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Le Piton de la Fournaise constitue le tiers Sud-Est de l’île (cf. Fig I.13), et culmine à 2632 mètres d’altitude. Au cours du temps, l’activité magmatique de l’île a progressivement migré vers l’Est, et ce déplacement est également marqué par une succession de caldeiras emboîtées d’Ouest en Est (e.g. Gillot et al., 1994; Merle et al., 2008), jusqu’à la caldeira de l’Enclos Fouqué (cf. ci-après), où se produit l’essentiel de l’activité volcanique récente.

- Evolution magmatique et structurale du Piton de la Fournaise :

La partie émergée du Piton de la Fournaise est marquée par deux stades majeurs de construction, appelés « Bouclier Ancien » et « Bouclier Récent » (Bachèlery et Mairine, 1990), comme illustré sur la figure I.22. D’après Gillot et Nativel (1989), l’édification du Bouclier Ancien a débuté il y a au moins 530 ka, avec une alternance de basaltes, hawaïtes, mugéarites et BPP, appartenant aux Séries Différenciées alcalines décrites en section I-2.1.2 (Albarède et

al., 1997). Le fait que cette séquence corresponde au Piton de la Fournaise a cependant été

remis en cause (section I-2.4). Autour de 290 ka, la construction du Bouclier Ancien est perturbée par un effondrement caldeirique à l’Ouest du volcan, formant la caldeira de la « Rivière des Remparts », qui donne l’affleurement du même nom (Fig. I.20, e.g. Bachèlery et Mairine, 1990; Lénat et al., 2012; Merle et al., 2010). Cet effondrement divise alors le Bouclier Ancien en deux formations : la Rivière des Remparts (530 - 290 ka) et le Volcan de Mahavel (290 - 150 ka, Figure I.22). Cette dernière est constituée de basaltes à olivine, d’océanites et de basaltes aphyriques, tous de nature transitionnelle. En effet, au sein du Bouclier Ancien, les Séries Différenciées sont suivies par le début des Séries Océanitiques (section I-2.1.1) vers 450-400 ka, avec l’émission de basaltes transitionnels comme ceux du Volcan de Mahavel (Albarède

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et al., 1997; Bachèlery et Mairine, 1990; Merle et al., 2010). La transition entre les Séries

Différenciées et les Séries Océanitiques est exposée dans l’affleurement de la Rivière des Remparts.

L’édification du Bouclier Récent, formé uniquement par l’accumulation de laves des Séries Océanitiques, est supposée avoir débuté après un deuxième effondrement daté à environ 150 ka (Bachèlery et Mairine, 1990), menant à la formation de la caldeira du Morne Langevin. C’est lors de cet effondrement que la migration d’Ouest en Est de l’activité volcanique s’est effectuée, c’est-à-dire depuis la « Plaine des Sables » jusqu’à sa position actuelle dans l’ « Enclos Fouqué » (Fig. I.20). Par la suite se succèderont les formations des caldeiras de la « Plaine des Sables » (~ 60 ka, Bachèlery, 1981), formant le Rempart des Sables, et celle de l’Enclos Fouqué, pour le Rempart de l’Enclos (< 4700 ans, Bachèlery, 1981), représentés en figure I.20.

De même que pour le Piton des Neiges, la géomorphologie du Piton de la Fournaise est marquée par de grands évènements structuraux tout au long de sa construction. Ce sont les effondrements verticaux mentionnés ci-dessus, et notamment celui de l’Enclos Fouqué, qui confèrent au volcan sa forme en « U » ouvert vers l’Est de l’île. A ces caldeiras s’ajoutent également des effondrements latéraux, comme par exemple les glissements de flancs (e.g. Lénat

et al., 2012; Oehler et al., 2004). Les structures laissées par ces évènements destructifs peuvent

être comblées au cours du temps par des coulées de laves ultérieures (Merle et al., 2008, 2010), ou encore par des lahars (Bachèlery et Mairine, 1990; Mairine et Bachèlery, 1997). Les principaux glissements qui auraient affecté les flancs du Piton de la Fournaise seraient le glissement de la Rivière des Remparts vers 290 ka et celui de Grand Coude vers 150 ka (Merle

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Figure I.20. Représentation simplifiée des principales structures d’effondrement (caldeiras) du massif

du Piton de la Fournaise (Sud-Est de l’île de La Réunion), des plaines associées et de la Rivière des Remparts. Les caldeiras (RR, Rivière des Remparts ; ML, Morne Langevin ; PS, Plaine des Sables ; E, Enclos Fouqué) sont localisés d’après Oehler et al. (2008), ainsi que GB (structure du Grand Brûlé), définie comme une rupture de pente dont le prolongement correspond à un glissement de terrain sous-marin. H, cratère Hudson (éruption 1998). Les trois plaines et le flanc Sud représentent une activité volcanique ancienne du Piton de la Fournaise (« cônes adventifs »), la zone active se situant au niveau de l’Enclos Fouqué.

