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Faut-il en passer par la notion de genre pour définir la lecture de poésie ?

B. La poésie nécessite-t-elle des théories de la réception spécifiques ?

B.3. a. L’inscription générique dans le pacte de lecture

C’est par rapport à des modèles, à des « horizons d’attente », à toute une géographie variable, que les textes littéraires sont produits puis reçus, qu’ils satisfassent cette attente ou qu’ils la transgressent et la forcent à se renouveler.

Philippe Lejeune 377

Les élèves interrogés sur la distinction entre lecture de poésie et lecture de roman378 laissent entendre, de façon tout à fait conforme aux analyses de

376« L'expérience était menée avec un texte extrait du Cornet à dés de Max Jacob (Gallimard 1967 : 30s) : Fausses nouvelles ! Fosses nouvelles. Questionnaire avec réponses écrites, en regard du texte donné à lire partie par partie. Introduire des perturbations dans le processus de lecture en agissant sur les éléments du péritexte conduit à des conclusions semblables : ces éléments classent le texte, pour le lecteur, le mettant en relation avec des textes déjà connus et qu'il sait lire. Bransford, J.D., Johnson, M.K. (voir :(1972), « Contextual requisites for understanding », in Journal of Verbal Learning and Verbal Behavior, 11 : 717-726) ont montré que le seul fait de supprimer le titre d'un texte limite la compréhension et affecte les possibilités de mémorisation », GOFFARD Serge, « Lecture : négocier une interaction sociale », Semen, 10, Sémiotique(s) de la lecture, 1995, [En ligne le 22/05/2007]

URL : http://semen.revues.org/document2980.html. (page consultée le 25/03/2010).

377 LEJEUNE Philippe, Le pacte autobiographique, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1975, p.

311.

Serge Goffard, que ce repérage du genre a lieu très tôt, et conditionne même la disponibilité à la lecture d’adhésion. Une remarque de Dominique Combe abonde dans ce sens :

Nul besoin de connaissances approfondies en versification pour saisir les « patrons » formels de la poésie, et la tonalité affective qui s’en dégage à la première lecture, ou à la première audition.379

Ce constat presque de bon sens est pourtant assez paradoxal : la lecture initiale censée affranchir le lecteur de la distanciation repose en fait sur une première analyse. Il s’agit pour le lecteur de confronter le texte à l’ensemble des prototypes génériques dont il dispose. Comme l’explique Marc Lits, la reconnaissance du genre fait partie de la première phase de la lecture, celle de l’horizon d’attente :

L’horizon d’attente, tel qu’il a été défini par l’esthétique de la réception, implique bien l’hypothèse d’une compétence de lecture générique d’un lecteur ou d’une classe de lecteurs.380

Or, comme le souligne Michael Riffaterre

la perception de l’interprétant générique présuppose que le lecteur a lu assez de textes pour reconnaître leur appartenance à un genre. 381

Ainsi, l’enseignement doit avant tout permettre aux élèves de constituer leur

« encyclopédie générique »382.

Dans un article du Français aujourd’hui, Alain Boissinot reprend les théories de Jauss pour distinguer deux types d’horizons d’attente : toute œuvre est prise dans « le jeu de confirmation/modification de l’horizon d’attente des lecteurs »383. Si elle joue au maximum la confirmation de cet horizon d’attente,

« elle s’inscrira dans cette littérature de consommation qui reproduit confortablement ses modèles » alors que la remise en cause du prototype est la marque de la création littéraire. Davantage que des processus singuliers de

378 Annexe IV.3.

379 COMBE Dominique, Les Genres littéraires, op. cit., p. 15.

380 LITS Marc, « Le genre, d’Aristote à la télé-réalité », op. cit., p. 30.

381 RIFFATERRE Michael, Sémiotique de la poésie, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1983, p.

189.

382 L’expression est employée par CANVAT Karl, « Interprétation du texte littéraire et cadrage générique », Pratiques n°76, décembre 1992, p. 33-53.

383 Le Français aujourd’hui, n°79, sept. 1987, p. 50.

lecture, cette schématisation vise à distinguer deux types de littérature et à valoriser la création axée sur la transgression des formes intégrées. Dans la lecture réelle cette opposition est pourtant moins tranchée : par exemple, la littérature « commerciale » prépare elle-même ses effets de surprise, tandis que la littérature classique culmine quand elle épouse au plus près les préceptes des poéticiens de son époque.

