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Si les panaches mantelliques proviennent de niveaux plus ou moins profonds dans le manteau, la fusion apparaît à des pressions moins élevées, probablement à la base de la lithosphère. Lorsque les magmas percent régulièrement la croûte océanique sus-jacente, ils forment des volcans dits « boucliers ». Puis le déplacement des plaques lithosphériques au-dessus du point chaud « fixe » créé avec le temps des alignements volcaniques sur le plancher océanique, visibles en surface. Les volcans « boucliers » se distinguent par leur forme arrondie et leur relief relativement plat, en comparaison avec les volcans coniques de fortes pentes

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caractéristiques des zones de subduction. Alors que ces derniers présentent un dynamisme principalement explosif, les volcans boucliers sont constitués de laves beaucoup plus fluides, associées à une activité effusive. Toutefois, ce sont généralement de gros volumes de magmas qui sont mis en place, de sorte qu’un point chaud de longue durée de vie peut former des édifices pouvant atteindre des hauteurs très importantes (ex : 7500 m de hauteur pour l’île de La Réunion). Ces îles volcaniques sont en général constituées de plusieurs volcans boucliers qui s’accumulent au cours du temps, parfois simultanément, comme c’est le cas de La Réunion, avec le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise.

En terme de compositions chimiques en éléments majeurs et traces, deux principaux types de magmas ont été distingués ; (1) les magmas alcalins sous-saturés en silice, qui sont issus de faibles taux de fusion partielle (Gast, 1968), et (2) les magmas tholéiitiques saturés à sursaturés en silice, produits par un taux de fusion plus élevés (Gast, 1968; O’Hara, 1965; Yoder et Tilley, 1962). Les conditions magmatiques en contexte de point chaud permettent l’occurrence de ces deux types de magmas, étroitement liée avec les phases de construction des volcans boucliers.

L’archétype de ces volcans est souvent associé aux volcans hawaïens (Macdonald et Katsura, 1964; Peterson et Moore, 1987; Walker, 1990). Ainsi, le modèle d’édification volcanique est présenté en trois principales étapes (Fig. I.8, d'après Peterson et Moore, 1987). La première débute par une activité volcanique sous-marine, sur le plancher océanique, avec de faibles taux de production (Moore et al., 1982) qui correspondent à la mise en place du point chaud (cf. Fig. I.8a). Ces faibles degrés de fusion partielle sont à l’origine des laves alcalines de ces monts sous-marins (Chen et Frey, 1985; Moore et al., 1982), qui émergent progressivement. La deuxième étape correspond au stade « bouclier » (cf. Fig. I.8b), qui consiste en l’accumulation de laves tholéiitiques ou transitionnelles, associées à de plus forts taux de fusion partielle (Chen et Frey, 1983, 1985). L’île volcanique serait alors à l’aplomb du panache mantellique. Il s’agit du principal stade de croissance du volcan (~95% du volume émis), qui conduit à son émersion progressive (cf. Fig. I.8c), ainsi qu’à de nombreuses instabilités de l’édifice, avec notamment la formation de calderas successives (e.g. Merle et al., 2010; Walker, 1990). En effet, il existe une compétition constante entre construction de l’édifice et destruction, par érosion et instabilité mécanique : déstabilisations de flancs, glissements de terrain, effondrements et avalanches de débris (e.g. Moore, 1964). Les injections et émissions de magmas peuvent se faire le long de zones préférentielles, appelées « rift zones » (par exemple, les rift zones du Piton de la Fournaise, cf. partie I-3). Enfin, le taux de production

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magmatique diminue de nouveau et la composition des laves redevient alcaline (Chen et Frey, 1983, 1985). Il s’agit de la phase de déclin de l’activité magmatique, appelée aussi stade « post-bouclier » (cf. Fig. I.8d), qui s’expliquerait par le déplacement de la plaque tectonique : l’édifice n’est plus vraiment dans l’axe du panache, mais en bordure, où le taux de fusion est supposé plus faible (Chen et Frey, 1985). Les magmas sont donc plus différenciés que lors du stade précédent (e.g. Frey et al., 1990).

Figure I.8. Schéma simplifié présentant le modèle de Peterson et Moore (1987) de l’évolution des

volcans d’Hawaï. Les changements entre les différents stades successifs sont transitionnels et graduels. (a) Stade initial sous-marin, correspondant notamment à l’émission de basaltes alcalins, (b) Début du stade bouclier (sous-marin), avec l’émission de laves tholéiitiques sous forme de pillow-lavas, (c) Stade bouclier principal tholéiitique, correspondant à la phase majeure de construction de l’édifice, (d) Stade post-bouclier alcalin, associé à une diminution du taux de production magmatique et de la fréquence des éruptions (de basaltes alcalins et de laves plus différenciées). Pl. océan., plancher océanique. Les flèches descendantes représentent la subsidence causée par la charge de l’édifice volcanique au cours des différents stades. Figure modifiée d’après Peterson et Moore (1987).

Basés sur l’expérimentation (e.g. Green et Ringwood, 1967; Kushiro, 1968) ou sur des modèles géochimiques (e.g. Gast, 1968), certains auteurs ont également proposé que les basaltes alcalins sont générés à plus grandes profondeurs, c’est-à-dire à des pressions plus importantes que les magmas tholéiitiques.

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Les panaches mantelliques proviennent donc de différentes profondeurs du manteau terrestre. Dans le cas de certains points chauds, les rapports 3He/4He élevés sont le meilleur argument pour une origine profonde, depuis un manteau non dégazé profond. Les OIB issus des panaches mantelliques sont d’excellents traceurs de la géodynamique chimique (Allègre, 1982; Zindler et Hart, 1986) du manteau et de son évolution au cours du temps. L’ensemble des OIB présente des variations de compositions chimiques, qui sont souvent échantillonnées à l’échelle d’un océan, mais aussi à l’échelle d’un archipel, jusqu’au sein même d’une île océanique. Ces variations reflètent les hétérogénéités mantelliques, qui sont donc préservées de la convection au cours des millions, voire milliards d’années de l’histoire de la Terre. Une des questions majeures étant de savoir s’il est possible de conserver des compositions « primitives » du manteau. Les concentrations en éléments majeurs et traces des OIB nous renseignent notamment sur les processus de fusion qui ont lieu dans le panache et les types de magma produits. Effectivement, le degré et la profondeur de fusion ont une incidence sur l’édification des îles océaniques et la nature des laves émises. Ainsi, différents stades d’édification se succèdent au cours de la vie des volcans de point chaud, le schéma classique étant celui du panache d’Hawaï.

Dans la section suivante est présenté le cas de La Réunion, et notamment de la source du panache mantellique. L’édification de l’île et les types de magma produits sont décrits dans la suite de ce chapitre (cf. partie I-2).