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UNE INTÉGRATION DU RAP DANS LA SOCIÉTÉ : LA RÉCUPÉRATION DE SES MYTHES ET STÉRÉOTYPES PAR LES

B. UNE RÉCUPÉRATION EFFECTIVE

1. Le placement de produit dans le rap

En premier lieu des tactiques marketing qui récupèrent le rap en France, nous pouvons citer le placement de produit. On ne constate pas de placement de produit verbal (les marques citées dans les textes de rap ne sont pas consultées) mais visuel. Les clips vidéo sont pour les marques une vitrine de choix, du point de vue de leur audience, de plus en plus importante, ce qui est traçable en temps réel. En cela, on ne peut pas évoquer une récupération à proprement parler car les marques adeptes de ce procédé ne s’accaparent pas le rap dans une communication qui lui leur est propre mais intègrent directement le rap par le biais du média audiovisuel que représentent les clips. Par là, elles brouillent les frontières entre la réalité des choix possibles et l’observabilité des choix possibles, pertinents et engagés par des tiers reconnus. C’est le cas, par exemple, de la dernière collaboration entre le groupe de rap PNL et la marque Nutella. La subtilité des placements est assurée pour que la présence du produit dans le clip soit la plus naturelle possible.

L’objectif envisagé par cette présence naturelle de la marque dans ce clip est une congruence à deux niveaux. Le premier niveau de congruence réside entre la présence du produit dans le clip et les paroles de la chanson : il existe un lien (une similitude, une correspondance entre ce qui est dit et montré) : la jeunesse et de son mode de vie. Ainsi, l’un deux deux membres du groupe rappe : « paire de lunettes sur le « zen » (en interagissant dans le clip avec ces dernières), million de vues en 24 heures (vérifiable à travers l’affichage de la date de publication du clip et du nombre de vues) » et le clip nous montre le locuteur en train de manger des tartines de Nutella ; et au rappeur d’enchaîner avec « mon frigo n’a plus peur » (PNL, 2016). On parle de nourriture, on nous montre de la nourriture. Le deuxième niveau de congruence est lui plus abstrait et se concentre sur la pertinence des univers entre les artistes, la marque et les publics. Le locuteur explique son succès en le mêlant avec son mode de vie. Avec « paire de lunettes sur le « zen », il explique qu’il mène une vie facile, opulente ; avec « million de vue en 24 heures », il établit un lien de causalité avec son succès et son mode de vie et insiste sur le fait que ce succès est une providence ; avec « mon frigo n’a plus peur », il résume sa situation d’opulence et justifie son attitude oisive (« paire de lunettes sur le zen ») grâce au lien de

causalité précédemment établi. La présence du Nutella a ici une visée provocante. Elle sert à illustrer cette oisiveté, à la sublimer, à la représenter en image.

Ainsi, pour les rappeurs, la marque sert de symbole pour illustrer leur mode de vie, et pour la marque, les rappeurs servent à l’associer à un usage encadré par l’oisiveté de la jeunesse. Par ce procédé, Nutella récupère le mythe de l’oisiveté de la jeunesse des cités (nous parlions du mode de vie de la « galère », les deux sont intimement liés voire synonymes), mobilisée par les rappeurs, pour s’ancrer dans une consommation vécue et envisager le rôle de marque de consommation culturelle.

Ici, chacune des deux parties se sert de l’autre pour ancrer son message dans une réalité observable. Les rappeurs peuvent alors narguer la société en disant qu’ils réussissent à fédérer des millions de personnes, et tout cela en mangeant des tartines (selon les textes hautement stéréotypiques de PNL, en vendant de la drogue et en faisant du rap), et Nutella peut dire à l’audience de PNL que ce même groupe consomme son produit et qu’il fait partie intégrante de son mode de vie, voire de son identité, et donc potentiellement de la sous culture du rap puisque tout ceci est englobé par cette dernière.

Ainsi, consommer du Nutella, au même titre que porter des Nike peut être envisagé par des individus dont le groupe d’appartenance est représenté par les rappeurs ou leurs sympathisants. Nutella ne pourrait pas figurer dans une publicité où des acteurs consomment son produit phare entre deux cigarettes de cannabis dont ils font par ailleurs, l’apologie. Mais rien ne l’empêche de profiter de l’audience d’artistes qui se rassemblent autour d’eux médias et consommateurs de rap, et qui pourraient effectivement la consommer dans le cadre du mode de vie stéréotypé de « la galère » (transformée en mythe de l’oisiveté) décrit dans leurs textes et qui traduit une certaine identité de rappeur ou au moins de jeune de cité. Saisir ces mythes et stéréotypes, c’est saisir un public revendiquant cette identité elle aussi par la consommation (par quels autres moyens pourrait-il le faire ?). Nous ne pouvons pas ici parler des effets qu’une telle collaboration peut produire car c’est une collaboration et non une récupération. Nous nous intéresserons au long de l’étude des autres techniques aux probables effets de la récupération du rap par les marques en France, en même temps que nous analyserons les causes qui poussent les marques à récupérer et non les effets que cela provoque car ils prennent souvent la forme de l’atteinte des objectifs fixés par la récupération, ou non. Si l’on veut, les effets de la récupération par les marques et pour les marques sont déjà dans

les raisons qui décident les gestionnaires de marques à prendre la décision de la récupération.