Mais l’identification générique n’est pas réglée du côté de la création, une fois pour toutes, en amont de la lecture. Dans sa description phénoménologique du rôle des genres, Antoine Compagnon montre que la compétence générique du lecteur est requise tout au long de la réception :

si la notion de genre a une validité par-delà les procès qu'elle a subis, c'est du côté de la lecture, de la phénoménologie de la lecture. Lisant, je fais une hypothèse sur le genre ; cette hypothèse guide ma lecture ; je la corrige si le texte la contredit ; non, ce n'est pas un sonnet français ; non ce n'est pas une tragédie classique ; non, ce n'est pas roman noir ; au bout du compte cette oeuvre n'appartient peut-être à aucun genre défini, mais pour que j'arrive à cette conclusion, il faut que je l'aie lue en faisant des hypothèses sur son appartenance générique et en révisant ces hypothèses au fur et à mesure de ma lecture.384

La lecture d’adhésion progresse au gré de la vérification du genre posé dans l’horizon d’attente : la caractérisation générique insinue donc une part de distanciation au sein même de la lecture première.

Dès lors, la prise en compte du genre opère aux niveaux cognitif, heuristique et herméneutique. Au niveau cognitif d’abord, Marielle Macé s’appuie sur Jean Morizot pour souligner le fait que le repérage d’un genre met le lecteur en activité :

savoir exploiter une information et/ou savoir anticiper une action qui confère à cette information son contenu efficace, c'est entrer dans un jeu de sollicitation qui enclenche à son tour d'autres relais.385

On voit mal comment une lecture consciente de l’appartenance générique pourrait maintenir le lecteur dans une lecture « naïve ». On peut même se demander si cette représentation de la lecture première a encore un sens.

384 COMPAGNON Antoine, « Onzième leçon : Genre et réception », site Fabula, op. cit.

385 MACE Marielle, « Connaître et reconnaître un genre littéraire », op. cit.

Au niveau heuristique ensuite, Carl Kanvat montre que topiques génériques et marqueurs de topiques déterminent les superstructures à l’origine de la construction « rétroactive et anticipative du sens […] »386. La réception du texte et son interprétation sont chevillées à l’identification de son genre : le lecteur admet les singularités du texte en fonction de ce que sa nature générique autorise et implique. Le genre oriente l’attente et impose une forme de « tolérance » : sans son chapeau générique, la poésie est le plus souvent

« inadmissible »387.

La visée herméneutique enfin, consiste à faire de cet accueil une occasion de signifiance. La question que se pose alors Antoine Compagnon est la suivante : le genre est-il un moyen pour construire la signification de l’oeuvre ou fait-il intégralement partie du sens?

[on] peut concevoir la fonction herméneutique du genre de deux manières. Soit le genre est un outil heuristique, et l'interprétation rejoint, par le cercle herméneutique, un sens qui, lui, est toujours particulier ; soit le genre est constitutif du sens, et l'interprétation va vers un sens qui dépend du genre. Autrement dit, le genre est-il ou non transitoire dans l'interprétation littéraire? Survit-il ou non à l'interprétation littéraire ? D'une certaine manière, cette alternative renvoie à deux conceptions du cercle herméneutique, deux phases de son histoire. Pour Schleiermacher et Dilthey, le cercle herméneutique était méthodique, destiné à être dépassé une fois le sens compris ; pour Husserl et Heidegger, la circularité herméneutique est indépassable et constitutive de la compréhension.388

Pour lire la poésie, nous nous fierons, comme Antoine Compagnon, à la démarche de Husserl et Heidegger, car le sens d’un poème est consubstantiel au processus de sa lecture. La lecture, qui inclut l’identification générique, n’est pas une transition, mais le siège de réalisation du sens. Questionner le genre littéraire fait partie de la lecture et participe de l’interprétation. Le poème

386 KANVAT Carl : « L'identification des superstructures permet la construction, à la fois rétroactive et anticipative, du sens. Ce travail d'investissement sémantique s'opère par la projection d'un «topic ». Le rôle de ce dernier est essentiel : il discipline, en quelque sorte, le texte en réduisant ses virtualités sémantiques. Le topic peut être implicite – auquel cas il faut le reconstituer par le repérage de « mots-clés » abondamment réitérés ou placés dans des positions stratégiques – ou explicite : dans ce dernier cas, on peut le repérer grâce à ces « marqueurs de topics » que sont les titres, les sous-titres de l'oeuvre ou des chapitres, ou encore les mentions de genres. Le topic générique joue un rôle particulièrement important dans la lecture littéraire » dans « Pragmatique de la lecture: le cadrage générique », op. cit.

