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2.1.3 : Magma parental et évolution magmatique au Piton de la Fournaise

L’évolution des laves de La Réunion est donc communément gouvernée par des processus de cristallisation fractionnée, excepté pour le « Groupe Anormal » dont l’origine est encore débattue (section I-3). C’est surtout sur le Piton de la Fournaise, volcan actif, que les études ont été et sont menées dans le but de préciser le système magmatique en profondeur, et de comprendre l’évolution chimique des magmas, depuis le magma parental.

L’absence d’orthopyroxène dans les laves de La Réunion suggère qu’aucune ne correspond précisément au magma primaire issu directement de la fusion d’une source péridotitique ou harzburgitique : les laves du Piton de la Fournaise ont donc subit une différenciation après leur formation. Les différentes propositions concernant la composition du magma parental (section I-1.2) se basent sur l’hypothèse d’un fractionnement impliquant uniquement l’olivine en profondeur, c’est-à-dire à des pressions au moins inférieures à 1800 MPa, pour lesquelles l’olivine est seule phase au liquidus (Fisk et al., 1988). Plus précisément, les travaux expérimentaux de Fisk et al. (1988, Fig. I.18) sur des liquides de composition SSB montrent que le premier minéral à cristalliser est l’olivine, pour des pressions de 1 atm à 800 MPa. L’ordre de cristallisation est olivine-plagioclase-clinopyroxène à des pressions inférieures à 250-500 MPa, alors qu’au-dessus, le clinopyroxène cristallise avant le plagioclase. Pour des pressions supérieures, de 500 à 800 MPa, olivine, augite et spinelle cristallisent ensemble. Finalement, au-dessus de 800-1000 MPa, voire au-dessus de 1800 MPa pour des compositions plus magnésiennes du liquide parental, l’olivine est remplacée par le clinopyroxène comme première phase au liquidus.

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Figure I.18. Diagramme de phases des magmas du Piton de la Fournaise basé sur les données

expérimentales de Fisk et al. (1988), obtenues principalement sur une océanite du Piton des Neiges contenant 11 pds.% de MgO. l, liquid ; ol, olivine ; cpx, clinopyroxène ; pl, plagioclase. D’après Pichavant et al. (2016).

Il est communément admis que les magmas primitifs du Piton de la Fournaise cristallisent dans l’ordre olivine-clinopyroxène-plagioclase. Considérant l’étude de Fisk et al. (1988), cela signifie que le magma peut ensuite fractionner olivine+clinopyroxène ou olivine+clinopyroxène+plagioclase à la base de la croûte. Certains auteurs considèrent toutefois que le clinopyroxène peut cristalliser avant l’olivine, ce qui implique une différenciation wehrlitique à des profondeurs crustales (Kornprobst et al., 1979, 1984) ou mantelliques (Albarède et al., 1997).

Les pressions impliquées d’après les expériences de Fisk et al. (1988) sont difficilement conciliables avec l’hypothèse d’une chambre superficielle sous le volcan, comme supposée par les mesures magnétiques, l’activité sismique et la mesure des déformations (e.g. Lénat et al., 2012). Toutefois, les expériences de Fisk et al. (1988) ne tiennent pas compte des volatils potentiellement présents dans le magma parental. Ainsi, Famin et al. (2009) et Villemant et al. (2009) ont calculé des compositions de magma parental pour le Piton de la Fournaise avec des teneurs en H2O et CO2 dissous. Ils proposent que le clinopyroxène cristallise en second après l’olivine à 100 MPa, soit à plus basse pression que celles estimée par Fisk et al. (1988), ce qui est donc plus compatible avec les niveaux plus superficiels de réservoirs supposés sous le Piton de la Fournaise. Récemment, des expériences réalisées en présence de volatils ont montré que, à partir d’une composition de SSB du Piton de la Fournaise, la séquence olivine – clinopyroxène – plagioclase est possible à plus basses pressions (50 MPa) que celles proposées par Fisk et al. (1988), suggérant des pressions beaucoup plus superficielles pour le stockage des magmas sous le volcan (Brugier, 2016), plus en accord avec les données géophysiques. Il a également été

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montré, grâce à des expériences à hautes pressions (jusqu’à 1 GPa), en présence de volatils, que le clinopyroxène peut apparaître seul au liquidus à des pressions supérieures à 400 MPa (Brugier, 2016), soit nettement plus basses que celles de Fisk et al. (1988). La gamme de pression pour ce fractionnement de clinopyroxène correspondrait au sous-plaquage à l’interface croûte-manteau supposé par la géophysique (Gallart et al., 1999), qui pourrait donc être à l’origine des AbG (Brugier, 2016).