- Activité volcanique historique récente et actuelle :

Aujourd’hui, le Piton de la Fournaise est un des volcans les plus actifs au monde, avec en moyenne deux éruptions par an depuis 1998 (contre une par an auparavant, e.g. Peltier et al., 2009) et quelques rares phases d’inactivité depuis la mise en place de l’observatoire (maximum de 6 ans de repos, e.g. Roult et al., 2012). L’activité volcanique est maintenant localisée au sein de la caldeira de l’Enclos Fouqué, qui s’ouvre sur la mer à l’Est de l’île (cf. Fig. I.21), avec des éruptions au niveau du cône central (Cratères Dolomieu et Bory) et sur ses flancs (éruptions latérales, e.g. Michon et al., 2013). Des éruptions « hors-enclos » ont également été observées (par exemple en 1800, 1977, 1986). Le dynamisme est principalement effusif (coulées de lave) et parfois faiblement explosif lors d’activités stromboliennes, avec quelques fontaines de lave généralement inférieures à 20 mètres de hauteur (Staudacher et al., 2009). Il y eu notamment trois effondrement sommitaux (1986, 2002, 2007) dus à des éruptions explosives, dont certaines associées à une faible activité phréato-magmatique, comme lors des éruptions de 1986

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(Delorme et al., 1989) et de 2007 (Michon et al., 2013). Cette dernière éruption est connue pour sa grande ampleur qui la distingue de l’activité habituelle du volcan (~0,15 km3 DRE en 31 jours, e.g. Di Muro et al., 2014). Elle est associée à un grand effondrement sommital (e.g. Michon et al., 2009; Staudacher et al., 2009) et possiblement à un glissement de flanc (Froger

et al., 2007), qui fait suite à une nouvelle injection de magma de plus grande profondeur,

entrainant la surpression du système (Di Muro et al., 2014). D’autres évidences géophysiques de recharges magmatiques du réservoir superficiel ont été enregistrées dans le passé, en 1986 et 1998 (Peltier et al., 2009).

- Un cas particulier de l’activité historique : le Cratère Hudson, éruption de 1998 :

Si l’activité historique du Piton de la Fournaise n’a vu l’émission que de basaltes de type SSB, basaltes à olivine et océanites (« Séries Océanitiques »), l’éruption de 1998 est la seule à avoir produit des basaltes appartenant au « Groupe Anormal » (AbG, cf. Fig. I.15). Les autres exemples d’éruptions alimentées par ce type de laves correspondent aux cônes « adventifs » décrits dans la partie I-3.

L’éruption s’est produite après six ans d’inactivité, le 9 mars 1998, et a duré au total six mois et demi. Elle s’est principalement localisée au Piton Kapor, pendant toute la durée de l’éruption, et au Cratère Hudson, formé le 12 mars et actif jusqu’au 2 avril (cf. Fig. I.20). Le temps de résidence du magma avant cette éruption est plus court (~ 1,5 ans) que celui estimé pour les autres éruptions récentes, pour une même taille de réservoir (~0,2 km3), en accord avec un flux de magma plus élevé (Vlastélic et Pietruszka, 2016). De fortes réinjections magmatiques ont été détectées lors de l’éruption (e.g. Peltier et al., 2009). En effet, alors que les séismes enregistrés lors des éruptions historiques sont habituellement localisés au-dessus du niveau de la mer, l’éruption de 1998 a suivie une crise sismique majeure traduisant une remontée progressive de magma depuis des profondeurs d’environ 5 km sous le niveau de la mer, soit environ 7,5 km sous le sommet de l’édifice (Battaglia et al., 2005).