387 ROCHE Denis, La poésie est inadmissible, Paris, Le Seuil, coll. « Fiction & Cie », 1995.

388 COMPAGNON Antoine, « Onzième leçon : Genre et réception », op. cit.

prend sens dans sa lecture en tant que poème. Cela ne revient pas à négliger le déploiement chronologique de la lecture : il y a bien, en aval, des échos de sens et des traces significatives de lecture, c’est d’ailleurs sur ces scories de l’expérience poétique que l’on tentera, dans les trois parties suivantes de la thèse, de remonter le fil, sinon la trame, de l’hypothétique « texte du lecteur ».

En amont, c’est la mise en place d’un pacte de lecture qui initie la réalisation herméneutique. Quelle place prend la dimension générique dans ce pacte ?

Pour Hans Robert Jauss la détermination du genre est cruciale. Il considère que c’est la « perceptibilité de la forme »389 correspondant au

« procédé artistique » qui rend possible la lecture. Il y a donc une dépendance entre projet générique, forme textuelle et réception de l’oeuvre. Si la lecture se fait à travers un « pacte », orientée par un « horizon d’attente » satisfait ou détourné, la question du genre est centrale dans la construction de cette attente. Le genre s’impose et se définit donc moins au niveau de la création qu’à celui de la réception. Loin d’abolir le genre, les théories de la réception nous incitent donc à examiner son articulation avec les notions d’horizon d’attente et de pacte de lecture.

Depuis les travaux de Philippe Lejeune, la notion de pacte générique390, en l’occurrence celle de « pacte autobiographique », s’est répandue. Les expressions de « pacte »391 ou encore de « contrat de lecture »392 s’inspirant du

389 JAUSS Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, trad. Claude Maillard, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1978, p. 45.

390 GENETTE Gérard : « Le terme est évidemment optimiste quant au rôle du lecteur, qui n’a rien signé et pour qui c’est à prendre ou à laisser. Mais les indices génériques ou autres engagent l’auteur, qui – sous peine de mauvaise réception – les respecte plus souvent qu’on ne s’y attendrait », Palimpsestes. La littérature au second degré, Le Seuil, coll. « Poétique », 1982, p.

9 note 4.

391 « Il faudra donc recourir à une théorie "contractuelle" du genre, s’appuyant sur la notion wittgensteinienne d' "air de famille". Le contrat lie encodeur et décodeur. Il ne s'agit pas ici d'un simple choix terminologique mais "d'une proposition fondamentalement conceptuelle".

Le contrat est étymologiquement dérivé de l'idée de ce qui attire ensemble et l'un à l'autre, et de celle d'une manipulation conjointe. […] Ce terme peut ainsi nous aider à faire attention au processus de rapprochement des textes, ce qui peut servir d'antidote à la tentation de construire une taxonomie de classes toutes faites. […] Ce terme renvoie à la théorie du

"contrat social". Il contribue à souligner que la "lecture" n'est pas un processus à sens unique. Enfin il évite de suggérer un lien ""naturel" entre l'auteur et le lecteur. Ce concept est à rapprocher des "speech acts" d'Austin et de Searle, il tire du côté de la pragmatique », COSTE Didier, « Pourquoi les genres ? », site Fabula, [en ligne, date non précisée] URL : www.fabula.org/revue/cr/421.php, (page consultée le 29/06/2007).