Il a été suggéré que les différents types de composition en éléments majeurs des laves du Piton de la Fournaise soient liés au rapport clinopyroxène/olivine de l’assemblage minéralogique qui cristallise dans le magma. Autrement dit, ces variations de composition des laves seraient dues aux changements de profondeur du fractionnement qui s’opère (Albarède et

al., 1997; Boivin et Bachèlery, 2009; Bureau et al., 1999; Vlastélic et al., 2007). Suivant cette

hypothèse, Albarède et al. (1997) ont notamment proposé que la transition des laves différenciées alcalines vers des laves plus tholéiitiques (transitionnelles) au cours du temps (section I-2.3) correspond à des pressions de cristallisation plus faibles, où l’olivine remplace le clinopyroxène au liquidus (d’après Fisk et al., 1988).

Famin et al. (2009) ont suggéré que les différentes évolutions magmatiques des laves du volcan (cf. Fig. I.15) s’expliquent par différentes profondeurs de cristallisation, depuis un magma parental unique. La figure I.19 illustre ces différents types de fractionnement.

D’après Villemant et al. (2009), le fractionnement du magma parental se produit à « basse pression » (< 26 km), et seul le refroidissement du réservoir modifie l’assemblage minéralogique cristallisant : seule l’olivine cristallise à haute température (> 1160 °C), puis le clinopyroxène et le plagioclase (sans olivine) apparaissent à basse température (< 1130 °C).

En conclusion, différentes séries magmatiques ont été et sont toujours émises sur l’île de La Réunion, chacune expliquée par un processus de cristallisation spécifique (à l’exception du Groupe « Anormal » ou AbG, encore débattu, partie I-3). Ces séries peuvent être regroupées en « Séries Océanitiques » (SSB, basaltes à olivines, océanites et AbG) et « Séries Différenciées » (laves légèrement alcalines et différenciées, incluant les BPP, basaltes porphyriques à plagioclase). Il faut garder à l’esprit pour la suite de ce manuscrit que l’ensemble des laves de La Réunion est relativement différencié (MgO ≤ 8 pds.%) : aucun magma primitif, proche de l’équilibre chimique avec le manteau, n’est échantillonné en surface en termes de laves.

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Figure I.19. (a) Modèle géochimique conceptuel du stockage et du transport de magmas sous le Piton

de la Fournaise. (b) Schéma interprétatif de la séquence de différenciation des magmas du Piton de la Fournaise. La ligne 1 est expliquée par le fractionnement ou l’accumulation de plagioclase et de clinopyroxène depuis les magmas parentaux (M.P., en bleu), formant les magmas « Anormaux » (en jaune, correspondant au groupe « Anormal », cf. Fig.I.15) et possiblement des gabbros (en noir). La ligne 2 représente le fractionnement ou l’accumulation d’olivine depuis les magmas parentaux, formant les SSB (« Steady-State Basalts », en rouge) et les Picrites (i.e. les océanites, en vert), respectivement. Ces dernières correspondent au groupe des basaltes à olivines (cf. Fig.I.15). La ligne 3 s’explique par le fractionnement ou l’accumulation de plagioclase et de clinopyroxène depuis les SSB, formant les magmas Différenciés (en jaune) et des cumulats gabbroïques (en noir). Ol, olivine ; cpx, clinopyroxène ;

plg, plagioclase ; sp, spinelle. D’après Famin et al. (2009). Figure modifiée depuis Smietana (2011).

Les sections suivantes s’intéressent essentiellement aux évolutions structurales des volcans de La Réunion, ainsi qu’à la succession des Séries Océanitiques et Différenciées sur ces massifs, leur signification et leur implication sur la construction de l’île.