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LE RAP FRANÇAIS EN TANT QUE SOUS CULTURE : UN RÉCIT DE SOI DANS LEQUEL L’IDENTITÉ ET LA CULTURE DES

B. LE RÔLE DE LA CONSOMMATION DANS LES TEXTES DE RAP FRANÇAIS

2. Dénoncer, distancier et/ou exclure socialement

La part de dénonciation de rap, de critique sociale, n’est pas la plus importante, du moins lorsqu’elle est envisagée au prisme de la consommation. Le petit nombre de contextes, que nous avons appelés « désaffectifs » en raison de leur disposition à toucher l’affect de manière négative soit non pas pour faire aimer mais bien pour faire déprécier au destinataire l’idée connotée par l’utilisation d’un mot-thème, nous permet d’entrer dans le détail des unités d’enregistrement les plus pertinentes au regard de la problématique fixée

pour y trouver une consommation « observée ». Les rappeurs dénoncent certaines pratiques ou idéologies en nommant précisément un objet pour le lier à leur mécontentement, comme pour donner un exemple, expliquer les raisons de la colère et montrer qu’ils ne sont pas dupes. La consommation est déplacée dans le champ de la critique sociale :

« Qu’est-ce que j'me fous d'un GI, d'un flic, d'un Marines, d'un type de la BAC, d'un CRS Nos pratiques embrouillent le CNRS, CNN et l'reste, rien à foutre des infos TV

On a nos propres mensonges mais notre vie est vraie »

Xmen, Jeunes, coupables et libres, JEUNES, COUPABLES ET LIBRES, 1998 « La différence entre Spike Lee, Kassovitz et Richet :

C'est que Spike Lee parle de c'qu'il est sans excès Sans vous vexer, nos petits frères regardent vos films à succès »

Fabe, Détournement de son, NUAGE SANS FIN, 1998 « On te pique tout ; l’Etat un Picsou, qui s’arrête pas à tes sous

Et qui te brûle, sans dessus-dessous

Double-Delta, Cercle-Rouge, cette fois-ci on brûle tout »

Compilation de rappeurs sur un unique titre : 16’’30 CONTRE LA CENSURE, 1998

Les rappeurs excluent de leur cercle social et/ou se distancient des individus pour lesquels ils traduisent l’identité en se servant de caractéristiques qui ont trait à la consommation ; une consommation tierce, observée et excluante :

« Une vraie balance un mouchard, un premier d'la classe 
 Coupe au gel, noeud-pap', lunettes en Plexiglas 


Bref en fin de compte, j'ai rien avalé »
 Busta Flex, Busta Flex, WHAT CAN I DO, 1998

« Si le roi des cons perdait son trône Il y aurait cinquante millions de prétendants

Leur pinard et leur camembert, c'est leur seule gloire à ces tarés »

Doc Gyneco, Liaisons dangereuses, Doc Gyneco, Renaud, Calbo, HEXAGONAL, 1998 « J’effraie les pinces-cul en cravate, bureaucrates

Qui pensent que nous n’aurons jamais la parole du pas d’nos banlieues Un "nique la police" a autant d’impact que les balles d’un gun »

Il est à noter que certains mots-thème ont été isolés alors qu’ils n’entrent, à priori pas dans la catégorie : marque, objet ou bien de consommation. Or, nous avons choisi de prendre en compte la consommation de biens culturels puisque c’est notamment autour de la notion de culture que les médiations entre rap et marques s’effectuent. Ainsi, Picsou, Kassovitz, Richet, Spike Lee ou CNN sont inséparables de la consommation de contenu audiovisuel, ce qui permet de déceler dans la dénonciation une hybridation culturelle, une mise en parallèle de symboles issus de la consommation et d’idéologies : nommer une chaîne de télévision d’information pour dénoncer la désinformation des médias (CNN), se servir d’un comportement développé par une oeuvre de fiction pour dénoncer les pratiques gouvernementales (Picsou), utiliser des réalisateurs comme s’ils incarnaient les films qu’ils ont réalisés pour critiquer ces films - et donc ces réalisateurs et l’industrie du cinéma français (Kassovitz, Richet et Spike Lee). Aussi, faisons la remarque que ce n’est pas l’objet, le bien, la marque en elle-même que les rappeurs distancient ou excluent de leur cercle mais bien les individus ou les idées qui s’y rapportent. Par conséquent, lorsque Busta Flex développe un thème sur le salariat, il critique un collègue « premier de la classe » en détaillant son état d’esprit puis en décrivant son apparence grâce aux biens de consommation qu’il arbore, biens de consommation qui sont alors utilisés pour fixer un décor, décrire une image et alimenter l’imagination de l’auditeur qui cherchera à se représenter ce qui est décrit dans un objectif de compréhension… Renaud, Calbo et Doc Gynéco, lorsqu’ils déclarent que la seule gloire des français réside dans la production de fromage ou de vin, n’amoindrissent en rien nos fiertés nationales. Ils lancent le débat et interrogent : n’existe-t-il pas d’autres sources de fierté nationale que le vin et le camembert ? Le rap peut-être ? Enfin, on retrouve dans les mots de KDD l’opposition entre la spontanéité du rappeur en jogging et la rigidité administrative des « bureaucrates en cravate ».

Nous venons de le voir, les rappeurs considèrent que les biens de consommation sont des éléments constitutifs de l’identité. Il se servent donc de ces biens de consommation et de ces noms de marques pour décrire ou imaginer l’identité des autres, ceux qui sont critiqués, ceux pour qui les pratiques sont dénoncées, ceux qui sont exclus du cercle entre autre parce que leur consommation diffère. Néanmoins, ils utilisent le même procédé pour revendiquer leur propre identité. Seulement il y a l’identité que l’on nous attribue et l’« identité réelle », l’« identité héritée » et l’« identité visée ». La consommation peut-elle nous renseigner sur ces typologies d’identité et en particulier sur l’identité telle que souhaité par les acteurs ?