392 BOUJU Emmanuel (dir.), Littératures sous contrat, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences » / Cahiers du Groupe phi, 2002.

monde juridique, comme le fait remarquer Marielle Macé393, déploient l’idée de droits et de devoirs : les droits du texte, les devoirs du lecteur. Alexandre Gefen explique que la notion de pacte correspond dans le monde anglo-saxon au courant « conventionnaliste »394. La notion de pacte de lecture puise ainsi à la pragmatique la notion de « convention » : celle-ci permet de désigner l’accord entre les locuteurs d’une situation d’échanges. Karl Canvat395 explique que les termes de ce contrat peuvent être explicites396 ou tacites397, ils sont plus ou moins effectifs dans le cas de la poésie. Il distingue plusieurs types de conventions : les premières sont des conventions constituantes. Ce sont celles qui relèvent du niveau intentionnel de la communication ; la fictionalité en fait partie. Les traces de ces conventions se tiennent souvent aux frontières des énoncés : le rituel accompagnant la poésie orale décrit par Zumthor en relève également398. Les conventions de tradition s’appliquent au niveau formel du texte ; les formes fixes en poésie sont les principales conventions de tradition.

Les conventions régulatrices enfin, gèrent les réécritures de modèles.

[Or] c'est précisément le rôle des genres littéraires d'établir des conventions qui fondent des expectatives mutuelles, garantissent une certaine stabilité dans les échanges langagiers et assurent ainsi un contrôle plus strict du décodage du texte en réduisant son incertitude.399

Mais il ne faudrait pas comprendre le lien générique entre le lecteur et le texte comme un simple rapport de reconnaissance. En réalité, engagé dans un

393 MACE Marielle, Le genre littéraire, op.cit., p. 25.

394 « Le courant anglo-saxon dit "conventionnaliste", issu de la philosophie contractualiste de Hume et de la théorie des jeux de D. Lewis, donnera une extension plus générale à cette notion, en insistant sur le pacte, souvent ludique, que noue tout lecteur avec un auteur et/ou une tradition littéraire. » GEFEN Alexandre, « Atelier de théorie littéraire : conventions », site Fabula [en ligne le 15/07/2002], URL : www.fabula.org/atelier.php?Conventions (page consultée le 29/06/2007).

395 CANVAT Karl, « Interprétation du texte littéraire et cadrage générique », Pratiques, n°76, décembre 1992, p. 33-53, p. 39.

396 QUINE W.V.O., « Truth by Convention », O.H. Lee (ed), Philosophical Essays for A.N.

Whitehead, New York, Longmans, 1936.

397 LEWIS David, Convention, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1969.

398 ZUMTHOR Paul, La lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Le Seuil, coll.

« Poétique », 1987, p. 216.

399 MAILLOUX S., Interpretive conventions. The reader in the study of American fiction. Ithaca and London, Cornell University Press, 1982, p. 127-139, trad. Karl Canvat, « Pragmatique de la lecture : le cadrage générique », op. cit.

« contrat », le lecteur devient co-responsable de « la décision générique »400. Le pacte générique de lecture, c’est l’appréhension par le lecteur d’un certain nombre de conventions génériques qu’il identifie progressivement au cours de la lecture au niveau du paratexte. Mais c’est également le lecteur qui détermine si tel ou tel aspect des superstructures et de la microstructure entérine, interroge ou contredit son hypothèse générique.

Parallèlement au « pacte autobiographique », Antonio Rodriguez a donc développé le concept de « pacte lyrique »401 en précisant bien que « le lyrique » ne se superpose ni au lyrisme ni au genre poésie. Bien qu’intimement lié à la poésie, le pacte lyrique n’est donc pas un pacte générique. Pour Antonio Rodriguez, le lecteur de littérature dispose de trois alternatives qui engagent trois types de pactes : fabulant, lyrique ou critique. On peut ainsi développer un horizon d’attente dans le champ poésie en adoptant un « pacte fabulant » ou « critique ». Le concept de « pacte lyrique » doit donc être employé avec précaution même s’il nous aidera à décrire une certaine forme de réception de la poésie.

L’inscription générique dans le pacte de lecture ne s’active donc pas seulement au stade initial de l’horizon d’attente. En puisant dans la terminologie de Wittgenstein, on peut dire qu’elle reste éveillée tout au long de la lecture activant ce qu’il appelle la perception d’« airs de famille » :

L’expérience de la reconnaissance (souvenir d’une occurrence ou identification du général) est peut-être ce qui désigne le mieux cette participation du genre à l’activité de lecture […]. La perception de genre, […] a aussi à voir avec le lieu commun402

note Marielle Macé. Ce « lieu commun », cet « air de famille » ou encore la notion de « stéréotypie » proposée par Umberto Eco, placent la

« topicalisation » au niveau générique. Le genre est le stimulateur privilégié de l’interlecture. Et sur lui s’organise un réseau qui devient objet de connaissance en soi : en construisant sa « bibliothèque générique », le lecteur construit

400 « La notion de "pacte" offre une transposition juridique de cette participation du lecteur à la décision générique », MACE Marielle, Le genre littéraire, op. cit, p. 25.