La majorité des laves émises lors de cette éruption sont des SSB (par exemple au Cratère Kapor, e.g. Salaün et al., 2010). Pourtant, le cratère Hudson a émis des laves qui, sur la figure I.15, sont complètement hors des deux tendances principales : elles sont caractérisées par de plus faibles rapports CaO/Al2O3 pour un même MgO, et font donc partie des AbG. Elles sont appauvries en Ca et Si, et sont également enrichies en éléments compatibles (comme Mg, Fe, Ti) et incompatibles (K Th et La) par rapport à celles de Kapor (Salaün et al., 2010). Les laves de Hudson sont plus riches en olivine et moins riches en clinopyroxène que celles de Kapor (Salaün et al., 2010). Une autre particularité des laves de Hudson est qu’elles renferment des

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cristaux d’olivine nettement plus magnésiens que les autres laves historiques, avec des teneurs allant jusqu’à Fo88 (Salaün et al., 2010), voire Fo89 (Bureau et al., 1999), contre Fo84 en moyenne à Kapor. Les déséquilibres chimiques observés entre certaines olivines et leur lave hôte indiquent qu’il s’agit de « xénocristaux » (Salaün et al., 2010). Bureau et al. (1999) ont analysé les teneurs en volatils dissous des inclusions magmatiques et fluides des olivines magnésiennes de Hudson : les concentrations très élevées en CO2 et H2O suggèrent des pressions partielles en volatils jusqu’à 420 MPa. Ainsi, le magma de Hudson contiendrait des olivines remontées directement depuis des profondeurs d’environ 12,5 km, proches du MOHO (Bureau et al., 1999).

Pour expliquer les compositions inhabituelles des AbG, les hypothèses divergent entre un fractionnement profond (Boivin et Bachèlery, 2009; Bureau et al., 1999; Famin et al., 2009), des processus d’assimilation à relativement basse pression (Salaün et al., 2010), un plus faible degré de fusion partielle (Vlastélic et al., 2005) ou de la contamination (Pietruszka et al., 2009; Salaün et al., 2010). Les caractéristiques des AbG et notamment les hypothèses sur leur pétrogenèse sont considérées plus en détail dans la partie I-3.

Concernant les compositions isotopiques, de légères différences en rapports isotopiques du Pb ont été observées entre les laves de Hudson et celles de Kapor, attribuées à des sources mantelliques légèrement différentes (Vlastélic et al., 2005). De plus, les deux éruptions ont produit simultanément deux types de magma différents de part leurs rapports d’éléments incompatibles et leur composition isotopique en Sr. Ces compositions recouvrent toute la gamme de compositions connues pour les laves historiques : ces variations pourraient refléter la fusion partielle d’hétérogénéités compositionnelles du panache mantellique à petites échelles (Vlastélic et Pietruszka, 2016).

- Les niveaux de stockage magmatique sous le Piton de la Fournaise :

En combinant données géophysiques (notamment la sismicité) et géochimiques (teneur en volatils des inclusions), trois principales zones de stockage magmatiques, représentées en Figure I.21., ont été considérées sous le Piton de la Fournaise.

Le centre volcanique actuel se situe sous le cratère Dolomieu, au sein de l’Enclos Fouqué. Différentes géométries de stockage de magma ont été imaginées pour la zone superficielle : un réservoir unique (~ 0,3 km3) situé à 2,5 km sous le sommet (Nercessian et al., 1996; Peltier et

al., 2007), ou bien un réseau de dykes et de sills entre 0,5 et 1,5 km sous le sommet (Lénat et

Bachèlery, 1990). Globalement, les profondeurs estimées pour cette zone superficielle correspondent à l’ensemble des pressions obtenues grâce aux teneurs en volatils des inclusions

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magmatiques, qui s’échelonnent de 50 MPa à environ 95 MPa et correspondent respectivement à des profondeurs autour de 1,9, 2,6 et 3,6 km sous le sommet (Bureau et al., 1998b; Famin et

al., 2009). La grande majorité de la sismicité enregistrée lors des éruptions historiques provient

de ces profondeurs, c’est-à-dire au sein de l’édifice volcanique (e.g. Lénat et al., 2012).

Un réservoir intermédiaire se situerait à la limite supérieure de la croûte océanique sous l’île, c’est-à-dire à environ 7,6 km sous le sommet de l’édifice (Gallart et al., 1999). Les séismes enregistrés depuis cette profondeur sont ceux de l’éruption de 1998, mais aussi des éruptions de 2005 et 2007 (Battaglia et al., 2005; Peltier et al., 2009). Les réalimentations du réservoir superficiel proviendraient donc de ce niveau intermédiaire crustal. D’après Bachèlery et Mairine (1990), Mairine et Bachèlery (1997) et Merle et al. (2010), le premier centre volcanique du Piton de la Fournaise était localisé sous l’actuelle Plaine des Sables, avant de migrer progressivement vers l’Enclos Fouqué, ce qui est illustré par un déplacement d’Ouest en Est de ce réservoir intermédiaire (Fig. I.21).

