ils ont été retenus en fonction de leur année de parution et de leur catégorie. L’année 2007 est l’occasion de faire le point sur les propositions éditoriales : les ajustements du programme de 2002 ont incité les éditeurs à revoir leurs collections. Ces rééditions ont concerné les manuels de type « livre unique » et les manuels « techniques ». A la sélection de spécimens issus de ces deux catégories de manuels, ont été joints deux ouvrages plus anciens de type

« anthologie » dont l’usage n’a pas totalement disparu. Les enseignants continuent d’y puiser, on les consulte en CDI et ces ouvrages représentent une conception de la littérature scolaire encore d’actualité. La nécessité de solliciter les principales maisons d’édition de manuels, et celle de demeurer dans une échelle quantitative maîtrisable ont été, enfin, les derniers critères de sélection.

Pour chaque livre il faut se demander comment la poésie est représentée quantitativement dans la répartition des chapitres, quel corpus de poésie a été constitué, comment sont posées les frontières entre les genres, et enfin à quelles théories sources s’adosse l’appareil critique des poèmes.

Bien entendu, ces relevés font surgir de nombreuses difficultés théoriques : faut-il comptabiliser dans l’ensemble poétique les fables, les discours versifiés, les textes de chansons, les épopées lyriques, les textes de passions, les textes sacrés en vers? En effet, à l’exception de Français Méthodes, les manuels traitent la fable dans le cadre de l’argumentation et non de la poésie. Les textes théoriques, les manifestes ou les correspondances des poètes doivent-ils être inclus dans les corpus « poésie » du manuel ? Pour rester au plus près de la conception des auteurs de ces manuels et ne pas noyer notre objet dans le « tout poétique » nous avons pris le risque de répondre négativement à ces différentes questions. De fait, cette thèse ne vise pas à évaluer la culture poétique enseignée mais se donne pour objet l’expérience de réception des poèmes. Dans un premier temps, ce qui nous intéresse c’est donc la façon dont le jeune lecteur est exposé439 à la réception de la poésie. La fable et l’essai, aussi poétiques soient-ils, sont repris scolairement en tant que discours argumentatifs et délibératifs. La « lettre du voyant » de Rimbaud est

439 L’expression « exposé à » est reprise à dessein de l’enseignement des langues étrangères qui sous-entend que, pour l’apprenant, un temps minimal de mise en présence de la langue est nécessaire en préalable à toute intervention didactique.

présentée comme un texte critique dont la réception en tant que poème relève de l’initiative du lecteur. En revanche, une exception a été faite pour Tzara et Breton quand les extraits des manifestes étaient présentés comme des textes poétiques. Mais la difficulté à justifier ces choix rappelle combien la question des frontières génériques filtre dans tout examen de la réception littéraire. Par ailleurs, le poème en prose présenté comme tel a bien sûr toute sa place dans le corpus « poésie ».

C.1.a. Une présence quantitative de la poésie bien affirmée dans