401 RODRIGUEZ Antonio, Le Pacte Lyrique - Configuration discursive et interaction affective, Bruxelles, Mardaga, coll. « Philosophie et Langage », 2003, p. 280.

402 MACE Marielle, Le genre littéraire, op. cit., p. 23.

simultanément sa connaissance du genre. Ce savoir se constitue au gré des vérifications génériques qu’impose l’horizon d’attente.

Le dialogue intime entre le lecteur et son horizon d’attente se développe à chaque instant jusqu’au point final de la lecture. « Le jeu de confirmation/modification de l’horizon d’attente » est un moteur perpétuel pour la lecture de la poésie moderne en particulier. Prenons l’exemple de réception d’une page du Parti pris des choses de Francis Ponge403. L’édition du texte, chez Gallimard, dans la collection de poche « Poésie », laisse présager la lecture d’un poème :

1 : Le titre du volume peut pourtant poser un premier problème : le mot « chose », l’aspect argumentatif de l’expression heurtent un premier stéréotype générique d’ordre sémantique et syntaxique. Un premier ajustement de l’horizon d’attente est nécessaire : le conflit est cette fois d’assez courte durée (même si la violence de ce conflit diffère en fonction des lecteurs) : le caractère énigmatique, généralisant et abstrait du titre confirme en définitive que la lecture qui s’engage est celle d’un poème.

2 : La seconde surprise est la découverte de textes en prose. Mais cette révision du stéréotype poésie=vers s’opère notamment par l’usage de titres donnés aux fragments. L’horizon d’attente « poésie » se trouve donc une nouvelle fois modifié mais maintenu. Le cercle herméneutique s’engage alors en incluant une connaissance nouvelle et gratifiante : un poème peut être en prose.

3 : La thématique indiquée par les titres provoque alors une nouvelle mise en cause de l’horizon d’attente : le lecteur devient une fois encore le siège d’un conflit. Le stéréotype voudrait qu’un poème ne parle pas d’un cageot ou d’un morceau de viande, mais le texte lui oppose une réalité hors topiques.

Cependant, tout le paratexte ainsi que la volonté d’accueil du lecteur déjà confortée par deux « victoires » sur les premiers stéréotypes, tentent de renverser ce nouvel obstacle. Le moyen de dépasser ce conflit est d’alimenter

403 Nous nous écartons à cet instant du point de vue de Käte Hamburger qui place l’œuvre de Ponge à la frontière entre l’énoncé lyrique et l’énoncé communicationnel. Logique des genres littéraires, Logique des genres littéraires [1957, 1977], trad. Pierre Cadiot, Paris, Le Seuil, coll.

« Poétique », 1986, p. 231.

le cercle herméneutique et d’entrer alors dans une logique d’interprétation. En admettant la thématique du Parti Pris des Choses, la lecture peut se poursuivre.

On voit à travers cette simulation que le modèle d’entrée en lecture d’un poème en appelle davantage à la notion de conflit qu’à celle de pacte.

Pour signer un pacte ou un contrat, il vaut mieux en connaître les termes à l’avance. Lire un poème, en tous cas un poème moderne, c’est au contraire s’engager sans garanties : chaque remise en cause de l’horizon d’attente est une petite « guerre » menée entre les prototypes du poétique, l’altérité d’un texte et l’adaptation plus ou moins souple d’un sujet lecteur. On voit que chaque étape n’est franchie que si le lecteur trouve une certaine gratification dans son effort d’accueil : gain de connaissance, plaisir du décalage, engagement dans

Pour signer un pacte ou un contrat, il vaut mieux en connaître les termes à l’avance. Lire un poème, en tous cas un poème moderne, c’est au contraire s’engager sans garanties : chaque remise en cause de l’horizon d’attente est une petite « guerre » menée entre les prototypes du poétique, l’altérité d’un texte et l’adaptation plus ou moins souple d’un sujet lecteur. On voit que chaque étape n’est franchie que si le lecteur trouve une certaine gratification dans son effort d’accueil : gain de connaissance, plaisir du décalage, engagement dans