Enfin, une zone profonde de stockage est envisagée, qui correspondraient au sous-plaquage en base de croûte de magmas issus du manteau (Gallart et al., 1999). Cette zone pourrait être reliée à la zone intermédiaire de stockage (Charvis et al., 1999), ce qui est en accord avec les données pétro-géochimiques des laves de Hudson (1998) : fractionnement du magma à des profondeurs supérieures à 5 km b.s.l. (Famin et al., 2009) et les pressions élevées de piégeage des olivines (< 420 MPa, soit des profondeurs autour de 12-15 km, Bureau et al., 1999).

- Les Basaltes Porphyriques à Plagioclase de la Rivière des Remparts :

Alors qu’ils apparaissent après les Séries Océanitiques du Piton des Neiges et amorcent les Séries Différenciées, les Basaltes Porphyriques à Plagioclase (BPP) affleurent stratigraphiquement sous la Série Océanitique du Piton de la Fournaise. Ceux-ci sont nettement plus vieux que ceux connus au Piton des Neiges (527 ka contre 340 ka pour les plus anciens du Piton des Neiges). Localisés à la base de la séquence de la Rivière des Remparts (cf. Fig. I.20), ils correspondent donc aux plus anciennes laves à l’affleurement au Piton de la Fournaise. Les coulées de BPP alternent avec d’autres types de lave, comme des basaltes aphyriques ou cotectiques, les mugéarites apparaissant plus « haut » dans les Séries Différenciées (Albarède

et al., 1997).

Il est important de noter que les BPP sont identiques de part leur aspect (macroscopie, morphologie des cristaux de plagioclase) et leur composition chimique sur les deux volcans, ce qui suggère un processus commun de pétrogenèse et de mise en place (Smietana, 2011).

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Contrairement au Piton des Neiges qui semble avoir connu les deux stades d’édification, c’est-à-dire les Séries Océanitiques et les Séries Différenciées, le Piton de la Fournaise est toujours dans le stade bouclier (Série Océanitique), avec un retard de 1,5 Ma par rapport au stade d’évolution du Piton des Neiges (Upton et Wadsworth, 1972a). Il a toutefois été proposé que les laves des Séries Différenciées, constituant la base de l’affleurement de la Rivière des Remparts, soient attribuées à une activité volcanique plus ancienne, correspond au « Volcan des Alizés ».

Figure I.21. Coupe géologique O-E interprétative du Piton de la Fournaise basée sur une compilation

de données géophysiques sur ce profil (voir citations dans Lénat et al., 2012).Les trois principales zones de stockage magmatique sous le Piton de la Fournaise sont représentées, ainsi que le complexe hypovolcanique du Volcan des Alizés. Le sous-plaquage sous la croûte pourrait correspondre au réservoir magmatique profond. Les séismes sont localisés essentiellement le long des conduits entre la zone de stockage intermédiaire et le réservoir superficiel (points gris foncés), ainsi que dans la colonne fracturée au sein de l’édifice (points gris clair). 1, conduit intermédiaire ; 2, zone hydrothermale ou de stockage de magma ; 3, conduit profond. Le modèle sismique de l’éruption de 1998 (Hudson) est défini par un essaim de séismes décalé vers l’Ouest du sommet, dont la racine est localisée au toit de la croûte océanique. La migration du centre volcanique est représentée par les chambres magmatiques intermédiaires successives : depuis la Plaine des Sables (en bleu) vers le conduit actuel (en rouge), en passant par une position intermédiaire (en jaune, d’après Letourneur et al., 2008). La base du complexe

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du Piton de la Fournaise est supposée construite sur un édifice préexistant. Les constructions volcaniques anciennes sur la croûte océanique et sous le Piton de la Fournaise sont attribuées aux volcans du Piton des Neiges et des Alizés, mais la plupart des constructions profondes autour du complexe intrusif hypovolcanique correspondraient aux produits du Volcan des Alizés. Les reliques de ce massif forment une surface légèrement plongeante sous le volcan du Piton de la Fournaise. La base de ce complexe hypovolcanique est supposée au moins au sommet de la croûte océanique. Les séismes sous le flanc Est (en points gris foncé), sont principalement localisés dans la portion attribuée au Volcan des Alizés, hors complexe hypovolcanique. Coordonnées horizontales : UTM km WGS84. Figure modifiée d’après Lénat et al. (2012).